Voir la source de Histoire de la Sicile

[[Fichier:William Faden. Composite Mediterranean. 1785.JA.jpg|vignette|redresse=1.5|La Sicile sur une carte anglaise de la [[mer Méditerranée]] de 1785.]]
L{{'}}'''histoire de la [[Sicile]]''' a vu l'île être contrôlée par plusieurs importantes puissances [[Bassin méditerranéen|méditerranéennes]] : [[Civilisation carthaginoise|Carthaginois]], [[colonisation grecque|Grecs]], [[Rome antique|Romains]], [[Vandales]], [[Ostrogoths]], [[Empire byzantin|Byzantins]], [[Émirat de Sicile|Arabes]], [[Royaume d'Aragon|Aragonais]], mais aussi connaître de longues périodes d'indépendance aux temps des [[Peuple autochtone|autochtones]] [[élymes]], [[sicanes]] et [[Sicules (Sicile)|sicules]], des [[Sicéliotes]] [[Hellénisme|helléniques]], des [[Kalbites]] [[musulman]]s et du [[royaume de Sicile]] fondé en 1130 par {{noble|Roger II de Sicile}}, membre de la [[Maison de Hauteville|famille normande de Hauteville]]. Parfois, l'île a été au cœur des grandes civilisations, parfois elle n'a été qu'un territoire colonial, terre d'immigration et d'émigrants à travers les époques.

La Sicile est la plus grande île de la Méditerranée, tirant dès l'[[antiquité]] sa richesse de ses ressources naturelles et de sa situation centrale au carrefour des routes commerciales entre le [[Occident|Ponant]] et le [[Levant (Proche-Orient)|Levant]], l'[[Europe]] et l'[[Afrique]]. Par exemple, [[Cicéron]] et [[al Idrissi]] décrivent respectivement Syracuse et Palerme parmi les plus grandes et belles villes du [[Hellénisme|monde hellénique]] et du [[Moyen Âge]].

Pendant la période normande, la Sicile était prospère et politiquement puissante, devenant l'un des États les plus riches de toute l'Europe. En raison de la succession dynastique, le royaume passa aux mains de la [[maison de Hohenstaufen]]. À la fin du {{s-|XIII}}, à l'issue des [[Vêpres siciliennes]], l'île est conquise par la [[couronne d'Aragon]] sur [[Comté d'Anjou|celle d'Anjou]] : aux siècles suivants, elle échoit aux Espagnols qui éradiquent toute autre obédience que le [[catholicisme]], et aux [[Maison de Bourbon|Bourbons]], tout en préservant une substantielle indépendance jusqu'en [[1816]].

Depuis la création de l’État normand jusqu'en 1860, l'histoire de la Sicile est marquée par une lutte récurrente entre l'affirmation de l'autorité royale centrale et l'emprise de la grande [[noblesse]] sicilienne qui défend une certaine indépendance.

L'histoire économique de la Sicile rurale s'est concentrée sur son économie de [[Latifundium (Antiquité)|latifundium]], due à la centralité des grands domaines originellement féodaux consacrés à la culture céréalière et l'élevage, qui se développèrent au {{s-|XIV}} et perdurèrent jusqu'à la [[Seconde Guerre mondiale]].

La Sicile est à la fois la plus grande région de la [[Italie|République italienne]] et une [[Région italienne à statut spécial|région autonome d'Italie]] depuis 1944 avec sa propre culture.

== Historiographie ==
[[Fichier:Fazellum.jpg|vignette|''Dell'Historia di Sicilia'' (1574) de [[Tommaso Fazello]], premier historien moderne de la Sicile.]]
[[Thucydide]] et [[Diodore de Sicile]] sont les principaux auteurs sur la Sicile antique. Les légendes, rejetées comme sources historiques par [[Ettore Pais]], ont été analysées par [[Jean Bérard (historien)|Jean Bérard]] comme des témoignages de l'influence égéenne. Le manque de sources est progressivement compensé par les fouilles archéologiques de [[Paolo Orsi]] entre 1888 et 1935, puis [[Luigi Bernabò Brea]] à partir des années 1950 et de nombreuses universités étrangères après la Seconde Guerre mondiale{{sfn|Huré|1975|p=11-12}}.

L'histoire de la Sicile a longtemps été analysée comme une succession de dominations étrangères, depuis ''De rebus siculis'' (1558) de [[Tommaso Fazello]], premier historien moderne de l'île<ref name="fretigne10">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=10}}.</ref>. Ainsi [[Voltaire]] dit que la Sicile a {{Citation|toujours été subjuguée par des étrangers ; asservie successivement aux Romains, aux Vandales, aux Arabes, aux Normands sous le vasselage des Papes, aux Français, aux Allemands, aux Espagnols ; haïssant presque toujours ses maîtres, se révoltant contre eux, sans faire de véritables efforts dignes de la liberté, et excitant continuellement des séditions pour changer de chaînes.}}<ref>{{Ouvrage|langue=fr|nom1=Voltaire|titre=Le Siècle De {{Louis XIV}}.|éditeur=Dodsley|date=1752|lire en ligne=https://books.google.fr/books?pg=PA114&&id=puJBAAAAcAAJ|consulté le=2020-10-01}}</ref> [[Rosario Gregorio]], le premier, s'intéresse davantage au peuple sicilien qu'à la chronologie des conquérants{{Sfn|Frétigné|2018|p=278}}.

Dans la première moitié du {{S-|XX}}, les intellectuels antipositivistes [[Giovanni Gentile]] et [[Benedetto Croce]] puis l'historien [[Ernesto Pontieri]] contestent la lecture victimaire traditionnelle pour réhabiliter les tentatives libérales de la bourgeoisie méridionale et des Bourbons contrées par le conservatisme aristocratique<ref name=":41" />. Après la Seconde Guerre mondiale, si les écrivains [[Giuseppe Tomasi di Lampedusa]] et [[Leonardo Sciascia]] romancent la vision d'une sicilianité intemporelle, des historiens modernisent cette vision<ref name="fretigne10"/>, parmi lesquels en Italie [[Rosario Romeo]] avec ''Il Risorgimento in Sicilia'' et la recherche marxiste qui réhabilite les conflits sociaux et les mouvements paysans à travers les travaux de [[Paolo Alatri]], [[Salvatore Francesco Romano]] et [[Francesco Renda]]<ref name=":41" />. [[Michel Gras]], [[Georges Vallet]], [[Henri Bresc]], [[Jean-Marie Martin (historien)|Jean-Marie Martin]], [[Maurice Aymard]] et [[Marie-Anne Matard-Bonucci]] renouvellent la connaissance historique de l'île en France{{Sfn|Frétigné|2018|p=17}}. {{Citation|Les relations entre la Sicile et les différents dominateurs présumés ont été fictives, liées à sa présence au sein d’empires multinationaux, tels que l’empire espagnol. La représentation de la Sicile opprimée par tant de dominateurs, aussi forte soit-elle, est donc une mystification qui n’a pas réellement d’appui solide sur les résultats de l’historiographie récente.}}<ref name=":37" />

== Formation géologique ==

La Sicile émerge lentement de la mer sous l'effet de la pression de la [[plaque africaine]] et de l'activité volcanique.

{| class="wikitable"
|+
!Carte !!Époque géologique !!Datation
|-
|[[File:Mappa della Sicilia - Tortoniano.jpg|300px]] ||[[Tortonien]] ||11 millions d'années
|-
|[[File:Mappa della Sicilia - Messiniano.jpg|300px]] || [[Messinien]] || 7 millions d'années
|-
|[[File:Mappa della Sicilia - Pliocene.jpg|300px]] || [[Pliocène]] || 5 millions d'années
|-
|[[File:Mappa della Sicilia - Pleistocene inferiore.jpg|300px]] || [[Pléistocène inférieur]] ||1,8 million d'années
|-
|[[File:Mappa della Sicilia - Pleistocene superiore.jpg|300px]] ||[[Pléistocène supérieur]] ||{{nombre|20000|ans}}
|}

== Préhistoire ==
[[Fichier:Grotta dell'Addaura.jpg|vignette|Gravures de la [[grotte de l'Addaura]] (détail).]]
{{Article détaillé|{{Lien|langue=it|trad=Preistoria della Sicilia|fr=Préhistoire de la Sicile}}}}

Les premiers habitants, des chasseurs-cueilleurs, seraient arrivés sur l'île entre 30.000 {{av JC}}<ref>{{it}} [[Robert Ross Holloway]], ''Archeologia della Sicilia antica'' [1991], Società Editrice Internazionale, Turin, 1995, {{p.}} 3.</ref> et {{formatnum:20000}} {{av JC}}<ref>{{it}} Moses I. Finley, ''Storia della Sicilia antica'' [1968], Laterza, Rome-Bari, 1998, {{p.}} 13.</ref> en passant par la péninsule italienne<ref>{{en}} Giulio Catalano et al., [https://www.biorxiv.org/content/10.1101/692871v1 Late Upper Palaeolithic hunter-gatherers in the Central Mediterranean: new archaeological and genetic data from the Late Epigravettian burial Oriente C (Favignana, Sicily)], biorxiv.org, juillet 2019</ref>. Les gravures de la [[Grotte de l'Addaura]] sur le [[Mont Pellegrino]] et les peintures murales de la [[grotte du Genovese]] à [[Île de Levanzo|Levanzo]] témoignent de l'occupation de l'ouest de la côté nord au [[Paléolithique supérieur]]<ref name="Norwich27">{{Harvsp|Norwich|2018|p=27}}.</ref>, comme celle de la pointe sud-est à l'image de la [[grotte de San Teodoro]] à [[Acquedolci]] dans laquelle des sépultures ont été découvertes. Mais [[Pierre Lévêque (helléniste)|Pierre Lévêque]] évoque des fouilles à [[Termini Imerese]] qui prouveraient une présence humaine dès le [[Paléolithique inférieur]]<ref name="leveque">[[Pierre Lévêque (helléniste)|Pierre Lévêque]], « La Sicile préhistorique et protohistorique », ''Nous partons pour la Sicile'', Presses universitaires de France, 1989, p. 39-58.</ref>.

À partir de {{formatnum:5000}} {{av JC}} apparaissent l'agriculture, l'élevage et la [[Céramique de Stentinello|céramique]]<ref>{{Lien web |langue=it |auteur=FabrizioNicoletti |titre=Percorsi nella Sicilia preistorica, Palermo 2003 |url=https://www.academia.edu/1991002/Percorsi_nella_Sicilia_preistorica_Palermo_2003 |site=academia.edu |date= |consulté le=23 décembre 2017}}.</ref>. Cette [[Néolithique|civilisation néolithique]] arrive en Sicile avec des humains originaires du Proche-Orient, probablement depuis l'Italie méridionale par le [[Détroit de Messine]]. Ils délaissent les grottes pour des huttes réunies dans des villages côtiers fortifiés, comme [[Stentinello]], Matrensa et [[Ognina]], laissant des traces essentiellement sur la côte orientale, autour de l’Etna et dans la région de Syracuse, sur les îles [[Lipari (île)|Lipari]] et [[Pantelleria (île)|Pantelleria]]. Ils utilisent le [[silex]] et l'[[obsidienne]]<ref name="leveque" />.

Le [[Âge du cuivre|cuivre]] apparaît en Sicile vers {{formatnum:3000}} {{av JC}}, via l'Anatolie et les îles voisines. La culture de la [[Conca d'Oro]] voit le jour près de Palerme, les outils en pierre et en os se perfectionnent, les décorations de céramique se diversifient, et les sépultures collectives remplacent la tombe individuelle néolithique<ref name="leveque" />.

La [[Âge du bronze en Europe|métallurgie du bronze]] émerge un millénaire plus tard à travers la [[culture campaniforme]]<ref name="Atlas">{{Ouvrage|auteur1=Henriette Alimen|auteur2=René Lavocat|titre=Atlas de préhistoire. Généralités, méthodes en préhistoire|passage=152|éditeur=N. Boubée et Cie|année=1965}}.</ref>. Déjà ouverte aux influences maritimes, notamment méditerranéennes orientales et proche-orientales (Mésopotamie et Syrie), l'île est au centre d'intenses échanges qui s'ouvrent à la façade atlantique et aux îles Britanniques<ref name="leveque" />. Si la culture de la Conque d'Or perdure, une nouvelle civilisation éclot au nord-est, à [[Tyndaris|Tindari]] et [[Naxos (Sicile)|Naxos]], avec la spécificité d'une céramique grise, et [[Culture de Castelluccio|une autre]] sur la côte méridionale, qui a pris le nom de [[Castellucio di Noto]]. Au [[Bronze moyen]] sicilien correspond la [[culture du Milazzese]] à [[Panarea]] et la [[Culture de Thapsos|civilisation de Thapsos]], du nom [[Thapsos|du village fortifié]] découvert près de Syracuse, dont les vestiges attestent d'importants échanges avec le [[Civilisation mycénienne|monde mycénien]] entre la fin du {{s-|XV}} jusqu’au {{s mini-|XIII}}<ref name="leveque" />.

La région a traversé une préhistoire complexe, à tel point qu'il est difficile de déterminer les peuples qui se sont succédé. Cependant on remarque l'impact de deux influences, celles des peuples proto-celtes de la [[culture campaniforme]]<ref name="Atlas" /> venant du Nord-Ouest, et l'influence méditerranéenne avec une matrice orientale<ref>{{en}} Salvatore Piccolo, ''Ancient Stones: The Prehistoric Dolmens of Sicily'', op. cit., 2013, {{p.}} 31.</ref>.

Vers {{formatnum:1300}} {{av JC}}, les établissements urbains complexes deviennent de plus en plus présents.

== Antiquité ==
=== Sicile pré-hellénique ===
[[Fichier:Sicilia arcaica.jpg|vignette|La Sicile archaïque.]]
{{Article détaillé|contenu=Article détaillé : {{Lien|langue=it|trad=Storia della Sicilia preellenica|fr=Histoire de la Sicile pré-hellénique}}}}
{{Article détaillé|Histoire de la Sicile phénicienne}}
[[Fichier:Bronze decorations and knife, Sicilian late Bronez Age, AM Syracuse, 121367.jpg|vignette|Décorations et couteau en bronze, vers 1050-850 {{av JC}}, [[Musée archéologique régional de Syracuse]].]]
Les plus anciens peuples de Sicile sont les [[Sicanes]], puis les [[Élymes]] et enfin les [[Sicules (Sicile)|Sicules]], peuple d'origine [[Italiques|italique]] qui s'y installe au début du {{sav|XI}} selon [[Thucydide]], au {{sav|XIII}} selon [[Hellanicos]] et [[Philistos de Syracuse|Philistos]]<ref name="leveque" />. Ce sont les Sicules qui donnent son nom à l'île. Au terme des invasions successives, les Élymes se retrouvent à l'ouest, les Sicanes au centre et les Sicules dans la partie orientale (''carte''). Pour améliorer leur sécurité, les Sicanes délaissent leurs habitats côtiers dispersés, pour se regrouper sur des sites naturellement protégés dans les terres<ref name="leveque" />.

La zone sud-est et la région de Messine développent une civilisation sicule, dont la [[culture de Pantalica]], plus riche que le [[Faciès (archéologie)|faciès]] sicane de l'ouest ([[Sant'Angelo Muxaro]]), grâce aux influences méditerranéennes (Proche-Orient, Anatolie et Grèce), puis aux apports indo-européens des Sicules. Ainsi, avant toute colonisation, la Sicile est partiellement [[Indo-Européens|indo-européanisée]]<ref name="leveque" />.

Des légendes grecques plus tardives racontent des évènements qui se seraient déroulés aux temps les plus anciens. Ainsi, [[Minos]], le roi de [[Crète]] serait venu avec son armée chercher [[Dédale]], réfugié en Sicile chez [[Cocalos]], le roi des Sicanes. Ce dernier aurait piégé et fait noyer Minos. Ces mythes n'ont pas été confirmés par l'archéologie et seraient postérieurs aux colonisations<ref>{{Ouvrage|langue=it|prénom1=M. I.|nom1=Finley|prénom2=D. Mack|nom2=Smith|prénom3=C.|nom3=Duggan|titre=Breve storia della Sicilia|passage=5 et 6|éditeur=Laterza|année=2010|pages totales=365|isbn=978-88-420-3678-4}}</ref>. En revanche, on sait que la Sicile intègre le [[Civilisation mycénienne|réseau commercial mycénien]] entre 1400 et {{date-|-1200}}<ref name="Norwich27"/>. Les [[Déesse mère|Grandes Mères]] vénérées par les populations néolithiques et les Sicanes et les dieux mâles célébrés par les Sicules, sont hellénisés, tel [[Adranos]] qui se fond dans [[Héphaïstos]]<ref name="leveque" />.

Des contacts avec les [[Grecs]] se nouent entre le {{-s|XIII}} et le {{-s|XI}}, notamment au [[Butera|Monte Dessueri]], dans le secteur de la future colonie grecque de [[Géla]]<ref name="2010_R._Panvani_mages39à63">{{ article 
    | nom1=Panvini | prénom1=Rosalba  
    | titre=Le rayonnement des sanctuaires grecs de Géla sur l’arrière-pays sicane
    | périodique=Publications de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 
    | volume=21 
    | numéro=1 
    | date=2010 | consulté le=2020-04-12
    | lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_2010_act_21_1_1415  
    | pages=39–63 }}.</ref>. Les marchands grecs avec qui la population locale a des contacts sont essentiellement des nobles originaires de [[Crète]], d'[[Eubée]], puis de [[Chypre (île)|Chypre]]. Ces relations demeurent toutefois très modestes. Elles cessent quasiment durant le {{-s|XI}}, sauf pour Chypre. C'est au {{-s|IX}} que les échanges avec les Grecs s'intensifient, puis au {{-s|VIII}} que sont fondées les premières colonies grecques sur l'île ([[Naxos (Sicile)|Naxos]] est fondée par des colons [[Chalcis|Chalcidiens]] en [[-735]], [[Syracuse]] par des colons [[Corinthe|Corinthiens]] en [[-734]] et [[Messine|Zancle]], l'actuelle [[Messine]], par des colons [[Cumes|Cuméens]] vers [[-735]]/[[-730]]).

Les [[Phénicie|Phéniciens]], peuple [[Sémites|sémite]] originaire de l'actuel [[Liban]], et l'une de leur colonie, [[Carthage]], fondée en 814 , diffusent également leur culture avant d'y fonder des comptoirs, grâce à leurs liens commerciaux avec l'île entre le {{s-|XI}} et la fin du {{s-|IX}}. Mais malgré les influences helléniques et sémitiques, {{citation|la Sicile reste à la fin du {{s-|IX}} une terre encore barbare}}, sans civilisation d'envergure<ref name="leveque" />.

Les Phéniciens commencent réellement à immigrer en Sicile à la fin du {{s-|IX}} et au début du {{-s|VII}} À l'arrivée des premiers colons grecs (vers 750 av. J-C), ils délaissent leurs comptoirs disséminés le long de la côte pour fonder leurs premières colonies à l'ouest, à l'opposé des établissements grecs et au plus près de Carthage<ref name="leveque2">[[Pierre Lévêque (helléniste)|Pierre Lévêque]], « La Sicile grecque : l’éclatante réussite de la colonisation archaïque », ''Nous partons pour la Sicile'', Presses universitaires de France, 1989, p. 59-72.</ref> : en [[-734]], [[Palerme|Zyz]] à l'emplacement de l'actuelle Palerme, puis [[Motyé]] en face de l'actuelle [[Marsala]] et vers [[-700]] à [[Solonte]], près de Zyz. Ils s'allient aux Élymes tandis que Carthage gagne de l'influence au détriment des cités phéniciennes asiatiques. Insensiblement, les peuples autochtones, punicisés ou hellénisés, deviennent secondaires dans les sources historiques malgré leur nombre plus important<ref name="leveque2" />.

=== 735 - 275 av. J.-C. : Colonies grecques ===
[[Fichier:Les fondations (première et secondaire) grecques des cités de Sicile & dates de fondations.jpg|vignette|droite|Les fondations (première et secondaire) grecques des cités de Sicile avec les dates de fondations.]]
[[Fichier:Segeste Temple.jpg|vignette|Temple de [[Ségeste]].]]
{{Article détaillé|Histoire de la Sicile grecque}}

Cherchant de nouvelles terres à cultiver et de nouveaux marchés pour leurs productions, les Grecs s'installent, sous l'impulsion de quelques [[Colonisation grecque|oikistes]] (fondateurs souvent héroïsés par la suite)<ref name="leveque2"/>, sur la côte à partir du milieu du {{-s|VIII}} : des colons de [[Chalcis]] fondent [[Naxos (Sicile)|Naxos]] en [[-735]] (cité qui fonde ensuite [[Lentini|Léontinoi]], seule colonie non côtière, et [[Catane]]) et [[Messine|Zancle]] en -750 (et ses colonies secondaires de [[Rhêgion]], [[Milazzo|Mylai]] et [[Himère]]), des [[Corinthe antique|Corinthiens]] [[Syracuse]] un an plus tard (avant d'essaimer à [[Heloros]], [[Palazzolo Acréide|Akrai]] en 664, [[Casmènes|Kasmenai]]-[[Casmènes|Casmene]] en 643, [[Santa Croce Camerina|Camarina]] en 598), des [[Rhodes|Rhodiens]] et des [[Crète|Crétois]] [[Gela]] en [[-688]] (elle-même métropole d'[[Agrigente|Acragas]] en 582), des [[Mégare|Mégariens]] [[Megara Hyblaea]] en 750 (laquelle donne naissance à Sélinonte en 650 elle-même fondatrice d'[[Héracléa Minoa]])<ref name="Norwich28">{{Harvsp|Norwich|2018|p=28}}.</ref>{{,}}<ref name="leveque"/>. Les colonies se développent et acquièrent leurs indépendances politiques vis-à-vis de leurs métropoles tout en maintenant des liens religieux et économiques étroits. Les tentatives grecques de coloniser la côte occidentale échouent, à l'instar de l'éphémère [[Lilybée]] grecque dirigée par Pentathlos vers [[Années 580 av. J.-C.|-580]], ou de la vaine expédition de [[Dorieus]] sur le [[mont Éryx]] vers [[-510]]<ref name="leveque2" />. Opération de secours ou d'assujettissement par Carthage des colonies phéniciennes de l’ouest sicilien, une expédition menée par [[Malchus de Carthage|Malchus]] vers -550 serait les prémices de la domination punique de l'ouest sicilien qui prendra fin en [[-241]] à l'issue de la [[première guerre punique]]<ref>Maria Giulia Amadasi Guzzo, « Formation du pouvoir de Carthage : Sicile et Sardaigne », ''Carthage'', coll. « Que sais-je ? », Presses universitaires de France, 2007, {{p.|21-23}}.</ref>.

Les Grecs s'imposent progressivement aux peuples autochtones et aux comptoirs phéniciens, mais les conflits entre les [[Doriens]] et les [[Ionie|Ioniens]] s'exportent entre les colonies en Sicile, fragilisant la domination hellénique<ref name="leveque2" />. Pour autant, les colonies croissent grâce aux riches cultures de blé (aux abords de l’Etna, de l’[[Anapo]], de Gela, d’Agrigente et de Sélinonte)<ref name="leveque2" />, mais aussi de [[vigne]] et d'[[olivier|oliviers]], introduits par les Grecs<ref name="Norwich28" />, l'élevage (ovins, équins), et la pêche, notamment [[Thon#Les techniques de p%C3%AAche|au thon]]. L’artisanat du tissage de la laine, de la céramique et du métal (notamment à Syracuse) se développe<ref name="leveque2" />.

En dépit d'un rivage avec peu de mouillages protégés, exceptés Zancle et Syracuse, et des voies terrestres (Catane-Agrigente, Syracuse-Agrigente par Acrai, Catane-Himère par Enna, Agrigente-Himère) limitées et médiocres, les échanges maritimes sont intenses : la Grèce exporte sa céramique, l’Italie, en particulier l’[[Étrurie]], pourvoit en bronze et fer, [[Site archéologique de Carthage|Carthage]] est un important client d'Agrigente et alimente d'étoffes précieuses, de parfums et du [[pourpre de Tyr]], l'[[Péninsule Ibérique|Ibérie]] et la Gaule fournissent des métaux des monnaies que les cités battent à partir du {{s-|VI}}<ref name="leveque2" />{{,}}<ref name=":21">{{Harvsp|Huré|1975|p=21-24|loc=« La Sicile grecque jusqu'en 480 av. J.-C. »}}.</ref>.

Les villes croissent, s'enrichissent de nombreux monuments. L'économie florissante nourrit la culture locale qui s’hellénise, tout en influençant la culture grecque. Aux [[Déesse mère|Grandes Mères]] succèdent les [[Divinités grecques chthoniennes|divinités chthoniennes]], en premier lieu [[Déméter]], mais aussi [[Aphrodite]]. Le [[dorique]] s'impose dans les temples. [[Théâtre de Taormine]], temples [[Ségeste|de Ségeste]], [[Vallée des Temples|Agrigente]] et [[Sélinonte]], ou les traces du temple d'Athéna transformé en [[Cathédrale de Syracuse|cathédrale à Syracuse]] témoignent de cette époque{{sfn|Norwich|2018|p=29}}. L'histoire retient les noms des poètes [[Stésichore]], [[Épicharme]] et puis [[Théocrite]], de l'auteur de mime [[Sophron]], du philosophe [[Empédocle]]<ref name="Norwich28" />, des historiens [[Timée de Tauroménion]] que reprendra [[Diodore de Sicile]], du législateur [[Charondas (législateur)|Charondas]], des pionniers de la [[rhétorique]] [[Corax]], [[Tisias]] et [[Gorgias]]. Les [[Figurines en terre cuite grecques|figurines en terre cuite]] de [[Centuripe]], le [[Kouros]] en marbre de [[Grammichele]], les masques de théâtre de [[Lipari]] ou les gargouilles de calcaire du temple de la Victoire d'[[Himère]] expriment l'essor de la sculpture hellénique en Sicile.

Mais des divisions sociales fortes apparaissent entre les grands propriétaires, aristocrates descendant des colons, et le reste de la population, désormais majoritaire, parmi laquelle croît l'enrichissement des artisans et commerçants<ref name="leveque2" />. Malgré les tentatives de réforme des institutions oligarchiques, comme les lois de Charondas appliquées à Catane puis dans la plupart des cités chalcidiennes, les cités se laissent séduire, comme ailleurs dans le monde grec, par des dirigeants appelés « tyrans »<ref name=":21" /> : [[Panétios (tyran)|Panétios]] à [[Lentini|Leontinoï]] à la fin du {{sav|VII}}, [[Phalaris (tyran)|Phalaris]] à Acragas vers -570{{sfn|Norwich|2018|p=31}}, Pithagore et Euryléon à Sélinonte, Cléandre et [[Hippocrate de Géla|Hippocrate]] à Géla. [[Gélon]] s'empare du trône de ce dernier, avant de prendre le pouvoir à Syracuse, qu'il fortifie et enrichit, et domine l'essentiel de l'île avec son allié, [[Théron d'Acragas]], en écrasant les forces [[Carthage|carthaginoises]] appelées par [[Terillos]] d'[[Himère]] et d'{{noble|Anaxilas II}} de [[Rhêgion]] lors de la [[première guerre gréco-punique]] à [[Bataille d'Himère (480 av. J.-C.)|Himère]] ({{date-|-480}})<ref name="leveque3">Pierre Lévêque, [https://www.cairn.info/nous-partons-pour-la-sicile--9782130421191-page-73.htm « La Sicile grecque : les efforts d’unification de Gélon a Pyrrhos »], ''Nous partons pour… La Sicile'', Presses Universitaires de France, 1989, p. 73-84.</ref>. Les tyrans dynamisent l'économie et l'agriculture, engagent des grands travaux urbains, érigent des monuments prestigieux, concourent dans les courses de chevaux ou de chars à Delphes ou d’Olympie, s'entourent d'intellectuels et d'artistes<ref name=":21" />.

La chute de [[Polyzalos]] et [[Thrasybule de Syracuse|Thrasybule]], qui ont succédé à leur frère [[Hiéron Ier|Hiéron]], lui-même frère de Gélon et vainqueur sur les [[Étrusques]] à [[Bataille de Cumes|Cumes]], ouvre à la démocratie les cités siciliennes dans lesquelles le poids de la bourgeoisie commerçante croît. Les anciens mercenaires s'installent à [[Messine]]<ref name="leveque3" />.

[[Doukétios]] réveille l'identité sicule : il prend [[Morgantina]], installe sa capitale de sa fédération à [[Palikè]] aux dépens de [[Mineo|Ménai]], soumet [[Inessa]] et [[Motyon]]. Les pirates étrusques affaiblissent les forces de Syracuse qui s'allie à Agrigente contre Doukétios, vaincu à Noai ou Nomae en [[-450]]. Puis Syracuse se retourne contre Agrigente et rase Paliké, retrouvant son hégémonie sur l'île<ref name="leveque3" />.

Égeste et les cités chalcidiennes signent des traités d'alliance avec Athènes afin de contrecarrer la puissance de Syracuse. La Sicile devient un enjeu dans la [[guerre du Péloponnèse]] opposant [[Athènes]] à Sparte qui prend la défense de Syracuse<ref name="leveque3" />. En 427, Athènes soutient [[Lentini|Léontinoï]], alliée à Camarina, Catane et [[Rhêgion]], contre Syracuse appuyée par Gela, Himère, Sélinonte et [[Locri|Locres]]. [[Agrigente]] reste neutre. En 424, les cités belligérantes signent la [[congrès de Gela|paix de Gela]] après l'appel à l'union sicilienne contre l'ingérence athénienne prononcé par le Syracusien [[Hermocrate]]<ref name="fretigne54">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=54-55}}.</ref>.

Mais les hostilités reprennent rapidement : Syracuse détruit Lentinoï en -422, puis [[Sélinonte]] attaque Ségeste en [[-416]]<ref name="fretigne54"/>. Sous l'influence d'[[Alcibiade]], pupille de [[Périclès]], Athènes répond à l'appel de cette dernière. À ce moment de la guerre du Péloponnèse, la perte de l'[[Eubée (district régional)|Eubée]], et la défection de nombreux alliés d'Athènes ont rendu ses approvisionnements en blé précaires. La perspective de couper ceux des alliés siciliens de Sparte, tout en conquérant de nouvelles sources de ravitaillement a pu être un élément déterminant. L'[[expédition de Sicile]] prend la mer sous le commandement de [[Nicias]], d'Alcibiade et de [[Lamachos]] en juin [[-415]]. À peine en Sicile, Alcibiade doit retourner en Grèce et Lamachos est tué. Nicias reste seul à la tête de l'expédition contre Syracuse, défendu par [[Hermocrate]]. Le renfort de [[Gylippos]], général spartiate, et d'une flotte [[Corinthe antique|corinthienne]], fait perdre aux Athéniens la bataille des retranchements autour de la ville (octobre [[-414]]). Leur flotte est emprisonnée dans la rade et les secours commandés par [[Démosthène]] et [[Eurymédon (général)|Eurymédon]] sont défaits en août [[-413]] en mer à la bataille des [[Épipoles]], puis sur terre. Athènes perd plus de deux cents navires dans cette expédition, et cinquante mille hommes (dont sept mille prisonniers des [[Latomies]] de Syracuse).

Ségeste et Sélinonte poursuivent leur affrontement, la première se tournant en 410 vers Carthage qui missionne le général [[Hannibal de Giscon]], lequel, en 409, réduit Sélinonte en cendres tuant {{nombre|16000|habitants}} et écrase Himère dont il fait [[Immolation|immoler]] 3 000 prisonniers. Il revient avec son petit-neveu [[Himilcon]], conquiert [[Acragas]] abandonné par ses habitants réfugiés à Leontinoi en 406, puis Gela et Camarina en 405<ref name="leveque3" />. En réaction, Syracuse donne le pouvoir à [[Denys l'Ancien]] qui négocie une trêve avec les Carthaginois. Il reprend les hostilités contre les Phéniciens à trois reprises, notamment par le siège de Motyé en [[-397]] dont il fait tuer la plupart des habitants, mais doit conclure un [[Deuxième guerre gréco-punique|traité de paix]] par lequel les Carthaginois conservent, comme avant la guerre, le tiers occidental de la Sicile, comprenant Sélinonte et une partie du territoire d’Agrigente jusqu’au fleuve [[Platani|Halycos]]<ref name="leveque3" />.

Les affrontements réguliers et ravageurs entre Carthage et les cités grecques n'empêchent pas la présence de marchands carthaginois à Syracuse et grecs à Motyé, mais surtout une diffusion culturelle grecque dans les cités puniques : elles frappent des monnaies de type grec à partir du {{s-|V}}, Solonte est reconstruite selon un urbanisme et un habitat hellénique, des dieux grecs ont leurs temples à Motyé et même à Carthage, des vases grecs ornent les tombes puniques<ref>[[Pierre Lévêque (helléniste)|Pierre Lévêque]], « Les villes élymes et puniques de l’Ouest », ''La Sicile'', Presses Universitaires de France, 1989, pp. 101-120.</ref>…

Malgré ces conflits perpétuels au cours du {{s-|V}}, les villes croissent, la population atteint probablement son maximum antique, autour de {{nombre|1300000|habitants}}, de nouveaux temples sont érigés à Sélinonte, Agrigente, Syracuse, Himère et Égeste durant les 50 premières années, la céramique locale se développe dans les dernières décennies<ref name="leveque3" />.

Denys l'Ancien fait de Syracuse une cité puissante, rayonnant sur l'essentiel de la Sicile, mais aussi sur la Calabre, la [[Basilicate]] et sur des cités de la [[mer Adriatique]]. Son fils, [[Denys le Jeune]], lui succède en {{date-|-367}}, rapidement renversé par son oncle, [[Dion de Syracuse|Dion]], qui meurt trois ans plus tard, laissant la confusion à Syracuse et dans les autres cités et colonies qui en dépendent. Denys reprend le pouvoir jusqu'à être destitué par le [[Corinthe|Corinthien]] [[Timoléon]], qui capture également [[Mamercus de Catane]], crucifié, [[Hippôn]] de Messine, torturé à mort, [[Hicétas d'Agrigente|Hicétas]] de [[Lentini|Lentinoi]], mis à mort<ref name="Norwich54">{{Harvsp|Norwich|2018|p=54}}.</ref>. Il s'impose également face aux Carthaginois, lors de la [[bataille de Crimisos]] en [[-341]]. L'afflux d'immigrants d'Italie et de la Grande Grèce qu'il initie, entraîne un développement agricole de l'île et une prospérité qui se traduit par la construction de temples, de théâtres, édifices publics, fortifications<ref name="Norwich55">{{Harvsp|Norwich|2018|p=55-56}}.</ref>.

Au retrait de Timoléon, les désordres reviennent<ref name="leveque3" />. L'avènement d'[[Agathocle de Syracuse|Agathocle]] à Syracuse réveille les conflits entre les cités siciliennes et contre Carthage, qui domine toujours une petite partie de l'île, l'[[épicratie carthaginoise]]<ref name="leveque3" />. Sa mort en {{date-|-289}} laisse place à des tyrans locaux tel [[Phintias d'Agrigente]], qui détruit Gela pour 1500 ans mais échoue à s’emparer de Syracuse en 280<ref name="Norwich60">{{Harvsp|Norwich|2018|p=60}}.</ref>. À Messine, ce sont les [[Mamertin (Sicile)|Mamertins]], anciens mercenaires [[campaniens]] et [[osques]] d'Agathocle qui deviennent maîtres de la ville<ref name="leveque3" />.

Appelé par Agrigente, Syracuse et Léontinoi, {{noble|Pyrrhus Ier}}, roi d’[[Épire]] et gendre d'Agathocle, conquiert l'ensemble de l'île, exception faite de [[Lilybée]], forteresse carthaginoise dont il doit lever le siège après deux mois en {{date-|-277}} Reconnu [[Liste des rois de Sicile|roi de Sicile]]<ref name="Norwich60" />, il espère constituer ainsi un royaume unissant Grèce et Grande-Grèce pour égaler le pouvoir de Carthage et de Rome. Mais tandis qu'il cherche à constituer une grande flotte pour attaquer Carthage sur le sol africain, les Siciliens se retournent contre lui, préférant certains les Carthaginois, d'autres les Mamertins. C'est la fin de l'influence grecque sur la Sicile<ref name="leveque3" />.

Après le départ de Pyrrhus à l'automne 276 et sa défaite face aux Romains à [[Bataille de Beneventum|Bénévent]], {{noble|Hiéron II}}, ultime tyran hellénistique de l'île, dirige Syracuse durant 54 ans et domine la Sicile orientale, dont il développe l'agriculture et les exportations agricoles vers l’Égypte puis Rome<ref name="Norwich62">{{Harvsp|Norwich|2018|p=62}}.</ref>.

=== {{date-|-241}} - 535 : Sicile romaine ===
{{Article détaillé|Sicile (province romaine)|guerre servile}}

Ancien espace de luttes entre Grecs et Phéniciens, la Sicile devient à partir de {{date-|-264}} un important enjeu stratégique et économique des deux premières [[guerres puniques]] qui opposent Rome, conquérant de la botte italienne appelé par les Mamertins, à [[Carthage]], largement implanté en Sicile mais aussi maître de la Sardaigne et de la Corse. Syracuse s'incline devant l'armée d'[[Appius Claudius Caudex]] en {{date-|-263}}, [[Bataille d'Agrigente|Agrigente en -261]], ses {{unité|25000|habitants}} vendus comme esclaves par les Romains, qui font subir le même sort à presque autant d'habitants de [[Camarina]] et à {{unité|13000|habitants}} de [[Palerme|Panormos]]{{Sfn|Norwich|2018|p=63}}, pendant que les [[Sélinonte|Sélinontins]] préfèrent raser leur cité et s'exiler à Lilybée en -241<ref>Pierre Lévêque, « Sélinonte », ''La Sicile'', Presses universitaires de France, 1989, p. 121-142.</ref>. 
La première victoire navale de l'histoire romaine [[bataille de Mylae|à Mylae]] (-260), conduite par [[Caius Duilius]], est doublée par celle [[bataille du Cap Ecnome|du Cap Ecnome]] (-256), mais les Romains sont défaits [[Bataille de Drépane|au large de Drépane]] et échouent face à [[Hamilcar Barca]] à faire tomber les places carthaginoises de Sicile : [[Mont Pellegrino|Heircté]], [[Mont Éryx|Éryx]], [[Lilybée]]. 
La Sicile tombe finalement aux mains des [[Rome antique|Romains]] après la victoire du consul [[Caius Lutatius Catulus (consul en -242)|C. Lutatius Catulus]] en -241 aux [[Bataille des îles Égades|îles Égates]]. 
Dès lors, Carthage abandonne la Sicile qui devient, en dehors de Messine et Syracuse, alliées de Rome préservant leur indépendance, la première [[province romaine]], et la provenance principale du ravitaillement de Rome en céréales<ref name="leveque4">Pierre Lévêque, [https://www.cairn.info/nous-partons-pour-la-sicile--9782130421191-page-85.htm « La Sicile sous la domination romaine »], ''in'' ''Nous partons pour… La Sicile'', Presses universitaires de France, 1989, p. 85-96.</ref>.

{{noble|Hiéron II}} reste fidèle aux Romains pendant la [[deuxième guerre punique]], mais son petit-fils [[Hiéronyme de Syracuse|Hiéronyme]], également petit-fils de Pyrrhus, choisit en -215 le camp carthaginois, comme l'[[oligarchie]] qui prend place après son assassinat. 
Après une série de victoires d'[[Hannibal Barca|Hannibal]], le consul [[Marcus Claudius Marcellus (consul en -222)|Marcus Claudius Marcellus]] reprend l'offensive en massacrant les habitants d'Enna, détruisant [[Megara Hyblaea]], [[Siège de Syracuse (213 av. J.-C.)|pillant Syracuse]] en -212, après deux ans de résistance grâce au génie d'[[Archimède]], puis [[Marcus Valerius Laevinus]] vainc Agrigente. 
Les cités siciliotes disparaissent, Rome amorce son hégémonie méditerranéenne tandis que s'éteint la puissance de Carthage.
[[Scipion l'Africain|Scipion]] se fait attribuer la [[Sicile (province romaine)|province de Sicile]] qu'il réorganise et pacifie avant d'embarquer à [[Lilybée]] à la tête d'une importante flotte pour vaincre [[Carthage]] au [[Bataille de Zama|large de Zama]] en [[-202]]<ref name="leveque4" />. 
Toute la Sicile, y compris l'ancien royaume de {{noble-|Hiéron II}}, annexée à la province, est soumise à Rome<ref name="leveque4" />, et pour la première fois administrativement unifiée{{sfn|Frétigné|2018|p=110}}.

Sous la [[République romaine|République]], le gouverneur ([[Consul (Rome antique)|consul]] ou [[préteur]]) dirige l'île depuis l'ancien palais royal de Syracuse, aidé par deux [[Questeur (Rome antique)|questeurs]] pour l’administration financière, l'un à Syracuse, l'autre à Lilybée. 
La fiscalité des cités dépend de leurs alliances lors des guerres puniques : alors que [[Lentini]], [[Megara Hyblaea]] (rasée) et [[Morgantina]] (repeuplée par des mercenaires espagnols) disparaissent politiquement{{sfn|Frétigné|2018|p=88}} et que Syracuse, Lilybée et Éryx voient leurs territoires confisqués au profit du peuple romain (''civitates censoriae''), les alliées de Rome, Messine, [[Taormine|Tauroménion]] et [[Noto Antica|Neetum]] sont des cités fédérées, percevant leurs propres [[Dîme|dîmes]], mais soumises aux obligations militaires (''civitates foederatae'') tandis que [[Centuripe]], [[Halaesa]], [[Palerme|Panhormus]], [[Salemi|Halyciae]] et [[Ségeste]], sont libres et partiellement exemptes d’impôts (''civitates liberae et immunes''). 
Les autres cités sont soumises à la dîme en nature (''civitates decumanae''), alimentant ainsi Rome en blé et en orge<ref name="pallas">{{Article |prénom1=Julien |nom1=Dubouloz |prénom2=Sylvie |nom2=Pittia |titre=La Sicile romaine, de la disparition du royaume de {{noble-|Hiéron II}} à la réorganisation augustéenne des provinces |périodique=Pallas. Revue d'études antiques |numéro=80 |date=2009-10-01 |issn=0031-0387 |doi=10.4000/pallas.1774 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/pallas/1774 |consulté le=2020-02-16 |pages=85–125 }}</ref>, mais aussi en fruits, légumes, olives et vin<ref name="Norwich71">{{Harvsp|Norwich|2018|p=71-72}}.</ref>. 
Grâce au prélèvement d'un dixième des récoltes, la Sicile est alors, selon le mot de [[Caton l'Ancien]], {{citation|le magasin aux vivres de notre République, le pays nourricier de la plèbe romaine}}. {{Citation|Par ses fournitures de cuirs, de tuniques, de froment, elle a vêtu, nourri, équipé nos armées}}, considère [[Cicéron]]. 
En effet, les Romains ont accru le peuplement rural et l'agriculture extensive se développe dans de vastes propriétés aux mains de puissants Romains, qui tirent profit à distance de l'essor de la culture du blé dans les plaines, et de l'élevage (chevaux, bœufs, moutons) dans les régions montagneuses<ref name="leveque4" />. Cependant, la petite et moyenne propriété reste majoritaire sous la République<ref name=":13">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=91}}.</ref>.

Parmi les 600000 à un million de Siciliens, les Romains ne sont probablement pas plus de 10 000<ref name=":13" />. Le nombre d'esclaves lui, s'accroit du fait des nombreux hommes et femmes vendus après la chute de Carthage et de [[Corinthe]], et de la baisse de leur prix{{sfn|Frétigné|2018|p=93}}. 
Souvent désœuvrés et parfois affamés, se livrant au brigandage, ils engagent la [[première guerre servile]] (135-132) partie d'Enna avant d'essaimer dans toute l'île. 
Les esclaves menés par [[Eunus]] et soutenus par le peuple des campagnes dont beaucoup partagent la langue grecque, résistent aux armées romaines{{sfn|Frétigné|2018|p=94-95}}. 
Quand le consul [[Publius Rupilius]] parvient à écraser la révolte, il privilégie la petite propriété et limite l’extension des latifundia qui deviennent toutefois la norme sicilienne. 
Une [[deuxième guerre servile]] éclate en {{date-|-104}} lorsque le Sénat affranchit une poignée d'esclaves. 
[[Athénion]] et [[Salvius Tryphon]] rassemblent 30 000 hommes qui ne se rendent qu'après quatre ans de lutte. 
Restés à l'écart de la [[Guerre sociale (Rome)|guerre sociale]] et de la [[Troisième guerre servile]], les Siciliens contestent en revanche le pouvoir de leur propréteur, [[Verres]], qui instaure durant deux ans un système de fraude, de corruption, de justice arbitraire et de pillage, et qui s'enfuit en [[-70]] à [[Marseille antique|Marseille]] après la première plaidoirie de leur avocat, [[Cicéron]], ancien questeur à Lilybée<ref name="leveque4" />.

À la mort de César, qui a accordé le [[Citoyenneté romaine|droit latin]] à l'île en -46, [[Sextus Pompée]], fils de [[Pompée]], s'oppose au [[second triumvirat]] en se rendant maître de [[Messine]] puis l'essentiel de l'île en [[-44]]. La Sicile devient sa base de résistance via un blocus sur l'approvisionnement en blé de la péninsule et le ravitaillement des armées dans les Balkans. Il négocie avec les triumvirs le [[Paix de Misène|traité de Misène]] en [[-39]] qui reconnait sa souveraineté sur la Sicile, la Corse et la Sardaigne. 
Mais après deux tentatives infructueuses d'invasion en [[-38]] et [[-37]], [[Auguste|Octave]] dépêche en [[-36]] [[Marcus Vipsanius Agrippa|Agrippa]] qui défait Sextus lors de la [[Bataille de Nauloque]], contraignant le vaincu à fuir en Orient{{Sfn|Norwich|2018|p=83-85}}. 
Le conflit laisse l'île désolée, des villes pillées, des populations déplacées, comme à Taormina, 6000 esclaves crucifiés, plus de 270 000 militaires stationnés{{Sfn|Frétigné|2018|p=103}}.

Octave, en réponse au soutien des Siciliens aux Pompéiens, revient en [[-36]] sur la promesse de [[Marc Antoine]] en [[-44]] d'accorder la citoyenneté romaine à tous les hommes libres<ref name="pallas" />. 
Une nouvelle révolte d'esclaves, menée par Sélurus, livre la région de l’Etna au brigandage, jusqu'à la mort de leur chef, livré aux fauves à Rome en [[-35]].

Aux prémices de l'Empire d'Octave, devenu [[Auguste]] en [[-27]], la Sicile est l'une des dix [[Province sénatoriale|provinces sénatoriales]]<ref name="leveque4" />. 
Des vétérans s'installent à Syracuse, Catane, Tauroménion et Tyndaris, et de grands domaines sont donnés à de hauts dignitaires et officiers fidèles. Auguste visite l'île en -22<ref name="leveque4" />, et accorde le statut de colonie, donc de [[Citoyenneté romaine|citoyen romain]] à leurs habitants, à ces quatre cités ainsi qu'à [[Termini Imerese|Termini]] et Panormos{{sfn|Norwich|2018|p=89}}. Lilybée et Agrigente reçoivent le statut de [[municipe]]{{sfn|Frétigné|2018|p=104}}.

A cette époque, Strabon constate le dépeuplement des villes de l'intérieur se dépeuplent, tel qu'[[Enna]] depuis la défaite d'Eunus. Sur la côte est, Catane et Tauromenium ont également décliné, et au sud, la côte ne compte plus qu'Agrigente et Lilybée. Les campagnes, laissées aux bergers, deviennent les propriétés de riches Romains<ref name=":14">{{StrGéo|lien=https://mediterranees.net/geographie/strabon/VI-2.html}}</ref>, dont des empereurs et des hommes d’État<ref name="leveque4" />. 
L'agriculture sicilienne devient à l'intérieur des terres celle des vastes [[Latifundium (Antiquité)|latifundia]] dédiées à la monoculture céréalière qui marqueront défavorablement l'économie agricole de l'île jusqu'au {{s-|XX}}<ref name="Norwich71" />, et ses rendements progressent grâce à la science, malgré la concurrence de l'Afrique et l’Égypte pour la fourniture du blé à Rome<ref name="leveque4" />. 
Selon le témoignage de [[Strabon]], la Sicile {{Citation|exporte à Rome tous ses produits, sauf une petite quantité réservée pour sa propre consommation ; […] les fruits de la terre, mais aussi le bétail, le cuir, la laine, etc.}}<ref name=":14" />. 
Les marchandises transitent par deux routes romaines, la [[Via Valeria]], de Messine à Lilybée, et la [[via Pompeia]], entre Messine et Syracuse.

Une éclipse politique marque l'île sous le [[Haut-Empire romain|Haut-Empire]]. Mais, profitant de la fin des conflits séculaires, les lieux de spectacle renaissent pour abriter les jeux de l’amphithéâtre, comme à Syracuse et à Tauroménion. Cités et campagnes s'agrémentent de villas, thermes, gymnases et nymphées. La [[Vénus Landolina]] et le sarcophage de Phèdre et Hippolyte de la [[Cathédrale d'Agrigente|cathédrale d’Agrigente]] témoignent de l'influence persistante de la culture grecque dans la sculpture sicilienne romanisée du {{s-|II}}, qui survit également par un trilinguisme (sicule, grec et latin)<ref name="leveque4" />. Syracuse et l'Etna attirent de la haute société romaine, à l'image de l'empereur [[Hadrien]] en 125 {{apjc}}{{sfn|Norwich|2018|p=91}}. Les cités de l'ouest, comme Panormos, Lilybée, Termini et [[Héracléa Minoa]], mais aussi Catane à l'est, se développent, et les villas rurales, à l'instar de la [[Villa romaine de San Biagio|villa de San Biagio]] puis la [[Villa romaine du Casale|villa del Casale]], remplacent les nombreuses fermes{{sfn|Frétigné|2018|p=111}}. Les maisons urbaines et les édifices publics conservent les traditions grecques.

L'[[édit de Caracalla]] accorde la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de Sicile en 212<ref name="leveque4" />. 
Mais la [[Crise du troisième siècle]] affecte la Sicile comme le reste de l'Empire : en 265, les esclaves se révoltent une nouvelle fois, et en 278, des pirates francs d'Orient ravagent Syracuse<ref name="leveque4" />. 
Pourtant, la campagne sicilienne retrouve un important rôle d'approvisionnement de Rome, et la croissance démographique et économique qui en découlent, accentuée encore par la perte du [[diocèse d'Afrique]] en 432. 
Lors de la [[division de l'Empire romain]] définitive en 395, la Sicile intègre l’[[Empire romain d’Occident]]<ref name=":22">Éric Biagi, « Repères historiques », ''La pensée de midi'', 2002/2 (N° 8), p. 16-17. {{Lire en ligne|lien=https://www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2002-2-page-16.htm}}</ref>.

Si l'apôtre [[Paul de Tarse|Paul]] a séjourné trois jours à Syracuse, et que la tradition évoque comme évangélisateurs de la Sicile les évêques [[Marcien de Syracuse|Marcien]], [[Pancrace de Taormina|Pancrace]], et [[Birille de Catane|Birille]] envoyés par [[Pierre (apôtre)|Pierre]], il semble que les [[Chrétien|chrétiens]] n'apparaissent sur la côte est de l'île qu'aux {{sp-|II|-|III|s}}. 
Dans un pays traditionnellement ouvert au [[syncrétisme]] religieux{{sfn|Frétigné|2018|p=117-118}}, les temples païens muent en églises, des sépultures collectives comme la [[catacombe de Santa Lucia]] de [[Syracuse]] se constituent, des cultes de martyrs ([[Marcien de Syracuse]], [[Agathe de Catane]] puis [[Lucie de Syracuse]]) émergent<ref name="leveque4" />, le monachisme apparaît après le passage de [[Hilarion de Gaza]]{{sfn|Frétigné|2018|p=120}}. 
L’évêque de Syracuse assiste au [[Concile d'Arles (314)|concile d’Arles]] en 313, et sa religion se diffuse rapidement dans toute l'île durant le siècle<ref name="leveque4" /> jusqu'à sa christianisation totale à la fin du {{s-|V}}, alliant subordination administration à l'église romaine et influence liturgique orientale. 
[[Donatisme]], [[pélagianisme]], [[arianisme]], [[nestorianisme]] et [[monophysisme]] sont présents en Sicile sans s'y implanter, les évêques restant tous fidèles à la doctrine romaine{{sfn|Frétigné|2018|p=119}}.

Après le [[Sac de Rome (410)|Sac de Rome]] par [[Alaric Ier|Alaric]], une partie de l'élite romaine se réfugie sur ses latifundia siciliens{{sfn|Frétigné|2018|p=121}}. 
Les [[Vandales]] de [[Genséric]] débarquent à [[Lilybée]] au printemps 440, assiègent vainement Palerme et pillent Syracuse. Retournés en Afrique, ils affrontent les troupes de [[Marcellinus (général du Ve siècle)|Marcellinus]] et [[Ricimer]] après la mort de {{noble|Valentinien III}} et prennent possession de l'île en 468, avant de la remettre en 476 à [[Odoacre]], en conservant Lilybée jusqu'en 486<ref name=HureByz>{{Harvsp|Huré|1975|loc=« Les Barbares. Reconquête et domination byzantines »| p=55-62}}</ref>.

Après l'Italie, les [[Ostrogoths]] conquièrent la Sicile en 491 et la laissent prospérer en paix, installant des soldats à Syracuse, Messine et Lilybée<ref name=HureByz/>.

== Moyen Âge ==
=== 535 - 902 : Sicile byzantine ===
{{Article détaillé|Italie byzantine|Sicile (thème)}}
Byzance a soutenu Rome contre les Vandales par des opérations en 441, 458 et 468{{sfn|Frétigné|2018|p=122}}. Le nouvel [[Empire byzantin|empereur d'Orient]], [[Justinien]], sur le trône en 527, s'engage dans une [[Guerre des Goths (535-553)|opération de reconquête de l'Italie]], menée par le général [[Bélisaire]] qui débarque à [[Catane]] en {{date-|juin 535}} après avoir commandé l'[[Guerre des Vandales|expédition victorieuse contre les Vandales]] en Afrique du Nord. L'expédition sicilienne, justifiée par l'assassinat de la reine [[Ostrogoths|ostrogothique]] [[Amalasonte]], débute par l'occupation de la Sicile et la [[Prise de Palerme (535)|prise de Palerme]] par le port, seule place à montrer quelque résistance. L'île devient une base arrière des opérations militaires romaines contre l'Italie péninsulaire. Le roi [[ostrogoths|ostrogoth]] [[Totila]] tente de reprendre l'île et la saccage en mai 550. Ses hommes en sont définitivement chassés par le général [[Artabanès]] en 551<ref name=HureByz/>.

Dirigée par un [[Gouverneur romain|gouverneur civil]] ([[préteur]] ou préfet) et un commandant militaire (duc) envoyés de [[Constantinople]], la Sicile, à laquelle sont rattachés les îles [[Îles Égades|Égades]], [[Îles Éoliennes|Éoliennes]], [[Île d'Ustica|Ustica]], [[Pantelleria (île)|Pantelleria]] et [[Malte (île)|Malte]]{{Sfn|Frétigné|2018|p=131}}, semble avoir un statut particulier, {{citation|sorte de domaine privé de l’empereur}} distinct de la [[Préfet du prétoire#Préfecture du prétoire d'Italie|préfecture du prétoire d'Italie]] puis de l'[[exarchat de Ravenne]]<ref name=HureByz/>. Les villes demeurent la base de l'administration sicilienne, gérées par l'assemblée de citoyens que dominent les grands propriétaires<ref name=guillou>{{Chapitre|langue=fr|prénom1=André|nom1=Guillou|titre chapitre=Géographie administrative et géographie humaine de la Sicile byzantine ({{s mini-|VI}}-{{s mini-|IX}} s.)|titre ouvrage=Philadelphie et autres études|éditeur=Éditions de la Sorbonne|collection=Byzantina Sorbonensia|date=2016-12-15|isbn=978-2-85944-839-4|lire en ligne=http://books.openedition.org/psorbonne/2153|consulté le=2020-03-14|passage=133–139}}.</ref>. Mais elles perdent de leur attrait et se dépeuplent au bénéfice de petites agglomérations rurales, voire des [[Habitat troglodytique|villages troglodytes]]. Les [[Latifundium (agriculture)|latifundia]] dominent toujours le système agricole qui, sous l'influence du [[christianisme]], utilise de moins en moins l'[[Esclavage dans l'Antiquité|esclavage]] au profit d'une forme de [[servage]] (''énapographoi'') et de [[salariat]] libre (''misthôtoi éleuthéroi'')<ref name=HureByz/>.

L'[[Liste des empereurs byzantins|empereur byzantin]] et les [[Papauté byzantine|églises de Ravenne, Milan et de Rome]] sont les principaux propriétaires fonciers de l'île. L'estimation classique qui donne à la seule [[Église catholique|église de Rome]] la possession de six à huit cent mille hectares est contestée par Vivien Prigent, qui la rabaisse à quatre-vingt mille hectares<ref>{{Article|prénom1=Vivien|nom1=Prigent|titre=La Sicile byzantine, entre papes et empereurs (6ème-8ème siècle)|périodique=Zwischen Ideal und Wirklichkeit: Herrschaft auf Sizilien von der Antike bis zur Frühen Neuzeit |date=février 2019 |lire en ligne=https://www.academia.edu/6157759/La_Sicile_byzantine_entre_papes_et_empereurs_6%C3%A8me_8%C3%A8me_si%C3%A8cle_dans_D_Engels_L_Geis_et_M_Kleu_%C3%A9d_Zwischen_Ideal_und_Wirklichkeit_Herrschaft_auf_Sizilien_von_der_Antike_bis_zur_Fr%C3%BChen_Neuzeit_Stuttgart_p_201_230 |consulté le=2020-10-18 |pages=213-214}}.</ref>. Restée un grenier à blé aux {{s2-|VI|VII}}, la Sicile cultive aussi la vigne, produit grâce à ses pinèdes et des chênaies du bois pour les charpentes et la construction navale, élève des chevaux pour l'armée<ref name="cheynet">{{Lien web|titre=Jean-Claude Cheynet, La Sicile byzantine - Clio - Voyage Culturel|url=https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/la_sicile_byzantine.asp |site=www.clio.fr|date=2003|consulté le=2020-03-20}}</ref>, et commerce du Proche-Orient jusqu'au [[bassin aquitain]]{{sfn|Frétigné|2018|p=132}}.

Sous l'[[Italie byzantine|autorité romaine d'Orient]], l'évêque est déjà l'homme puissant de la cité<ref name="guillou" />, car l'île est rattachée à l’[[Église romaine]] à laquelle elle fournit plusieurs papes, souvent d'origine grecque : [[Agathon (pape)|Agathon]], {{noble|Léon II (pape)}}, [[Conon (pape)|Conon]], {{noble|Serge Ier (pape)}} ou {{noble|Étienne III (pape)}}. Le futur pape {{noble|Grégoire Ier}}, Sicilien par sa mère [[Sylvie de Rome|Sylvie]], fonde en 575 six monastères sur des terres dont il a hérité près de Palerme<ref name=":15">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=134}}.</ref>. La Sicile qui compte alors douze diocèses : [[Syracuse]], [[Léontinoi]], [[Catane]], [[Taormine]], [[Messine]], [[Tyndaris|Tyndarion]], [[Palerme]], [[Lilybée]], [[Caltabellotta|Trokalis]], [[Agrigente]], [[Lipari]], [[Malte]], auxquels s’ajoutent au {{s-|VII}} [[Termini Imerese|Thermai]] et [[Milazzo|Mylae]]<ref name="guillou" />. 

Le représentant du [[Patriarche d'Occident|patriarche de Rome]] est l’[[Diocèse de Syracuse|évêque de Syracuse]]. Les paroisses utilisent autant le [[rite romain]] que [[Rite grec|grec]], mais n'adhèrent pas aux [[christianisme oriental|dogmes chrétiens orientaux]] du [[monothélisme]] ou de l'[[iconoclasme]]. Cependant l'empereur {{noble|Léon III l'Isaurien|}}, par souci de faire face aux succès de l'[[islam]] et du monothélisme, décide d'adopter l'iconoclasme, forme plus épurée du christianisme et, face à la résistance de l'église romaine en Sicile, confisque ses biens et rattache l'île au [[patriarche de Constantinople]] en 732<ref name=HureByz/>.

Même si les [[Langues romanes|parlers romans]] populaires progressent, la langue grecque était restée courante dans le sud de l'Italie et en Sicile<ref name=HureByz/>, terres d'exil forcé ou choisi de Goths, de Romains, d'Africains, d’Alexandrins [[Monophysisme|monophysites]], de Syriens et de Grecs du [[Péloponnèse]], et creusets culturels<ref name="guillou" /> dans lesquels latin et grec sont couramment compris par beaucoup d'habitants<ref name=HureByz/>. L’hellénisation s'accentue au {{s-|VII}} sous l'effet de migrations orientales et de nominations impériales, mais aussi du retour au premier plan de la minorité grecque sicilienne et du développement du [[Règle de saint Basile|monachisme grec]] autour du [[monastère Saint-Philippe d'Agira]]<ref name=":16" />. Les hellénophones occupent des dignités religieuses et prévalent dans les monastères de Syracuse, puis s'imposent dans les chancelleries épiscopales siciliennes à la veille de l'application du [[rite byzantin]] sur l'île<ref name="guillou" />, décision qui finit par y assoir la primauté de la culture grecque<ref name=HureByz/>. [[Joseph l'Hymnographe]] et les patriarches {{noble|Méthode Ier de Constantinople}} et [[Oreste de Jérusalem]] figurent parmi les siciliens de l'église d'Orient. Pourtant, les locuteurs grecs semblent diminuer à l'époque de [[Grégoire Ier|Grégoire le Grand]] où l'hellénisme ne persiste qu'autour de Syracuse<ref name=":16">{{Chapitre|auteur1=[[Jean-Marie Martin (historien)|Jean-Marie Martin]]|titre chapitre=L'Italie byzantine (641-1071)|auteurs ouvrage=Jean-Claude Cheynet éd.|titre ouvrage=Le monde byzantin {{II}}. L'Empire byzantin (641-1204)|éditeur=Presses universitaires de France|année=2006|isbn=|lire en ligne=https://www.cairn.info/le-monde-byzantin-II--9782130520078-page-473.htm|passage=473-494}}.</ref>

L'empereur {{noble|Constant II}} installe la capitale de l'Empire à [[Syracuse]] en 663, possiblement pour mieux lutter contre les [[Lombards]] et les Arabes<ref name=":16" />, mais au prix d'une forte imposition des Siciliens{{sfn|Norwich|2018|p=98}}. Son fils, {{noble|Constantin IV}}, ramène son administration centrale à Constantinople et vainc l'usurpateur [[Mezezios]] et son fils en Sicile.

Sous le premier règne de {{noble|Justinien II}}, la Sicile est érigée en [[Thème (Empire byzantin)|thème]] (après 687), lequel comprend le [[Duché de Calabre (Empire byzantin)|Duché de Calabre]], et est divisé sur l'île en trois ou cinq « [[Turme|tourmes]] » (Syracuse, Palerme, Agrigente, voire Messine et Catane) et en « [[Drongos|drongues]] ». La Sicile devient une [[province ecclésiastique]] dont le [[métropolite]] coordonne depuis [[Syracuse]] les quatorze évêchés [[suffragant]]s : Catane, Taormine, Messine, Agrigente, Triokala, Lilybée, [[Drépanon]], Palerme, Thermai, [[Cefalu]], [[Tusa (Messine)|Alesa]], [[Tyndaris|Tyndarion]], Malte et Lipari. Catane accède plus tard au statut d'archevêché, puis de métropole, comme ensuite Messine, alors que Taormine devient archevêché<ref name="guillou" />. 

La civilisation rurale se développe au détriment des villes à la faveur de la mutation de l'armée, dont les soldats ne sont désormais soldés qu'en service et sont paysans le reste du temps. Des villages fortifiés, les ''castra'', permettent de se protéger des premiers raids arabes{{sfn|Frétigné|2018|p=133}}. L'île compte deux ateliers monétaires à Catane et Syracuse, ce dernier étant le plus important de l'Empire après celui de la capitale<ref name=":15" />.

Des [[Romaniotes|communautés juives]] existent à Palerme, Agrigente et Catane depuis le {{s-|VI}}. Les premiers marchands arabes s'établissent en Sicile au début du {{s-|IX}}<ref name=guillou/>.

Serge, stratège de Sicile, fait proclamer empereur un certain Basile sous le nom de [[Tibère]] en 718, mais est rapidement démis par le patrice Paul dépêché par l'empereur légitime, {{noble-|Léon III}}. En 782, [[Elpidius]], gouverneur de la Sicile, s'oppose au pouvoir de l'impératrice [[Irène l'Athénienne|Irène]] et fuit vers le [[califat abbasside]] où il se proclame empereur byzantin<ref name="HureByz" />. En 827, c'est [[Euphémios]], amiral de la [[marine byzantine]] de Sicile qui se révolte contre {{noble|Michel II (empereur byzantin)}} et se proclame empereur : il demande l'aide des Arabes qui conquièrent la Sicile alors que lui meurt en assiégeant Enna<ref name=":16" />.

La vitalité démographique et économique de l'île décline à partir du milieu du {{s-|VIII}}, sous l'effet de la peste (tardivement, en 745-746), du renforcement de la route commerciale [[Mer Adriatique|adriatique]] au détriment de la [[Mer Tyrrhénienne|tyrrhénienne]], des changements géopolitiques de l'Empire et des [[razzia]]s arabes<ref name=":15" />.

L'invasion arabe soumet mais n'extermine pas les chrétiens : la hiérachie et de nombreux moines basiliens fuient en [[Calabre]]<ref name=":16" />, et le primat de Sicile est assumé par le métropolite de [[Reggio de Calabre|Reggio]]<ref name="guillou" />.

=== 827 - 1091 : Sicile musulmane ===
{{Article détaillé|Conquête musulmane de la Sicile|Émirat de Sicile}}

Les [[razzia]]s arabes sur les côtes siciliennes commencent dès le {{s-|VII}}, à partir de l'attaque des côtes et des terres en 652 par les hommes du [[calife]] [[Othmân ibn Affân]] et du pillage de Syracuse en 669. Après la prise de [[Pantelleria (île)|Pantelleria]] en 700<ref>{{Ouvrage|langue=it|titre=Quaderni Di Semantica|éditeur=Società editrice il Mulino|date=1987|lire en ligne=https://books.google.fr/books?hl=fr&id=VWwuKmfvKuIC|consulté le=2020-05-22}}</ref>, elles se poursuivent par des attaques en 704 puis entre 727 et 740<ref name=":0">« II. Tableaux chronologiques », dans ''L'expansion musulmane. {{sp-|VII|-|XI|s}}'', Robert Mantran (dir.), Paris, Presses universitaires de France, « Nouvelle Clio », 2001, p. 35-53. {{lire en ligne|lien=https://www.cairn.info/l-expansion-musulmane-vii-xi-siecle--9782130441816-page-35.htm}}</ref>, quand les musulmans assiègent Syracuse<ref name=HureMus>{{Harvsp|Huré|1975|loc=« Domination arabe »|p=63-68}}.</ref>.

Les raids reprennent au début du {{s-|IX}}, et l'émir [[Aghlabides|aghlabide]] Ziadet-Allah de [[Kairouan]] dépêche son câdi [[Assad ibn al-Furat]] à la tête d'une armée à la demande du rebelle byzantin [[Euphèmios]]. Il est probable que l'objectif initial des faqîh de Kairouan d'un simple raid de représailles ait été détourné par la volonté d'Assad de conquérir l'île<ref name="prigent2">V. Prigent, « La carrière du tourmarque Euphèmios, basileus des Romains », ''Histoire et culture dans l’Italie byzantine. Acquis et nouvelles recherches'', éd. A. Jacob, Rome, 2006 (CEFR, 363), p. 279-317</ref>, lequel troque l'expérience militaire contre une glorification du [[djihad]]{{Sfn|Frétigné|2018|p=142}}. Les [[Aghlabides]] débarquent à [[Mazara del Vallo]] en 827, prennent [[Mineo]] et [[Agrigente]] mais échouent à faire tomber [[Syracuse]], devant laquelle meurt Asad, et [[Enna]], où est tué Euphémios. Grâce à l'appui de 300 vaisseaux envoyés par les [[Omeyyades de Cordoue|Omeyyades]] de l'[[émirat de Cordoue]] en 830, Palerme tombe en 831 aux mains des musulmans qui en font leur capitale. Messine est prise en 842 ou 843, Enna en 859, Syracuse en 878 à l'issue d'[[Siège de Syracuse (877-878)|un siège de neuf mois]], [[Taormine]] en 902<ref name=HureMus/>{{,}}<ref name=":0" />, [[Rometta]] en 965<ref name=":16" />. Après un siècle et demi de conquête, les musulmans dominent enfin toute la Sicile<ref name=":0" />.

La Sicile passe, en 916, sous contrôle des [[Fatimides]]<ref name=":0" /> conquérants de l'Afrique du Nord appuyés par les [[Kabyles]] de la tribu [[Ketamas|Kutâma]]. Les [[Kalbites]] des Banû Abî l-Husayn en deviennent les émirs héréditaires quasiment indépendants jusqu'en 1040<ref name=HureMus/>.

Moyennant le paiement de la ''[[djizîa]]'' ([[impôt par tête]]) et du ''[[kharâj]]'' ([[impôt foncier]] augmenté), les juifs et chrétiens bénéficient d'une relative tolérance religieuse par le statut de ''[[dhimmi]]'' et sont exemptés de service militaire conformément à la ''[[charia]]''<ref name=HureMus/> : selon [[Michele Amari]], {{citation|il est interdit au dhimmi de porter les armes, de monter à cheval, de mettre des selles sur les ânes et mulets ; de construire des maisons plus grandes ou même aussi grandes que celles des musulmans ; de porter des prénoms musulmans ou d'utiliser des cachets avec le lettrage arabe. Par ailleurs, il leur était interdit de boire du vin en public, d'accompagner leurs morts au cimetière avec la pompe funèbre et les lamentations. Il était interdit aux femmes d'entrer dans les bains publics fréquentés par les femmes musulmanes, ou de rester si des femmes musulmanes arrivaient. Et afin qu'il n'oublie à aucun moment son statut inférieur, le dhimmi devait inscrire sur sa porte une marque distinctive, porter également un signe distinctif sur ses vêtements, utiliser des turbans avec une couleur distincte et surtout porter une ceinture en cuir ou en laine. Dans la rue, il devaient laisser le passage aux musulmans. S'ils étaient assis en groupe, ils devaient se lever à l'arrivée ou au départ d'un musulman. [Était interdite] la construction de nouvelles églises et monastères, mais non la restauration des bâtiments, […] de montrer des croix en public, de lire l'Évangile si fort que les musulmans pourraient l'entendre, de parler avec eux du Messie ; ou de faire sonner les cloches vigoureusement ou de frapper dans les mains bruyamment.}}<ref>[[Michele Amari]], ''Storia dei musulmani di Sicilia'', vol. I, 1854.</ref>

Aux {{s2|X|XI}}, de nombreux [[Colon (personne)|colons]] arabes et [[berbères]] s'installent, principalement dans le [[Val di Mazara]], pour fuir les conflits et les famines d'Afrique du Nord. La rivalité entre ces deux peuples les amène majoritairement à s'installer dans deux zones distinctes : les premiers à Palerme, les seconds à Agrigente. Des musulmans arrivent également d'Espagne, de Syrie, voire de Perse et d'Inde, créant une hétérogénéité et des tensions<ref name=":17">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=146}}</ref>. L'ouest de l'île compte de nombreux convertis, l'est demeure majoritairement chrétien mais la relation avec Rome ou Constantinople est coupée<ref name=":18">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=148}}</ref>.

La Sicile connaît alors une certaine influence orientalisante dans la musique, la cuisine, les arts décoratifs et l'artisanat céramique. Les fouilles (Ségeste, Palerme, Val di Noto) prouvent une continuité de l’habitat, de l'urbanisme et de l'artisanat entre les périodes romaine d'Orient et musulmane<ref name=":1" />. L{{'}}''[[incastellamento]]'' concentre la population dans une centaine de villes fortifiées, dotées d'un château et d'une mosquée<ref name=":19">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=150}}.</ref>.

L'introduction du [[chiisme]] comme religion d’État<ref name=":1">{{Article |prénom1=Henri|nom1=Bresc|titre=Conclusions |périodique=Mélanges de l'école française de Rome|volume=116|numéro=1|date=2004|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9883_2004_num_116_1_8867|consulté le=2020-05-24 |pages=501–510}}.</ref> accntue cette influence. Les filles nées des mariages mixtes qui se multiplient, sont élevées dans la religion chrétienne, les garçons dans l'islam. Une langue arabo-sicule se forme et donnera au [[sicilien]] un lexique de termes agricoles<ref name=":18" />.

Un renouveau agricole permet l'émergence d'une classe rurale des petits propriétaires libres née du morcellement partiel des [[Latifundium (Antiquité)|latifundia]] à l'Ouest<ref name=":19" />. L'irrigation est améliorée et de nouvelles cultures ([[mûrier]], [[canne à sucre]], [[oranger]], [[palmier dattier]], [[coton]]<ref name=HureMus/>, [[aubergine]], épinard, fraise, artichaut, [[abricotier]]<ref name=":19" />, [[Cyperus|papyrus]], [[Melon (plante)|melon]], [[Pistache|pistaches]], [[henné]]) sont introduites. Les industries minière et textile avec la soie se développent selon le modèle économique des principautés d'Orient : production agricole destinée au marché et au palais, en particulier le coton, la soie et les produits de luxe. Les Arabes ayant la maîtrise de la Méditerranée, la Sicile est au centre d'un système commercial maritime allant de l'Espagne à la Syrie, et Palerme qui s'impose face à l'antique Syracuse, devenant un port commercial fréquenté par les marchands méditerranéens{{sfn|Norwich|2018|p=100}}.

Au début du {{s-|XI}}, débute une grave crise politique. En 998, l'émir de Sicile, Youssouf al-Kalbi nommé par le calife fatimide du Caire, est atteint d'une hémiplégie. Affaibli, il est secondé par son fils Dja'far qui est contesté en 1014-1015 par son frère, Ali, soutenu par les Berbères et les esclaves noirs. Les soldats de Dja'far attaquent les rebelles le 30 janvier 1015, font de nombreuses victimes et capturent le prince Ali, exécuté sur ordre de son frère qui exile tous les Berbères de Sicile en Ifriqiya et massacre tous les [[Traite orientale|esclaves noirs]]. Il n'incorpore plus que des Siciliens dans son armée qui s'émousse<ref name=":6">{{Chapitre|prénom1=Pierre|nom1=Guichard|titre chapitre=[6]. Un monde fragile : la crise sicilienne de 1014-1035 et l'éclatement politique de l’île|titre ouvrage=L'Espagne et la Sicile musulmanes : Aux xie et xiie siècles|éditeur=Presses universitaires de Lyon|collection=Collection d’histoire et d’archéologie médiévales|date=2019-11-05|isbn=978-2-7297-1065-1|lire en ligne=http://books.openedition.org/pul/18942|consulté le=2020-06-19|passage=45–47}}</ref>.

Face aux dîmes trop fortes et au pouvoir de leurs dirigeants, les Siciliens assiègent le palais de l'émir, en mai 1019, qui démet Djafar au profit d'un autre de ses fils, Ahmad al-Akhal, et rejoint l’Égypte après Dja'far. Al-Akhal soutient une politique militaire contre les infidèles hors de l'île et s'allie les Ifriqiyens de l'île contre les Siciliens, les exonérant d'impôts sur leurs propriétés. En 1035-1036, les musulmans siciliens vont à Kairouan se plaindre auprès de l'émir ziride [[Al-Muizz ben Badis]] et se placer sous son autorité directe, menaçant de livrer le pays aux chrétiens. Al-Mu'izz envoie son fils 'Abd Allah, qui assiège al-Akhal dans la Khalisa de Palerme. Mais une partie des Siciliens se retourne contre les Zirides qui, battus, perdent huit cents hommes. Hasan al-Samsam, frère d'al-Akhal, devient gouverneur mais est rapidement expulsé de Palerme quand des caïds indépendants prennent le pouvoir dans les cités de l'île : 'Abd Allah b. Menkut à Mazara, Trapani et autres lieux ; 'Ali b. Ni'ma ou Ibn al-Hawwas à Castrogiovanni, Agrigente et autres lieux ; Ibn al-Thimna, époux de la sœur du précédent, à Syracuse et à Catane… Ibn al Thimna assiège son beau-frère à Castrogiovanni mais doit se retirer jusqu'à Catane<ref name=":6" />

Les Romains d'Orient profitent de ces querelles dynastiques pour lancer, en 1037, une nouvelle expédition de reconquête qu'ils confient au général [[Georges Maniakès]]. Appuyés par {{unité|15000|chrétiens siciliens}} et des mercenaires [[normands]] prêtés par le prince lombard [[Liste des princes de Salerne|{{noble-|Guaimar IV}}]] de [[Salerne]], ils prennent Messine et plusieurs places autour de l'Etna. Mais le rappel du général Maniakès à Constantinople permet aux Arabes de regagner en 1042 toutes les places perdues{{Sfn|Frétigné|2018|p=155}}.

=== 1060 - 1194 : Sicile normande ===
{{Article détaillé|Conquête normande de l'Italie du Sud|Comté de Sicile|Royaume de Sicile}}
Une fratrie de hobereaux normands, fils de [[Tancrède de Hauteville (seigneur du Cotentin)|Tancrède de Hauteville]], se constitue dans l'[[Italie méridionale]] le [[comté d'Apulie]] puis étend son pouvoir sur la [[Calabre]]. Avec l'onction du pape {{noble|Nicolas II (pape)}}, le comte [[Robert Guiscard|Robert, dit Guiscard]], investi duc de Pouille, de Calabre, et de la Sicile à conquérir, et son frère cadet [[Roger Ier de Sicile|Roger]], envahissent l'île pour la reprendre aux Arabes<ref name="leveque-normands">[[Pierre Lévêque (helléniste)|Pierre Lévêque]], « Les Normands en Sicile », ''La Sicile'', Presses Universitaires de France, « Nous partons pour », 1989, {{p.|293-302}}. {{lire en ligne|lien=https://www.cairn.info/nous-partons-pour-la-sicile--9782130421191-page-293.htm}}.</ref>.
[[Fichier:Giovanni Patricolo, L'ingresso di Roberto I Guiscardo e del conte Ruggero a Palermo, 1835.png|vignette|L'Entrée de Robert Guiscard et de Roger Bosco dans Palerme, en 1072.Peinture de Giovanni Patricolo, ''vers 1835'', exposée au [[Palais des Normands]].]]
La [[Conquête normande de l'Italie du Sud#Conquête de la Sicile (1061-1091)|conquête normande de la Sicile]] se fait en une trentaine d'années (1060-1090). Roger prend la tête de l'expédition. Après [[Messine]], il maitrise [[Troina]] puis l'ensemble de [[Val Demone]] après la [[bataille de Cerami]], et [[Catane]]{{Sfn|Huré|1975|p=70}}. En 1072, après six mois de siège, Palerme se livre aux Normands. Malgré leur rivalité, les deux frères se partagent le pouvoir : Robert est duc de Pouille et de Calabre, Roger est grand-comte de Sicile, autonome malgré la souveraineté de son frère<ref name="leveque-normands" /> qui conserve la suzeraineté sur Palerme, la moitié de Messine et le Val Demone{{Sfn|Huré|1975|p=71}}. Retardée par le manque de moyens humains et financiers et par les interventions de Roger en Calabre lors de la campagne byzantine de Robert, la conquête normande se conclut par les prises de [[Trapani]] (1077), [[Taormine]] (1079), [[Syracuse]] (1085), [[Agrigente]] et [[Enna|Castrogiovanni]] (1086) et [[Noto (Italie)|Noto]] (1091){{Sfn|Huré|1975|p=71}}.

Roger développe son pouvoir jusqu'à être à sa mort, l'un des hommes les plus riches et puissants d'Occident. Il fait de la Sicile un état indépendant, pour la première fois depuis la conquête romaine et contraignant le pape à le nommer [[légat apostolique]] (1098)<ref name="leveque-normands" />. Après la mort de Robert, son fils, [[Roger Borsa]] livre à son oncle l'essentiel de ses possessions siciliennes puis des droits sur les cités calabraises, contre son soutien militaire sur le continent{{Sfn|Huré|1975|p=72}}. Il instaure un régime de tolérance religieuse pour les musulmans qui conservent des lieux de cultes et leurs tribunaux{{Sfn|Huré|1975|p=70}}. À sa mort, en 1101, sa troisième femme, la reine [[Adélaïde de Montferrat|Adélaïde]] assure la régence et transfère la cour de [[Mileto]] à Palerme en 1112<ref name=":2">{{Chapitre|prénom1=Henri|nom1=Bresc|titre chapitre=La chute des Hohenstaufen et l’installation de {{Charles Ier}} d’Anjou|titre ouvrage=Les princes angevins du {{sp-|XIII|au|XV}} : Un destin européen|éditeur=Presses universitaires de Rennes|collection=Histoire|date=2015-07-08|isbn=978-2-7535-2558-0|lire en ligne=http://books.openedition.org/pur/18330|consulté le=2020-05-30|passage=61–83}}</ref>.

Déclaré majeur en 1112, à dix-sept ans, le fils du Grand comte, {{noble|Roger II de Sicile|}}, cherche à étendre encore son pouvoir en Italie face à l’empereur d’Allemagne et la papauté soutenus par les rois chrétiens, et en Méditerranée contre les républiques marchandes italiennes et Byzance. Après la mort de son cousin [[Guillaume d'Apulie]] (1127), il obtient la suzeraineté sur la Calabre et les Pouilles et fait ériger l'île en [[Royaume de Sicile|royaume]] féodal, reconnu par une bulle de l'[[antipape]] [[Anaclet II|Anaclet]] le {{date-|27 septembre 1130}} et est couronné à Palerme le jour de Noël suivant<ref name=":2" />. Homme de guerre autant que diplomate, il attaque les Arabes sur leurs terres, conquérant l'[[Ifriqiya]] jusqu'à [[Kairouan]]<ref name="leveque-normands" />.

{{Roger II}} poursuit la politique centralisatrice de ses prédécesseurs et renforce le pouvoir royal appuyé par le [[Parlement sicilien|Parlement]], initié par son père en 1097, mais véritablement institué en 1130. Légitimé « roi de Sicile, du duché de Pouille et de la principauté de Capoue » par le pape {{noble|Innocent II}} en 1139, il organise les [[Assises d'Ariano]] de 1140 qui tempèrent le [[féodalisme]], introduit par les Normands, par des influences [[Empire byzantin|théocratiques byzantines]], s'appuyant sur une puissante administration royale<ref name="leveque-normands" />.

Les campagnes s'organisent autour de trois types d’habitats ruraux : {{citation|les grosses agglomérations fortifiées disposant d’une administration particulière ; un habitat intermédiaire (''terra''), souvent fortifié ; les petites localités ouvertes et sans aucune autonomie (''casal'')}}<ref name=":3">{{Article|langue=fr|prénom1=Philippe|nom1=Racinet|prénom2=George-Pierre|nom2=Woimant|titre=Le site archéologique médiéval et moderne de Terravecchia (Sicile, Italie)|périodique=Archéologie médiévale|numéro=40|date=2010-12-01|issn=0153-9337|doi=10.4000/archeomed.13532|lire en ligne=http://journals.openedition.org/archeomed/13532|consulté le=2019-04-17|pages=49–88}}</ref>.[[Image:Chapelle Palatine.jpg|vignette|Intérieur de la chapelle palatine de Palerme. Le décor de mosaïques et de stucs témoignent du mélange des influences normandes, byzantines et [[Architecture islamique|musulmane]] dans la Sicile normande.]]

Admirateurs de la culture islamique, les rois normands mettent en place une politique tolérante et libérale, basée sur une administration cosmopolite : elle rassemblait des Grecs, des [[Lombards de Sicile|Lombards]], des Français, des [[Anglais]], des Arabes, des [[Histoire des Juifs en Sicile|Juifs]]. L'île connut une période de prospérité, notamment dans l'agriculture héritière des cultures méditerranéennes traditionnelles et de celles introduites par les musulmans. Se développe aussi un artisanat du luxe, porté par les intenses échanges qui font de la Sicile l'un des maîtres du contrôle maritime méditerranéen et transforment [[Palerme]] et [[Messine]] en centres commerciaux internationaux. La légitimité royale et la coexistence pacifique des communautés s'appuient sur cet enrichissement partagé, dont témoignent les légendes des monnaies siciliennes, en arabe, grec et français<ref name="leveque-normands" />.

Ce syncrétisme se retrouve dans le mode de vie orientalisé des princes, dans les palais arabes agrémentés de jardins et de fontaines, hébergeant des harems, protégés par des gardes africains et habillés d'étoffes luxueuses que les ateliers royaux ornent de fils d'or, de perles et de pierres précieuses à la mode byzantine. L'art de cette époque combine pareillement les apports [[Architecture romane|romans]], [[Arts d'Islam|islamiques]] et [[Art byzantin|grecs]]. Pour rivaliser avec la cour de Byzance, les souverains normands allient au modèle [[Architecture romane|roman]] de la [[Église à plan basilical|basilique]] à trois nefs avec absides, les éléments architecturaux arabes (coupoles « en bonnet d’eunuque », [[arc outrepassé]], [[muqarnas]], motifs…) et les mosaïques byzantines<ref name="leveque-normands" />.

Comme les [[Tyran|tyrans antiques]], ils accueillent autour d'eux des artistes et intellectuels d'Europe et d'Afrique, dont le plus célèbre est [[Al Idrissi]]<ref name="leveque-normands" />. Pour autant, la Sicile retrouve le giron occidental sous le règne des Hauteville, qui dominent Sicile et Mezzogiorno selon une organisation féodale, s'allient par des mariages aux grandes familles d'Europe, font venir des conseillers de France et d'Angleterre, importent le [[cycle carolingien]].

Fidèles au [[rite romain]], malgré des oppositions régulières aux [[Pape|papes]] dont ils sont [[Légat apostolique|légats apostoliques]] nommant les évêques siciliens, ils encouragent la diffusion de l'[[Ordre de Saint-Benoît|ordre bénédictin]], mais soutiennent également l'[[Ordre Basilien italien de Grottaferrata|ordre de saint Basile]] dans leur reprise en main de l’église grecque sicilienne en s'appuyant sur [[Barthélémy de Simeri]], tout comme ils construisent de nouvelles mosquées<ref name="leveque-normands" />. Face aux revendications des [[Saint-Empire romain germanique|empereurs germaniques]] sur l'héritage romain en Italie, les souverains normands apparaissent durablement comme un contre-pouvoir pour les papes<ref name=":2" />.

{{Roger II}} mène une politique expansionniste sur les côtes de l’Afrique du Nord et de Corfou entre 1146 et 1149<ref name=":2" />.

À {{Roger II}}, succèdent deux Guillaume, son fils , qualifié de « Mauvais », et son petit-fils, dit « le Bon ». {{noble|Guillaume Ier de Sicile|}} (1154-1166), grand bâtisseur orientalisé, peine à s'imposer face aux émeutes populaires mais maintient la prospérité de la Sicile<ref name="leveque-normands" />. Il délègue une grande partie du pouvoir à [[Maion de Bari]], chancelier de son père, qu'il nomme « [[Émir]] des Émirs » et qui est assassiné en 1160 par une [[conspiration]] de barons. Des pogroms visant les musulmans et l'agitation menée par ses vassaux affaiblissent le pouvoir royal<ref name=":2" />. {{noble|Guillaume II de Sicile|}} (1166-1189), après une régence de cinq ans de la reine [[Marguerite de Navarre (reine de Sicile)|Marguerite de Navarre]] conseillée par le franc [[Étienne du Perche]] comme chancelier jusqu'à son éviction en 1168<ref name=":2" />, et durant laquelle s'affrontent seigneurs et fonctionnaires, restaure l'ordre, en s'inspirant de son grand-père, élève certains chefs-d’œuvre de l’[[Architecture normande de Sicile|architecture romane sicilien]], tel la [[cathédrale de Monreale]] en 1178, mais se perd dans sa tentative de conquête du trône de [[Constantinople]]<ref name="leveque-normands" />. Cherchant des appuis pour ses aventures militaires et sans descendance directe, il s'allie aux empereurs germaniques, donnant sa tante, [[Constance de Hauteville]], fille de {{Roger II}}, en mariage à l'empereur {{noble|Henri VI (empereur du Saint-Empire)}} en 1186.

Quand {{Guillaume II}} meurt sans descendance, cinq années de troubles qui déchirent le royaume entre les partisans du prétendant germanique et ceux de [[Tancrède de Lecce]], fils bâtard du prince {{noble|Roger III d'Apulie}}, fils aîné du roi {{noble|Roger II de Sicile|}}. Tancrède est fait roi sans parvenir à s'imposer et de nouvelles violences contre les musulmans s'expriment dans le royaume<ref name=":2" />. Après la prise de Messine le {{date-|4 octobre 1190}} par [[Richard Cœur de Lion]], en route pour les croisades avec [[Philippe II Auguste|Philippe Auguste]], il doit signer en {{date-|mars 1191}} un traité dans lequel les rois d'Angleterre et de France le reconnaissent roi légitime de Sicile contre la libération de Jeanne, veuve de {{Guillaume II}} et sœur de Richard, le versement de son héritage et le remboursement de sa dot. Tancrède doit également faire d'importantes concessions à la papauté dont la renonciation à la légation apostolique{{Sfn|Frétigné|2018|p=189}}.

Quand Tancrède meurt, son fils {{noble|Guillaume III de Sicile|}} encore enfant monte sur le trône. {{noble|Henri VI (empereur du Saint-Empire)}} envahit l'île grâce à l'appui de Gênes et de Pise, défait les derniers barons fidèles près de Catane, et prend Palerme où il impose jeune roi de lui remettre sa couronne lors d'une cérémonie à [[Noël]] 1194<ref name="leveque-normands" />, établissant sa souveraineté dans le sang, en faisant crever les yeux et émasculer l'enfant de huit ans qui disparaît ensuite dans les prisons impériales, en tuant les barons normands, en déterrant les dépouilles de Tancrède et de son fils aîné pour les décapiter, en dérobant tous les trésors de la cour de Palerme pour les envoyer en Allemagne<ref>{{Ouvrage |prénom1=Pierre|nom1=Aubé|titre={{Roger II}} de Sicile|éditeur=Place des éditeurs|date=2016-05-26|isbn=978-2-262-06787-8|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=EGcsDAAAQBAJ&pg=PT16|consulté le=2020-05-30}}.</ref>. La dynastie des Hauteville disparaît de Sicile, leurs intérêts sont par la suite défendus par le gendre de Tancrède, {{noble|Gautier III de Brienne}} avec l'appui d'{{noble|Innocent III}}.

=== 1194 - 1268 : Période souabe ===
[[Fichier:Woodcut illustration of Constance of Sicily, her husband HRE Henry VI and her son HRE Frederick II - Penn Provenance Project.jpg|vignette|Illustration de [[Constance de Hauteville|Constance de Sicile]], son mari {{noble|Henri IV (empereur du Saint-Empire)}} et son fils {{noble|Frédéric II (empereur du Saint-Empire)}}, 1474.]]
Une conspiration contre le nouveau souverain est ourdie en 1197, avec le soutien de la reine, visant à couronner Guillaume Monaco, seigneur de Castrogiovanni. Les rebelles sont écrasés et tués{{sfn|Frétigné|2018|p=195}}. [[Henri VI (empereur du Saint-Empire)|{{Henri Ier}}]] de Sicile meurt en 1197, sa femme Constance, un temps régente, le suit l'année suivante<ref name=":2" />. Au décès de sa mère, {{noble|Frédéric II (empereur du Saint-Empire)}} est placé sous la tutelle du pape {{noble|Innocent III}} qui confie à un collège composé de prélats et du chancelier [[Gautier de Palear|Gauthier de Palear]], évêque de Troia<ref name=":4">{{Chapitre|prénom1=Anne-Marie|nom1=Flambard Héricher|titre chapitre=Du « Gamin d’Apulie » à la « Splendeur du Monde », les grandes étapes du règne de {{noble-|Fréderic II}}|titre ouvrage={{Frédéric II}} (1194-1250) et l'héritage normand de Sicile|éditeur=Presses universitaires de Caen|collection=Colloques de Cerisy|date=2017-05-15|isbn=978-2-84133-809-2|lire en ligne=http://books.openedition.org/puc/10148|consulté le=2020-05-30|passage=15–28}}.</ref>, la destinée de l'île durant les dix ans de sa minorité, marquées par la révolte des musulmans et les luttes entre Allemands et alliés du Pape<ref name=":2" />. [[Markward d'Anweiler|Markward d’Anweiler]] revendique également la régence et la tutelle avec le soutien de [[Philippe de Souabe]], roi de Germanie, et capture Frédéric au [[Castello a Mare]] de Palerme en novembre 1201, devenant dès lors régent quelques mois jusqu'à sa mort en 1202, un autre seigneur allemand, [[Guillaume de Capparone|Guillaume Capparone]], lui succédant comme régent et gardant Frédéric au palais royal de Palerme jusqu’en 1206<ref name=":4" />.

Frédéric fait valoir sa majorité en 1208, et part en Allemagne en 1212 pour se faire élire empereur<ref name=":2" />, laissant le gouvernement d'une île qui se déchire à sa femme, Constance d'Aragon, puis à [[Gautier de Palear]]{{sfn|Frétigné|2018|p=196}}. Lors de son couronnement, en {{date-|août 1220}} à [[Rome]], par {{noble|Honorius III}}, il porte des habits impériaux et le manteau de couronnement de son grand-père maternel [[Roger II (roi de Sicile)|Roger]], reçoit la couronne de [[Charlemagne]] ainsi que le glaive, le sceptre et le globe<ref name=":4" />. En décembre, les assises de Capoue qui restaurent la loi normande, annulent les concessions ultérieures à 1198 et révoquent les privilèges et concentrent les pouvoirs et les terres dans les mains du monarque<ref name=":4" />. Onze ans plus tard, les [[Constitutions de Melfi]] achèvent la centralisation de l’État. Le royaume de Sicile est divisé en deux provinces, l'une continentale, l'autre insulaire, elle-même partagée entre deux chefs-lieux, Messine et Palerme{{Sfn|Frétigné|2018|p=202}}.

Une fois couronné empereur, {{Frédéric II}} passe peu de temps en Sicile : entre l'automne 1221 et le printemps 1225, avec de nombreux séjours sur le continent, puis entre {{date-|avril 1233}} et {{date-|février 1234}}. [[Palerme]] perd son rôle de capitale, l'empereur préférant la [[Capitanata|Capitanate]] à la Sicile, et [[Messine]] à Palerme. La période souabe ancre la Sicile en périphérie du continent plus qu'au traditionnel bassin méditerranéen{{Sfn|Frétigné|2018|p=192}}. La monoculture céréalière extensive retrouve son importance, l'économie stagne, la population baisse à guère plus d'un demi million, la fiscalité s'accentue{{Sfn|Frétigné|2018|p=197-198}}.

Il constitue un réseau de forteresses, châteaux forts le plus souvent carrés, comme les châteaux [[Château d'Ursino|d'Ursino]], [[Château Maniace|Maniace]], d'[[Augusta (Italie)|Augusta]] et [[Milazzo]]{{Sfn|Frétigné|2018|p=203}}.

Comme ses ancêtres normands, il appelle des intellectuels et des artistes à sa cour, devenue itinérante, dans laquelle nait l'[[École sicilienne|École poétique sicilienne]]. Messine devient un important centre de traduction d'arabe en latin, dont les œuvres d'[[Avicenne]]{{sfn|Frétigné|2018|p=206-207}}. En 1221, l'empereur oblige les juifs à porter une roue rouge<ref>{{Article |auteur1=Tina Anderlini |titre=Degoûts et des couleurs au Moyen Âge - voir rouge |périodique=[[Moyen Âge (magazine)|Moyen Âge]] |numéro=131 |date=novembre-décembre 2022, janvier 2023 |pages=62 |issn=1276-4159}}.</ref>{{,}}{{Note|groupe=Note|La dimension de la [[Rouelle (Moyen Âge)|rouelle]] ne serra fixée qu'au {{s-|XIV}}.}}. Il met fin en revanche à la coexistence entre chrétiens et musulmans, lesquels se rebellent contre le pouvoir royal depuis les derniers rois normands et attaquent les chrétiens depuis l'ouest montagneux, en les déportant à [[Lucera]] dans les Pouilles après la prise de la forteresse du [[Monte Iato]] en 1222<ref name=":20">{{Harvsp|Norwich|2018|p=166}}.</ref>. Le déplacement forcé de populations est une des armes privilégiées de {{Frédéric II}} pour punir les villes frondeuses ([[Centuripe]] et [[Capizzi]]), peupler ses fondations ([[Augusta (Italie)|Augusta]] et [[Gela]])<ref>{{Chapitre|prénom1=Annliese|nom1=Nef|titre chapitre=La déportation des musulmans siciliens par {{Frédéric II}} : précédents, modalités, signification et portée de la mesure|titre ouvrage=Le monde de l’itinérance : En Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne|éditeur=Ausonius Éditions |collection=Études |date=2019-01-22 |isbn=978-2-35613-278-9 |lire en ligne=http://books.openedition.org/ausonius/1797|consulté le=2020-10-31|passage=455–477}}.</ref> ou repeupler des cités ([[Histoire de Palerme|Palerme]], [[Corleone]]). Il fait brûler en {{date-|avril 1233}} Martin Bellono, meneur des troubles qui agitent Messine puis Catane, Syracuse et Nicosie{{sfn|Frétigné|2018|p=204}}. Les derniers bastions de résistance musulmane tombent en 1246<ref name=":2" />.

Frédéric meurt en 1250, son fils ainé {{noble|Conrad IV de Hohenstaufen}} lui succède comme roi et empereur. Mais le pape, adversaire invétéré, propose le royaume de Sicile à [[Richard de Cornouailles]] puis investit [[Edmond de Lancastre|Edmond d'Angleterre]], sans parvenir à les imposer. Conrad restitue le patrimoine et les libertés des églises et permet au pape de nommer des nouveaux évêques fidèles au parti [[Guelfes et gibelins|guelfe]], ainsi qu'un légat, Roger de Lentini puis Rufin de Plaisance. De plus, le pouvoir impérial reste affaibli par un mouvement [[Communalisme|communaliste]], soutenu par {{noble|Innocent IV}} , qui s'étend entre 1251 et 1257 dans le Mezzogiorno. [[Messine]] et des villes peuplées de Lombards du [[Montferrat (Italie)|Montferrat]] vers 1100 ([[Polizzi Generosa|Polizzi]], [[Nicosia]], [[Mistretta]], [[Enna|Castrogiovanni]], [[Piazza Armerina|Piazza]], [[Vizzini]] et [[Lentini]]) se proclament en [[Communalisme|municipalités autonomes]]. Palerme se livre au légat du pape, Rufin de Plaisance, et signe un traité d'alliance avec [[Caltagirone]]. En réponse, {{noble-|Conrad IV}} concède des exemptions aux marchands messinois à [[Acre (Israël)|Acre]] et renonce à l'impôt annuel dans les ''Nova Capitula'' de Foggia en 1252, accorde des faveurs aux ''[[manse (tenure)|massari]]'' de Palerme en 1254. Manfred confère aux Palermitains le privilège d'être jugés dans leur cité en 1258<ref name=":2" />.

L'aristocratie sicilienne conteste le contrôle impérial de l'Allemand Conrad<ref name=":2" />, lui préférant le plus italien [[Manfred Ier de Sicile|Manfred]], fils légitimé de {{Frédéric II}} que son père avait nommé vicaire du royaume d'Italie et de celui de Sicile. Les Sanseverino, les Fasanella, les Lentini, les Oria, les Gesualdo, les Anglone sont exilés et grossissent les rangs pontificaux<ref name=":2" />.
[[Fichier:Krönung Manfreds.jpg|vignette|Le couronnement de Manfred, en août 1258 en la cathédrale de Palerme (''Nuova Cronica'', [[Giovanni Villani]]).]]
Conrad meurt en 1254, laissant la régence à Berthold de Hohenburg, au nom de son fils [[Conradin]]. Mais Manfred prend le pouvoir. En dépit de l'hostilité du pape {{noble-|Innocent IV}} et d'une opposition interne incarnée par le maréchal [[Pietro I Ruffo di Calabria|Pietro Ruffo]] à Messine et Berthold de Hohenburg, qui rejoignent le camp pontifical, Manfred parvient sans difficulté à s'imposer sur l'île<ref name=":2" />. Ses partisans, menés par son oncle Frédéric Lancia, détruisent Trapani, vident des cités rebelles de moitié et reprennent aux Pontificaux Palerme où il se fait couronner roi le {{date-|11 août 1258}}{{sfn|Frétigné|2018|p=212}}. Il conquiert la même année la forteresse de [[Berat]], puis [[Corfou]] et la côte méridionale de l’[[Albanie]] par son mariage avec [[Hélène Ange Doukas]], fille du despote d’[[Épire]] {{noble|Michel II Doukas}}<ref name=":5">Aude Rapatout, « {{Charles Ier}} d'Anjou, roi d'Albanie. L'aventure balkanique des Angevins de Naples au {{s-|XIII}} », ''Hypothèses'', 2006/1 (9), p. 261-269. {{Lire en ligne|lien=https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2006-1-page-261.htm}}.</ref>. Comme les Hauteville, il vise la conquête de [[Constantinople]]<ref name=":5" />. L'union de sa fille, [[Constance de Hohenstaufen (1248-1302)|Constance]], née d'une première union, avec le futur {{noble|Pierre III (roi d'Aragon)|d'Aragon}} en 1262, prouve un prestige européen quasi-intact du roi de Sicile<ref name=":2" />.

Comme son père, il vit sur le continent, à [[Naples]] et [[Lucera]], et se rend peu sur l'île{{sfn|Norwich|2018|p=181}}. Il réorganise l'administration du royaume et dote ses parents (Lancia, Agliano et Semplice, Antiochia) et ses fidèles (Maletta, Manfredi, Federico et Niccolò, Enrico di Sparavaira, Enrico Ventimiglia, Tommaso d’Aquino et Filippo Chinardo) d'une quinzaine de nouveaux comtés. En Sicile notamment, [[Butera]], [[Paternò]] et [[Agira|Argirò]] échoient à Galvano, [[Cammarata]] à [[Famille Manfredi|Manfredi]]. Il nomme également des proches aux hautes charges militaires et judiciaires, au moins jusqu'en 1262<ref name=":2" />.
[[Fichier:Enthauptung_Konradins.jpg|vignette|Exécution de Conradin (''Nuova Cronica'', [[Giovanni Villani]]).]]
Continuateur de la politique pontificale anti-Hohenstaufen d'{{noble|Innocent IV}} et {{noble|Alexandre IV (pape)}}, {{noble|Urbain IV}} offre la couronne de Sicile au frère du roi de France {{noble|Louis IX}}, {{noble|Charles Ier d'Anjou}}, sacré le {{date-|6 janvier 1266}} hors de l'île. Le {{date-|26 février 1266-}}, ce dernier sort vainqueur de la [[bataille de Bénévent]] lors de laquelle Manfred perd la vie<ref name=":2" />. Les [[Guelfes et gibelins|gibelins]] fuient vers l'Afrique, le nord de l'Italie et l'Espagne. D'autres résistent à {{noble|Philippe II de Montfort-Castres|de Montfort}} et en Sicile, seul Messine cède aux Angevins{{sfn|Frétigné|2018|p=213}}. En réponse à la tentative de [[Conradin]] de reprendre le royaume de son père par le nord de l'Italie, la Sicile se soulève contre les Angevins qui ne maitrisent que Palerme et Messine{{sfn|Huré|1975|p=94}}. Mais Conradin est défait à la [[bataille de Tagliacozzo]] le {{date-|23 août 1268}}. Fuyard, il est trahi et livré à Charles d'Anjou qui organise un procès fantoche et le fait décapiter en place publique à Naples le {{date-|29 octobre 1268-}}, marquant la fin des [[Hohenstaufen]]<ref name="fretigne214">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=214}}.</ref>. Débute une lutte de plus de trente ans entre les maisons d'Aragon et [[Maison d'Anjou-Sicile|d'Anjou]] pour la domination de la [[Sicile]].

=== 1268 - 1516 : Entre Angevins et Aragonais ===
Après la victoire de [[Charles Ier d'Anjou|Charles d'Anjou]] sur Conradin, le maréchal {{Guillaume Ier}} de Beynes dit l'Estendart, demi-frère de {{noble|Philippe Ier de Montfort-Castres|de Montfort}}, punit dans le sang les cités qui ont résisté comme [[Augusta (Italie)|Augusta]], tandis que l'église de Rome présente les nouveaux maîtres de l'île comme les restaurateurs de l'ordre juste de l'époque de {{noble|Guillaume II de Sicile|}}<ref name=fretigne214/>. Or, par les fiefs distribués aux Français, la collecte forte de l'impôt, l'asphyxie économique intérieure par les monopoles royaux et les privilèges accordés aux banquiers, notamment florentins, l'annulation des lois et dons postérieurs à 1245, Charles d'Anjou provoque le mécontentement des Siciliens{{sfn|Huré|1975|p=95}}.

Malgré une domination militaire et administrative des Français et [[Provençaux]]<ref name=":2" />, les guelfes sont faibles et le parti [[Guelfes et gibelins|gibelin]] subsiste en Sicile comme dans le Mezzogiorno<ref name=":2" />. Les vieillies familles de l'époque normande et souabe sont éliminées ou s'exilent vers l'[[Royaume d'Aragon|Aragon]], mais les grands aristocrates français privilégient Naples, nouvelle capitale du royaume au détriment de Palerme, où fleurit la petite noblesse<ref name=fretigne216>{{Harvsp|Frétigné|2018|p=216-217}}.</ref>. En rejoignant son frère à Tunis pour la [[huitième croisade]], il se rend en Sicile pour l'unique fois en 15 ans{{sfn|Norwich|2018|p=182-183}}. Il obtient le titre de roi d’Albanie en 1272, aspirant comme Manfred, d'attaquer Constantinople<ref name=":5" />.
[[Fichier:I vespri siciliani - Michele Rapisardi.JPG|vignette|''Les Vêpres siciliennes'', par [[Michele Rapisardi]] (1864).]]
Délaissée par ses dirigeants, la Sicile s'appauvrit. Le {{date|30 mars 1282}}, le jour de [[Pâques]], les Palermitains puis les [[Corleone|Corleonais]] se rebellent contre les forces françaises. Les communes libres se créent pour instaurer la ''[[Communitas Siciliae]]'' sur le modèle de la [[Ligue lombarde]] en cherchant la protection papale, affiliée au parti guelfe<ref name=fretigne216/>. Pourtant, les [[vêpres siciliennes]] signent la fin de la domination angevine sur l'île qui se donne au parti gibelin de {{noble|Pierre III d'Aragon}}, lequel s'était entouré des Siciliens [[Jean de Procida]], [[Conrad Lancia]] et [[Roger de Lauria]], et débarque en août<ref name=":2" />. Mais le soulèvement ne s'étend pas au-delà du détroit de Messine<ref name=":2" />.
 
Promettant de conserver les deux couronnes séparées à sa mort, Pierre laisse en Sicile son fils puiné, [[Jacques II d'Aragon|Jacques]], sous l'égide de la reine [[Constance de Hohenstaufen (1248-1302)|Constance]], de Jean de Procida, Roger de Lauria et [[Alaimo di Lentini]]{{sfn|Frétigné|2018|p=220}}. Comme Charles d'Anjou et le pape {{noble|Martin IV}}, Pierre d'Aragon meurt en 1285. Jacques lui succède comme roi de Sicile, puis hérite du royaume d'Aragon de son frère aîné, [[Alphonse III d'Aragon|Alphonse]], et nomme son frère [[Frédéric II de Sicile|Frédéric]] lieutenant général dans l’île<ref name=":2" />.

Opposé au [[traité d'Anagni]] voulu par le pape {{noble|Boniface VIII}}, pour la restitution de l'île aux [[Maison capétienne d'Anjou-Sicile|Angevins de Naples]], Frédéric est élu par le Parlement roi de Sicile le 11 décembre 1295 et couronné en la cathédrale de Palerme le 25 mars 1296<ref name=":2" />. Il se retrouve donc face à une coalition regroupant Angevins, Pape, Français et son frère : [[Robert Ier de Naples|Robert de Naples]] prend durablement Catane, puis Jacques échoue devant Syracuse, [[Philippe Ier de Tarente|Philippe de Tarente]] est défait en octobre 1299 sur la côte occidentale, [[Charles de Valois]] s’empare de [[Termini Imerese|Termini]] mais bute sur [[Sciacca]]{{sfn|Norwich|2018|p=198}}. La [[Paix de Caltabellotta]] en 1302 officialise Frédéric roi de la Sicile insulaire<ref name=":2" />, et acte pour un siècle la séparation politique entre les Angevins de Naples et les Aragonais de Palerme, provoquant l'appauvrissement économique des Siciliens et leur isolement culturel de la [[Pré-Renaissance]] italienne{{sfn|Norwich|2018|p=189-190}}, mais aussi la division administrative jusqu'en 1816 entre les royaumes de [[Trinacrie]] et [[Royaume de Naples|de Sicile citérieure]]{{sfn|Frétigné|2018|p=222}}.

La guerre reprend lorsque Frédéric associe son fils [[Pierre II de Sicile|Pierre]] au trône en 1321. Fidèle au gibelinisme, il soutient [[Louis IV (empereur du Saint-Empire)|Louis de Bavière]] dans sa campagne italienne contre le pape en 1326-1327<ref name=":2" /> comme il a appuyé {{noble|Henri VII de Luxembourg|du Saint-Empire}}. Influencé par [[Arnaud de Villeneuve (médecin)|Arnaud de Villeneuve]], il soutient également les [[Ordre des Frères mineurs#La querelle des spirituels|franciscains spirituels]]<ref>{{Article |prénom1=Martin |nom1=Aurell |titre=Messianisme royal de la Couronne d'Aragon |périodique=Annales |volume=52 |numéro=1 |date=1997 |doi=10.3406/ahess.1997.279555 |lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1997_num_52_1_279555 |consulté le=2020-11-14 |pages=119–155}}.</ref>. L'état de guerre favorise les barons et appauvrit le peuple{{sfn|Huré|1975|p=97-98}}. Le parti francophile s'étend à Messine par aspirations commerciales, chez les barons par intérêts particuliers et parmi la population par rejet des années de conflits. Alors qu'au nord de l'Italie le régime féodal régresse, les grandes familles italiennes et catalanes prennent de plus en plus d'indépendance jusqu'à concurrencer la puissance politique et judiciaire du roi, à l'instar des [[Maison de Vintimille|Ventimiglia]] (seigneurs de Trapani et Geraci), [[Famille Chiaromonte|Chiaramonte]] (fortement possessionnés à Palerme), [[Maison de Moncada|Moncada]] (propriétaires en Sicile et de toute l'île de Malte), {{lien|trad=Peralta (famiglia)|lang=it|fr=famille Peralta|texte=Peralta}} (comtes de Caltabellotta et grands amiraux…){{sfn|Norwich|2018|p=201-202}}… 

Après la mort de Frédéric à [[Paternò]], le conflit se poursuit durant les cinq années du règne de son fils, Pierre, qui meurt à son tour le 13 août 1343 à [[Calascibetta]]. Son fils [[Louis Ier de Sicile|Louis]] n'a que 5 ans. Sa mère, [[Élisabeth de Carinthie]], et son oncle, [[Jean de Randazzo]], gouvernent l'île. Mais la [[peste noire]] se déclare en 1348 à partir d'un navire génois revenu d'Orient, et frappe la région<ref name=":23" />, qui compte 250 000 habitants<ref name=":24">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=236-237}}.</ref>, comme l'ensemble de l'Europe. Le régent en meurt en 1348, Louis en est victime à son tour en {{date-|octobre 1355}} tout comme, peu de jours après, sa sœur [[Constance d'Aragon (1324-1355)|Constance]], régente après la mort de leur mère. Leur frère, [[Frédéric III de Sicile|Frédéric le Simple]], reçoit la couronne sicilienne, et leur sœur [[Euphémie d'Aragon|Euphémie]], la régence jusqu'à la majorité du roi, en 1357. Il règne sur une population exsangue et une noblesse fracturée entre les « Catalans », emmenés par les Ventimiglia, fidèles au roi, et les « Latins », menés par les Chiaramonte, partisans des Angevins de Naples avec lesquels ils attaquent la côte méridionale de l'île<ref name=":23">{{Harvsp|Norwich|2018|p=203-204}}.</ref>. Frédéric négocie une paix avec {{noble|Jeanne Ire de Naples}} en 1372{{sfn|Huré|1975|p=97-98}}.

Sa mort, en 1377, laisse héritière sa fille mineure, [[Marie Ire de Sicile|Marie]]. Les quatre grandes familles se partagent le pouvoir et l'île lors de la période dite {{Citation|des quatre vicaires}} ({{noble-|Artale Ier}} Alagona, comte de [[Paternò]], [[Manfredi III Chiaromonte|Manfred Chiaromonte]], comte de [[Modica]], Guillaume de Peralta, comte de [[Caltabellotta]] et Francesco Ventimiglia, comte de [[Geraci Siculo|Geraci]]), et le roi {{noble|Pierre IV d'Aragon}} fait enlever sa petite-fille et nièce pour revendiquer la couronne sicilienne et lui donner un époux{{sfn|Huré|1975|p=97-98}}. Elle épouse son cousin, [[Martin Ier de Sicile|Martin le Jeune]], qui arme une flotte sous la direction de [[Bernat de Cabrera|Bernardo Cabrera]] qui débarque à [[Trapani]] le {{date-|25 mars 1392}}. Ventimiglia et Peralta se rangent à ses côtés. Chiaramonte est exécuté pour rébellion. Alagona quitte l'île. Le couple doit combattre jusqu'en 1396 pour imposer leur pouvoir sur la majorité de l'île : nouveau registre des fiefs, retour des forteresses stratégiques dans le giron royal, légation apostolique, adoption du titre du Roi de Sicile, reprise du [[Parlement sicilien]]{{sfn|Norwich|2018|p=207-209}}… Marie meurt en 1401, Martin en 1409, le père de celui-ci, [[Martin Ier d'Aragon|Martin le Vieux]], roi d'Aragon, s'adjuge la couronne sicilienne, faisant passer l'île, qui perd tout gouvernement autonome, sous dépendance espagnole pour quatre siècles{{sfn|Huré|1975|p=97-98}}.

Latins et Catalans poursuivent leurs luttes durant l'interrègne suivant la mort de Martin le Vieux en 1410, mais les grandes familles ont été décimées : la régence de [[Blanche Ire de Navarre|Blanche de Navarre]] est contestée par Cabrera, l'antipape {{noble|Jean XXIII (antipape)}} propose comme roi [[Ladislas Ier de Naples|Ladislas de Naples]], un comité est formé par le Parlement sicilien pour choisir un souverain{{sfn|Norwich|2018|p=210}}… Devenu roi d'Aragon par le [[compromis de Caspe]], {{noble|Ferdinand Ier (roi d'Aragon)}}, neveu de {{noble-|Martin Ier}}, désigne son fils [[Jean II d'Aragon|Jean]] comme vice-roi.

Jean est rappelé par le nouveau souverain, son frère {{noble|Alphonse V (roi d'Aragon)}}{{sfn|Huré|1975|p=99}}, qui s'est emparé de la couronne de Naples et la réunit à celle de Sicile en 1442<ref name=":22" />. Le roi, installé à Naples, engage des guerres contre les cités du Nord de l'Italie dont la Sicile doit supporter les conséquences, mais il crée également la première université sicilienne, à Catane en 1434, et une école de grec à Messine<ref name=":10">{{Harvsp|Norwich|2018|p=212}}.</ref>.

Le millier de ''casal'', villages ruraux favorisés par les rois normands pour équilibrer l'occupation humaine de l'île, a progressivement disparu après la mort de {{noble-|Frédéric II}}, jusqu'à n'être plus qu'une centaine un siècle plus tard, au profit de la restauration du [[Latifundium (agriculture)|latifundium]], vastes propriétés des grandes familles, du Roi, de l’Église et de ses communautés, exploitées par des ''[[Manse (tenure)|massari]]'' endettés qui ne les habitent pas<ref name=":25">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=234-236}}.</ref>. Le revenu des thonneries et des céréales, mais surtout par la vente de nouveaux titres honoraires ou de pardons pour les crimes et par les impôts, financent les caisses royales. L'île n'exporte plus que du grain et du sucre de canne, et importe textiles, vin, huile. Les ports prospèrent grâce aux commerçants toscans puis génois et catalans, mais aussi vénitiens qui possèdent un consul à Palerme, et anglais, représentés à Messine et Trapani, ce dernier port parvenant à égaler Palerme et Messine grâce à sa plus grande proximité de la côte espagnole<ref name=":10" />.
[[Fichier:Antonello da Messina 010.jpg|vignette|''Saint Grégoire'' par [[Antonello de Messine]] (1470), exposé au [[Palais Abatellis]] de [[Palerme]], exemple des débuts de la [[Renaissance sicilienne]].]]
Dans cette île sous-développée, périphérie de l'Europe<ref name=":25" /> mais à nouveau reliée à l'Italie, [[Antonello de Messine]], premier portraitiste de la Renaissance italienne, et rare peintre d'importance du [[Renaissance sicilienne|Quattrocento sicilien]], développe son art. La famille de sculpteurs lombards [[Famille Gagini|Gagini]] est principalement active à Palerme et en Sicile occidentale, puis, dans la seconde moitié du {{s-|XVI}}, Messine adopte le [[maniérisme]] des architectes et sculpteurs toscans [[Giovanni Angelo Montorsoli]] et [[Andrea Calamech]]<ref name=":26">{{Lien web |langue=fr |prénom=Éditions |nom=Larousse |titre=Grande Encyclopédie Larousse - Sicile |url=http://www.larousse.fr/archives/grande-encyclopedie/page/12632 |site=www.larousse.fr |date=1971-1976 |consulté le=2020-11-20}}</ref>.

[[Jean II d'Aragon|Jean]], roi d'Aragon et de Sicile en 1458, déclare ces deux royaumes perpétuellement unis. Lors d'une session du Parlement à [[Caltagirone]], il limite les obligations militaires des nobles et l'acquisition de terres aux seuls Siciliens, interdit le commerce avec les Turcs et l'approche des côtes par les navires musulmans. Son fils, [[Ferdinand le Catholique]] réunit par son mariage Aragon et Castille et poursuit la lutte contre les Juifs et les musulmans. Il instaure l'[[Inquisition]] sur l'île en 1487 contre les nouveaux convertis et expulse en 1492 les derniers juifs de l'île, présents depuis plus d'un millénaire et représentant un dixième de la population urbaine. La clémence demandée par les Palermitains pour les Juifs siciliens n'a pas d'effet, et l'île perd définitivement médecins, marchands et prêteurs{{sfn|Norwich|2018|p=213-214}}.

Les huit cent mille à un million de Siciliens{{sfn|Frétigné|2018|p=247}} sont majoritairement urbains au début du {{s-|XVI}}, mais la mainmise féodale grandit durant ce siècle. La bourgeoisie urbaine, enrichie sous l'essor de la féodalité et non unifiée à l'échelle insulaire, ne cherche pas à être un contrepoids politique, malgré les révoltes à Palerme vers 1450 et à Messine en 1464. Des nobles espagnols, dotés de titres inédits comme duc et prince, s'installent pour compléter le contrôle des fidèles fonctionnaires royaux ibériques{{sfn|Frétigné|2018|p=232-233}}. La Sicile accueille également au {{s-|XV}} des Byzantins fuyant Constantinople pris par les Turcs, à l'instar de [[Constantin Lascaris]], des Albanais qui forment la communauté des [[Arberèches]], des Italiens à la recherche d'un travail, quelques esclaves arabes originaires du Magheb<ref name=":24" />.

== Époque moderne ==
{{Article détaillé|Royaume de Sicile|Histoire de la Sicile savoyarde|Royaume des Deux-Siciles|Maison de Bourbon-Siciles}}

=== 1516 - 1713 : Sous l'Empire espagnol ===
[[Image:Castiglione di sicilia.jpg|vignette|droite|Castiglione di Sicilia.]]
La découverte de l'Amérique développe la route maritime atlantique au détriment des échanges en Méditerranée, et l'économie sicilienne décline. La société est dominée les vice-rois et la Grande curie, avec une aristocratie et une Église qui disposent d'importants privilèges{{sfn|Huré|1975|p=101}}. En réponse, les [[Maestranza|''maestranze'']], corporations de métiers qui défendent les intérêts des artisans, forment les apprentis et secourent les membres qui ne peuvent plus exercer, prennent de plus en plus d'importances, jusqu'à rendre justice elles-mêmes{{sfn|Norwich|2018|p=236}}.

Petit-fils de l'[[Maximilien Ier (empereur du Saint-Empire)|empereur Maximilien]] et de Ferdinand d'Aragon, [[Charles Quint|Charles de Habsbourg]] devient roi des Espagnes, de Naples, de Sicile et de Jérusalem en 1516 puis l'empereur Charles Quint en 1519. Les barons et les Palermitains contestent le [[Liste des vice-rois de Sicile|vice-roi]] [[Hugues de Moncade]] en 1516, qui se réfugie à Messine<ref name=HureHab/>. Au printemps 1517, le roi envoie le napolitain Ettore Pignatelli à la tête de 7000 hommes pour reprendre l'ile, en punissant par décapitation et confiscations de biens les rebelles{{sfn|Frétigné|2018|p=243}}. Giovan Luca Squarcialupo organise une nouvelle insurrection, mais périt assassiné. En 1523, les Français soutiennent un soulèvement indépendantiste qui échoue. Frontière de l'Occident chrétien, la Sicile retrouve temporairement un rôle stratégique contre les [[Barbaresques]], et fournit des navires contre Tunis<ref name=HureHab/>. L'empereur visite Palerme, Termini, Polizzi, Randazzo, Taormine et Messine entre le 22 août et le 3 novembre 1535. Deux lignes de fortifications sont élevées, l'une le long de la côte dans chaque port, l'autre à l'intérieur des terres pour défendre les plaines, auxquels s'ajoutent une centaine de tours d'observation et le réseau ancien de châteaux et de castras. Trois milles soldats sont cantonnées sur l'île, l'[[ost]] compte 1800 vassaux, les 57 compagnies de la milice territoriale comprennent 9000 fantassins, 1600 cavaliers<ref name=Fretigne245>{{Harvsp|Frétigné|2018|p=245-246}}.</ref>. Les vice-rois [[Pedro Téllez-Girón y Velasco|d'Osuna]] et Maqueda arment des navires sur leurs fonds propres pour protéger les côtes régulièrement attaquées par les Turcs sous les règnes de {{noble|Philippe II (roi d'Espagne)}} et {{noble|Philippe III (roi d'Espagne)}} durant lesquels les Siciliens participent à la [[Sainte-Ligue (1571)|Sainte-Ligue]] et à la [[bataille de Lépante]] en 1571, marquant la fin de l'invincibilité ottomane<ref name=HureHab>{{Harvsp|Huré|1975|loc=« La Sicile et la politique méditerranéenne des Habsbourg »|p=100-101}}.</ref>.

Tout au long des {{s2-|XV|XVI}}, l'[[Inquisition espagnole|Inquisition]] est toute puissante, suscitant les plaintes de Parlement, plusieurs fois émises jusqu'à la suspension pour 10 ans par Charles Quint lors de sa visite sur l'île. Après sa reprise en 1546, les vice-rois [[Juan de Vega]], [[Marcantonio Colonna (1535-1584)|Marcantonio Colonna]] et [[Enrique de Guzmán]] s'opposent à la puissance du tribunal religieux, ce qui n'aboutit qu'en 1592, à l'encadrement par le roi {{noble-|Philippe II}} des privilèges du Saint-Office sicilien, qui est le plus féroce en dehors de l'Espagne. Entre 1511 et 1515, 120 hérétiques sont condamnés au bûcher. Entre 1560 et 1570, 183 évangélistes sont condamnés dont 22 brûlés. En 1657, le religieux impie [[Diego La Matina]] tue l'inquisiteur dans la prison du [[Palazzo Chiaramonte Steri|palais Steri]]{{sfn|Frétigné|2018|p=255-257}}. Les Jésuites bénéficient de la protection du vice-roi Juan de Vega du vice-roi pour fonder 35 collèges, dont [[Collège des Jésuites de Messine|le premier ouvre à Messine]], en 1548, au détriment des Dominicains et Franciscains plus anciennement implantés. Avec la [[Contre-Réforme]], le culte mariale s'étend, à Messine, Modica et Cefalù dont elle devient la sainte patronne, et à Palerme où 123 églises lui sont dédiées à la fin du {{s-|XVII}}, mais le [[clergé régulier]] domine toujours la vie spirituelle insulaire avec près de 800 couvents masculins, dont 130 franciscains, et 12000 religieux{{sfn|Frétigné|2018|p=260-262}}.

Dans la première moitié du {{s-|XVI}}, le [[toscan]] s'impose comme langue officielle au détriment du latin et l'espagnol{{sfn|Frétigné|2018|p=262}}.
[[Fichier:Combat naval devant Augusta en Sicile dans le golfe de Messine, 21 avril 1676.jpg|vignette|''Combat naval devant Augusta en Sicile dans le golfe de Messine, 21 avril 1676'', par [[Ambroise Louis Garneray]].]]
La peste frappe durement Messine en 1575 et Palerme en 1624. Le prix du blé s'effondre{{sfn|Frétigné|2018|p=250}}, le peuple connait la faim et une lourde imposition par l'Espagne pour financer ses guerres, dont la [[guerre de Trente Ans]], d'autant que la noblesse refuse de payer sa part et que l'administration espagnole préfère lui vendre des titres princiers ou ducaux et mettre des fiefs et villes aux enchères. Cela forme le terreau de plusieurs révoltes contre les vice-rois au {{s-|XVII}}, notamment entre mai et {{date-|août 1647}} à Palerme sous l'impulsion de [[Nino La Pelosa]] puis de [[Giuseppe D'Alesi]], et à Messine entre 1674 en 1678, secouru par le [[Louis Victor de Rochechouart de Mortemart|duc de Vivonne]]. Abandonnée par {{Louis XIV}}, Messine est punie par le nouveau vice-roi espagnol{{sfn|Huré|1975|p=103}}.
[[Fichier:Cattolica Eraclea2.jpg|vignette|[[Cattolica Eraclea]], bourg fondé vers 1612 grâce à une ''licentia populandi''.]]
Persiste la culture des céréales sur les vastes terres détenues par des riches familles qui les confient à des ''terraggieri'' (paysans) ou, de plus en plus éloignés, à des ''gabelotti'', [[Métayage en Italie|métayers]] ou intendants qui s'enrichissent au détriment des paysans à qui ils sous-louent les terres et prêtent argent et animaux. Les exportations de blé sont plus que divisées par deux entre le début du {{s-|XVI}} et la fin du {{s-|XVII}} ce que tente de résoudre par la colonisation des terres, en permettant au {{s-|XVII}}, aux seigneurs de fonder des bourgs (''licentia populandi''). La population atteint {{unité|1150000|habitants}}, avec une augmentation uniquement dans les campagnes où naissent de nombreux villages sans parvenir cependant à endiguer les difficultés de l'agriculture sicilienne{{sfn|Frétigné|2018|p=247-249}}.

L'Etna détruit partiellement Catane et les villes de la côte orientale en 1669, et le [[val di Noto]] est dévasté par [[Séisme du 11 janvier 1693 au Val di Noto|un violent séisme]] qui fait 60000 victimes en 1693<ref name=":22" />. Le [[Giuseppe Lanza|duc de Camastra]] supervise la reconstruction des villes rasées dans un [[baroque sicilien|baroque tardif sicilien]]<ref name=Maccaglia>{{Chapitre|prénom1=Fabrizio|nom1=Maccaglia|titre chapitre=7. Sortir d’une gestion en flux tendus du territoire|titre ouvrage=Palerme, illégalismes et gouvernement urbain d’exception|éditeur=ENS Éditions|collection=Sociétés, Espaces, Temps|date=2014-04-04|isbn=978-2-84788-425-8|lire en ligne=http://books.openedition.org/enseditions/1505|consulté le=2020-09-18|passage=193–230}}</ref>, à laquelle participent les architectes [[Giovanni Battista Vaccarini]], [[Vincenzo Sinatra]], [[Rosario Gagliardi]] et [[Andrea Palma]]. A l'ouest, le baroque s'exprime dans les villas [[Villa Valguarnera|Valguarnera]] et [[Villa Palagonia|Palagonia]] de [[Tommaso Napoli]] à [[Bagheria]], dans les [[Stuc|stucs]] de [[Giacomo Serpotta]] et les sculptures d'[[Ignazio Marabitti]]. La peinture baroque avait été introduite au début du siècle par le [[Le Caravage|Caravage]] lors de son exil (''[[La Nativité avec saint François et saint Laurent|La Nativité]]'', [[La Résurrection de Lazare (Le Caravage)|''La Résurrection de Lazare'']], [[L'Adoration des bergers (Le Caravage)|''L'Adoration des bergers'']], ''[[L'Enterrement de sainte Lucie]]''), puis son disciple [[Matthias Stom]]<ref name=":26" />, mais aussi par le bref passage de [[Antoine van Dyck|Van Dyck]] à Palerme ([[Liste des peintures d'Antoine van Dyck|plusieurs ''Sainte Rosalie'']] et [[La Vierge du rosaire (Van Dyck)|''La Vierge du rosaire'']]), maîtres étrangers qui influencent [[Pietro Antonio Novelli II (1608 - 1647)|Pietro Novelli]]{{sfn|Frétigné|2018|p=265}}.

=== 1713 - 1735 : l'intermède savoyard et autrichien ===
{{Article détaillé|Histoire de la Sicile savoyarde}}
[[Fichier:The Battle of Cape Passaro.jpg|vignette|''[[Bataille du cap Passero|La Bataille de Capo Passero]], 11 août 1718'', par [[Richard Paton]], 1767]].

Les Espagnols, fraîchement débarqués en Sicile essuient une lourde défaite face aux Britanniques, alliés de l'Autriche.
{{noble|Charles II (roi d'Espagne)|d'Espagne}} meurt en 1700, et désigne [[Philippe V (roi d'Espagne)|Philippe d'Anjou]], un petit-neveu, comme héritier. En réaction, l'[[Angleterre]], les [[Provinces-Unies]], le [[Portugal]] et le [[Saint-Empire romain germanique]] forment la [[Grande Alliance (1701)|Grande Alliance]]<ref name=":22" />. Le [[Traités d'Utrecht (1713)|traité d’Utrecht]] de 1713 fait de {{noble|Victor-Amédée II|de Piémont-Savoie}}, beau-père de Philippe, le nouveau roi de Sicile, couronné à Palerme, tout en laissant au roi d'Espagne le bénéfice et l'autonomie politique et fiscale de ses possessions (dont le comté de Modica), estimées au dixième de l'île. Le duc de Savoie reste une année en Sicile, qui n'avait plus accueilli son souverain depuis Charles Quint, rouvre l'université de Catane et tente de relancer l'économie avec de nouvelles manufactures de papier et de verre, par l'agriculture et la construction navale{{sfn|Norwich|2018|p=253-254}}. Il cherche à assainir les institutions politiques et à confisquer les biens des barons ayant créé des bourgs sans autorisation royale{{sfn|Frétigné|2018|p=270-271}}. Il s'aliène également une partie de la population lors de la {{Citation|controverse de Lipari}} qui l'oppose en 1715 au Pape {{noble-|Clément X}}, lequel supprime la [[Légat apostolique|légation apostolique]] remontant à {{Roger II}}. Aussi, les Siciliens accueillent-ils favorablement les troupes espagnoles qui débarquent en juin 1718, sont défaits par les Anglais [[Bataille du cap Passero|au large de Capo Passero]] mais remportent les batailles [[Bataille de Francavilla|de Francavilla]] et [[Bataille de Milazzo (1718)|de Milazzo]] contre les soldats de l'empereur autrichien {{noble|Charles VI (empereur du Saint-Empire)}} qui souhaite échanger la Sardaigne contre la Sicile. Les combats dévastent l'île et poussent les Espagnols à la reddition le 6 mai 1720. Le 8 août, le duc de Savoie donne la Sicile à l'Empereur. De sa courte aventure sicilienne, Victor-Amédée conserve auprès de lui l'architecte messinois [[Filippo Juvarra]] et les juristes [[Francesco d'Aguirre]] et [[Nicolo Pensabene]]{{Sfn|Frétigné|2018|p=270-273}}.

Animés par les [[Mercantilisme|principes mercantilistes]], les vice-rois autrichiens échouent à réformer les impôts et à refaire de Messine un port de premier rang. Ils confient les mines d'argent et d'alun à une main-d’œuvre originaire de Saxe et de Hongrie, que rejette la population locale nostalgique de la domination espagnole{{Sfn|Norwich|2018|p=258-259}}. N'ayant prononcé aucune exécution depuis 1658, le Saint-Office rallume ses bûchers en 1724 et 1731. L'aristocratie s'européanise, fonde des académies dont la première est l'académie du bon goût à Palerme en 1718, construisent des palais et des villas, financent des artistes{{Sfn|Frétigné|2018|p=275-276}}.

=== 1735 - 1860 : Sous les Bourbons de Naples ===
L'île revient en 1735 aux [[Maison de Bourbon (Espagne)|Bourbons d'Espagne]] par la reconquête de l'infant [[Charles III (roi d'Espagne)|Charles de Bourbon]], duc de Parme et de Plaisance à partir de 1731, puis roi de Naples en 1732, qui nomme [[José Carrillo de Albornoz y Montiel|José Carrillo de Albornoz]] vice-roi<ref name=":22" />. La statue de {{noble|Charles VI (empereur du Saint-Empire)}} est aussitôt fondue pour un monument à la gloire du nouveau souverain qui reste une semaine à Palerme à la suite de son couronnement le 3 juillet 1735{{sfn|Frétigné|2018|p=279}}, après la chute de Messine et Syracuse, et alors que Trapani résiste encore{{sfn|Norwich|2018|p=260}}. Les aspirations de réforme de Don Carlos, comme l'instauration de la magistrature suprême du commerce, sont bloquées par l'aristocratie. Il faut plus de trois semaines pour aller de Trapani à Messine par le réseau routier{{sfn|Norwich|2018|p=267}}. Il tente de relancer le commerce du blé et les exportations vers le Maghreb{{sfn|Huré|1975|p=105}}.

Le [[Secrétaire d'État des royaumes de Naples et de Sicile|secrétaire d’État]] [[Bernardo Tanucci]] poursuit la politique éclairée de Charles quand, devenu roi d'Espagne, celui-ci laisse en 1759, les couronnes de Naples et de Sicile à son troisième fils, [[Ferdinand Ier (roi des Deux-Siciles)|{{noble-|Ferdinand III}} de Sicile]], alors âgé de 8 ans. Deux tiers des 40000 hectares de terres des Jésuites, chassés de Sicile en 1767, sont distribués à des paysans afin d'accroitre le nombre de petits propriétaires exploitants, selon les thèses [[Populationnisme|populationnistes]] de [[Antonio Genovesi]]. Les collèges sont confiés à d'autres ordres séculiers, puis inclus dans un système scolaire public, gratuit et laïc institué en 1770 : 18 écoles du premier grade pour apprendre catéchisme, lecture, écriture, calcul et latin ; cinq écoles du deuxième grade sises à Palerme, Messine, Catane, Syracuse et Trapani, où sont enseignés lecture, écriture, calcul, latin et grec, catéchisme, [[théologie dogmatique]], histoire sacrée et profane, mathématiques, philosophie générale et [[Cicéron#La philosophie de Cicéron|celle de Cicéron]]. Palerme accueille la seule école supérieure, distincte de l'unique université de l'île, à Catane{{sfn|Frétigné|2018|p=280-281}}. Le vice-roi [[Giovanni Fogliani de Pellegrino]], prédécesseur de Tanucci à Naples, jouit d'une longévité inédite de dix-huit ans, jusqu'à une révolte palermitaine en 1773{{sfn|Frétigné|2018|p=282-283}}.

Le Sicilien [[Giuseppe Beccadelli di Bologna]] succède à Tanucci au poste de secrétaire d'État de Ferdinand à Naples en 1776. Moins réformiste, il poursuit la vente des terres des Jésuites au seul profit des plus riches, achetant lui-même de vastes domaines et bénéficiant d'une ''licencia populandi'' du roi pour fonder de nouveaux bourgs. Il refuse de transformer l'Académie royale des études de Palerme en Université et de rouvrir l'université de Messine. Contestée par un prête de Castrogiovanni, Pasquale Mattias, condamné à six ans de prison, l'inquisition est abolie le {{date-|27 mars 1782}}{{sfn|Frétigné|2018|p=283-284}}. L'enseignement de l'[[économie politique]] est introduite en 1779 à la Faculté de Droit de Catane, dont le professorat d'« économie, commerce et agriculture » est confié au juriste [[Vincenzo Malerba]], défenseur de la torture contre [[Cesare Beccaria]], et à la faculté des Études philosophiques de Palerme où Vincenzo Emanuele Sergio enseigne « économie, agriculture et commerce » avant que l'agriculture soit déléguée en 1785 à l'agronome et économiste [[Paolo Balsamo]]<ref>{{Chapitre|prénom1=Jacqueline|nom1=Hecht|titre chapitre=De la révolution scientifique a la révolution culturelle : L’enseignement de l'économie politique a l'âge des lumières|titre ouvrage=Idées économiques sous la Révolution (1789-1794)|éditeur=Presses universitaires de Lyon|collection=Histoire|date=2019-11-05|isbn=978-2-7297-1010-1|lire en ligne=http://books.openedition.org/pul/15449|consulté le=2020-12-06|passage=35–83}}</ref>. En 1780, la vice-royauté échoit à [[Domenico Caracciolo]] qui s'inspire des Lumières pour moderniser de l'île : imposition sur les carrosses pour restaurer les rues de Palerme, développement de la petite propriété par des [[Bail emphytéotique|baux emphytéotiques]] à partir des biens de la grande aristocratie, mise en place avortée d'un [[cadastre]], encadrement de l'autorité des barons. En {{date-|janvier 1786}}, il est rappelé à [[Naples]] comme secrétaire d'État à la place de Beccadelli. [[Francesco d'Aquino]], prince de Caramanico, lui succède sur l'île jusqu'en 1795 et poursuit, plus modérément, l'affirmation de la souveraineté royale contre les barons, notamment par la [[Pragmatique Sanction|Pragmatique]] du {{date-|14 novembre 1788}} imposant le retour au domaine royal des fiefs sans héritier. En revanche, l'affaiblissement féodal n'amène ni émergence d'une bourgeoisie ni renouvellement de l'agriculture{{sfn|Frétigné|2018|p=285-287}}.

Dans cette lutte entre la puissance du monarque et les privilèges des barons, le faussaire [[Giuseppe Vella]] tente par le ''Conseil d’Égypte'', d'accréditer la thèse de la primauté royale{{sfn|Frétigné|2018|p=276-277}}. Son détracteur, l'abbé et historien [[Rosario Gregorio]], prône la fin de la féodalité au profit d'un état moderne bâti sur le [[droit public]]{{sfn|Frétigné|2018|p=279}}. Le jacobinisme touche peu la Sicile, malgré la figure de [[Francesco Paolo Di Blasi]] et des conspirations avortées à Syracuse en 1794, et à Catane en 1794<ref>{{Article |langue=it |prénom1=Alessandro |nom1=De Luca |titre=Il programma dei democratici cisalpini dalle pagine del «Giornale de’ patrioti d’Italia» (1797-98) alla nascita e allo sviluppo della Carboneria |périodique=Diacronie. Studi di Storia Contemporanea |numéro=N° 8, 4 |date=2011-10-29 |issn=2038-0925 |doi=10.4000/diacronie.3476 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/diacronie/3476 |consulté le=2020-12-06}}.</ref> et 1803. Mais la dernière décennie du {{s-|XVIII}} et le début du {{s-|XIX}} voient la naissance d'une gauche démocratique encore marginale{{sfn|Frétigné|2018|p=289}}.

Le roi Ferdinand et la reine [[Marie-Caroline d'Autriche|Marie-Caroline]] sont chassés de Naples par les soldats français de [[Jean-Étienne Championnet|Championnet]] le 23 décembre 1799. Conseillés par [[William Hamilton (1731-1803)|William Hamilton]] et protégés par [[Horatio Nelson|Nelson]] qui reçoit plus tard le [[duché de Bronte]] en reconnaissance de ses services, le couple royal se réfugie à Palerme. Leur fils de 6 ans, Charles-Albert, meurt durant la traversée. Marie-Caroline décrit dans sa correspondance sicilienne un clergé corrompu et un peuple {{Citation|sauvage}} qui aspirent à une république, à laquelle s'oppose une noblesse {{Citation|d'une loyauté douteuse}} qui craint de perdre richesse et hégémonie dans la démocratisation du régime{{sfn|Norwich|2018|p=289-293}}. Elle quitte Palerme en juin 1800, avec Nelson et les Hamilton, pour retourner à Vienne. En 1802, quatre ans seulement après la découverte d'[[Edward Jenner]], Ferdinand impose la [[vaccination]] contre la [[variole]] dans des centres médicaux ouverts à travers l'île{{sfn|Norwich|2018|p=300-304}}. Il revient à Naples le 27 juin 1802, la reine le 15 août{{sfn|Norwich|2018|p=311}}.

Ils sont à nouveau détrônés en 1806 par l'armée napoléonienne occupant le sud de la péninsule italienne, et reviennent en Sicile occupée par les Britanniques<ref name=":22" />, présents à travers 20000 soldats commandés par l'amiral [[Cuthbert Collingwood|Collingwood]] et son adjoint [[William Sidney Smith|Smith]], des marchands pour qui l'île durant le [[Blocus continental|blocus]] est l'un des rares débouchés, mais aussi une influence culturelle sur l'élite insulaire{{sfn|Frétigné|2018|p=290-291}}. Au point que nombres d'Anglais, comme [[Samuel Taylor Coleridge|Coleridge]], et de Siciliens, souhaitent une annexion de l'île au [[Royaume-Uni]]<ref>{{Article|langue=fr |prénom1=Filippo |nom1=Fiorito |titre=Réformes de police et pratiques gouvernementales à Palerme, sous les Bourbons dans la première moitié du {{s-|XIX}} |périodique=Rives méditerranéennes |numéro=42 |date=2012-06-30 |issn=2103-4001 |doi=10.4000/rives.4167 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/rives/4167 |consulté le=2020-12-06}}.</ref>. Contre l'avis de puissant [[Secrétaire d'État des royaumes de Naples et de Sicile|secrétaire d’État]] [[John Acton (6e baronnet)|John Acton]], la reine pousse à poursuivre la lutte en Calabre durant quatre ans mais ni les attaques de l'amiral [[William Sidney Smith|Smith]] ni celles du général [[Louis de Hesse-Philippsthal|Hesse-Philippsthal]] ne sont fructueuses{{sfn|Norwich|2018|p=323-325}}. Le représentant britannique [[William Cavendish-Bentinck (gouverneur général des Indes)|William Cavendish-Bentinck]] est missionné par son gouvernement pour apaiser l'île, qui connait un bras-de-fer entre le couple royal, entouré de leur cour napolitaine, et les barons locaux qui refusent de voter de nouveaux impôts au Parlement de janvier 1810, et dont le roi exile cinq représentants. Ferdinand doit se démettre au profit de son fils [[François Ier (roi des Deux-Siciles)|François]], nommé vicaire du royaume, lequel libère les nobles exilés qui forment un gouvernement. Le {{date-|19 juillet 1812}}, le Parlement sicilien, sous la conduite de Bentinck qui souhaite que la Sicile sous protectorat anglais propose un contre-modèle à la Révolution française et à Napoléon à l'Italie et à l'Europe, adopte, à l'instar de la [[Constitution espagnole de 1812|constitution espagnole]] votée la même année, une [[Constitution sicilienne de 1812|constitution libérale]], coécrite par [[Paolo Balsamo]]. Elle sépare l'île du royaume de Naples, instaure le [[bicamérisme]] et la [[séparation des pouvoirs]] [[législatif]], [[Pouvoir exécutif|exécutif]] et [[Pouvoir judiciaire|judiciaire]], reconnait les [[Droits fondamentaux|libertés individuelles]], et abolit les privilèges féodaux. Mais elle reste en deçà du mouvement européen social et post-féodal faute de renversement de l'ancien état social. Malgré l'abolition de la féodalité, les aristocrates dominent toujours l'île, là où la Révolution française intronise la bourgeoisie. De plus, l'absence de culture du débat démocratique enferme chacune des chambres dans des postures bloquant toute possibilité d'accords{{sfn|Frétigné|2018|p=291-295}}.

[[Fichier:Houel,_Ruines_du_temple_de_Segeste.jpg|vignette|''Ruines du temple de Ségeste'' par [[Jean-Pierre Houël]], 1782-1787.]]
À partir de la seconde moitié {{S-|XVIII}}, les sites de la Sicile antique sont une des étapes du [[Grand Tour]] des aristocrates européens, car plus accessibles que la Grèce sous domination ottomane<ref name=":41">{{Ouvrage|langue=it|prénom1=Giuseppe|nom1=Barone|titre=Storia mondiale della Sicilia|éditeur=Editori Laterza|date=2018-11-15|isbn=978-88-581-3508-2|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=yZR2DwAAQBAJ&pg=PT11|consulté le=2021-09-13}}</ref>. Ils décrivent le contraste entre l'art et la culture, l'apparent paradoxe entre la pauvreté des habitants et la richesse des ressources naturelles et de l'histoire. [[Johann Hermann von Riedesel|Riedesel]], [[Richard Payne-Knight|Payne-Knight]], [[Friedrich Münter|Münter]], [[Johann Wolfgang von Goethe|Goethe]], [[Patrick Brydone|Brydone]], [[Henry Swinburne|Swinburne]], l'[[Jean-Claude Richard de Saint-Non|abbé de Saint-Non]], [[Michel-Jean Borch]], [[Dominique Vivant Denon]], [[Jean-Pierre Houël]] visitent Ségeste, Sélinonte, Agrigente, Taormine, Syracuse, mais aussi l'Etna et Palerme{{sfn|Frétigné|2018|p=287}}, et délivrent la première {{Citation|image mondiale}} de la Sicile<ref name=":41" />.

Après la chute de [[Joachim Murat|Murat]], Ferdinand s'installe à Naples, et abroge la constitution sicilienne le 8 décembre 1816. Il unifie l'île et Naples sous le titre de {{Ferdinand Ier}} des [[Royaume des Deux-Siciles|Deux-Siciles]] et met en place une {{Citation|monarchie administrative}}, centralisatrice et [[Absolutisme|absolutiste]], en s'inspirant du [[Code civil (France)|Code Napoléon]] (Lois civiles, 1819). L'île est administrée par un vice-intendant et un conseil dans chacun des vingt-trois districts, regroupés en sept provinces dont Palerme, Messine, Catane, Syracuse, Girgenti, Caltanissetta et Trapani sont les chefs-lieux où résident chaque intendant eux-mêmes soutenus par un conseil d'intendance composé de trois membres désignés par le roi parmi les grands nobles, qui assume également le contentieux administratif, et un conseil provincial dont les quinze membres sont désignés par les communes. Celles-ci sont dirigées par un maire issu d'une assemblée nommée à raison d'un représentant par millier d'habitants. Un lieutenant du roi remplace à Palerme la charge de vice-roi{{sfn|Frétigné|2018|p=298-299}}.

Pour appartenir à ces instances, les prétendants se livrent à des luttes d'influence et parfois criminelles qui ont pu participer à l'émergence du crime organisé sicilien<ref>{{Article |langue=fr |auteur1= |prénom1=Paolo |nom1=Viola |traducteur=Roger Dupuy |titre=Mastro-Don Gesualdo e il problema della politicizzazione in Sicilia |traduction titre=Mastro-Don Gesualdo et la question de la politique en Sicile |périodique=Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine |numéro=111-4 |date=2004-12-20 |issn=0399-0826 |doi=10.4000/abpo.1182 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/abpo/1182 |consulté le=2021-01-16 |pages=118–123}}.</ref>. En effet, les gestionnaires des domaines agricoles (''gabellotti'') et leurs équipes de gardiennage (''campieri'') s'émancipent progressivement de leurs donneurs d'ordre traditionnels pour former des groupes spécialisés d'usage de la force, monnayant leurs services aux propriétaires et aux pouvoirs officiels et infiltrant les forces publiques et parapubliques de sécurité (gardes municipales, polices rurales). Incapable de les affronter, l'Etat préfère pactiser avec ces groupes pour contrôler l'île<ref name=briquet1>{{Chapitre|langue=fr|auteur1=Jean-Louis Briquet|titre chapitre=1. Les formulations d’un problème public. La question mafieuse dans l’histoire de l’Italie unifiée|titre ouvrage=Mafia, justice et politique en Italie. L'affaire Andreotti dans la crise de la République (1992-2004)|lieu=Paris|éditeur=Karthala|collection=Recherches internationales|année=2007|lire en ligne=https://www.cairn.info/mafia-justice-et-politique-en-italie--9782845868335-page-29.htm|passage=29-77}}</ref>. En 1838, le procureur général du roi à [[Trapani]] décrit pour la première fois officiellement la mafia comme une organisation secrète dangereuse<ref name=":22" />{{,}}{{Note|texte={{citation|La corruption généralisée a fait recourir le peuple à des remèdes extrêmement singuliers et dangereux. Il y a dans de nombreuses communes des unions ou des fraternités, des sortes de sectes, qui se disent des partis, sans couleur ou but politique […], sans autre lien que celui de la dépendance à un chef, ici un propriétaire, là un archiprêtre. […] [Ces partis forment] autant de petits Gouvernements dans le Gouvernement. Les défaillances de la force publique ont fait se multiplier les délits ! Le peuple en est venu à s’entendre tacitement avec ceux qui les commettent. Dès qu’un vol est perpétré, surgissent les médiateurs qui proposent une transaction pour récupérer les objets dérobés. Le nombre de tels accords est infini. De nombreux possédants ont cru pour cette raison qu’il valait mieux devenir oppresseurs qu’opprimés, et se sont inscrits dans ces partis. Beaucoup de hauts fonctionnaires les couvrent d’une protection impénétrable}}. Rapport adressé au ministre de la Justice par le procureur général du roi à Trapani,  [[Pietro Calà Ulloa]], le 3 août 1838<ref name=briquet1/>.|groupe=Note}}.

Par la défaillance de l'administration et le conservatisme de la population, les barons conservent le pouvoir économique, transformant leurs fiefs en latifundia dont ils délèguent la gestion aux ''gabellotti'' pour vivre à Palerme, Messine ou Naples{{sfn|Huré|1975|p=107-108}}. La noblesse perd moins de 10 % de ses possessions tout en en tirant plus profit par la disparition des anciens [[Droit d'usage|droits d’usage]] et le partage des [[Biens communaux|communaux]] presque toujours à son avantage. Plus que l'abolition du [[majorat]] [[fidéicommis]] en 1818, c'est la loi de 1824 autorisant la vente de propriétés pour payer les dettes qui entame plus notablement le foncier nobiliaire, au profit de barons créanciers surtout, de l’Église, de petits nobles et de quelques bourgeois urbains<ref name=":27">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=300-301}}.</ref>. Sans audace économique, spéculant sur le grain dont la production extensive reste la ressource première de l’île, fraudant à l'exportation contrôlée par le ''[[Mastro Portulano]]'', l'aristocratie laisse l'île dans sa torpeur, imitée par les quelques riches bourgeois qui préfèrent acheter des terres et des titres de noblesse. Les industries et le commerce sont laissés aux étrangers, notamment les Anglais dont la Sicile est la base arrière de leur commerce avec l'Italie et les Balkans depuis le [[Blocus continental]], ce que complète la contrebande qui émerge à cette période, ont le monopole de l'[[Exploitation du soufre en Sicile|extraction du soufre autour d'Agrigente et Palerme]] à partir de 1808 et développent la production de [[Marsala (DOC)|marsala]]. Les paysans et ''braccianti'' demeurent exploités, pauvres, endettés, illettrés et sous-nutris. En dehors des axes reliant Palerme à Messine{{sfn|Huré|1975|p=107-108}} et à [[Caltanissetta]], le réseau routier n'est que [[Chemin muletier|chemins muletiers]]<ref name=":27" />.

L'opposition aux Bourbons, désormais considérés comme étrangers, l'émergence des idées du [[Risorgimento]], comme l'adhésion aux diverses formes d'illégalité (banditisme, sociétés secrètes, conspiration, fraudes) font naitre des mouvements sociaux autonomistes et parfois contradictoires entre les nobles autonomistes cherchant à se libérer du carcan de l'absolutisme napolitain, et le peuple rural non structuré qui aspire à un meilleur partage des terres{{sfn|Huré, 1975|p=109-110}}. En 1820, informé de la [[Insurrection dans le Royaume des Deux-Siciles de 1820|révolte libérale de Naples]], le peuple de Palerme, animé par les ''maestranze'', imité de celui d'Agrigente, se soulève en faveur de l'autonomie de l'île et tue 45 habitants de Caltanissetta dans leur tentative de rallier le centre de l'île, alors que les libéraux de Messine et Catane adoptent le parti révolutionnaire napolitain qui considère le soulèvement palermitain comme un désir de retour à l'ordre ancien. Le gouvernement provisoire est présidé par le cardinal [[Pietro Gravina]]. Faute d'unité, la sédition est écrasée par les 25000 hommes du général [[Florestano Pepe]]. Naples tombe le 21 mars 1821 face aux Autrichiens qui rétablissent Ferdinand. Son fils [[François Ier (roi des Deux-Siciles)|François]], lieutenant général en Sicile entre 1812 et 1814 puis entre 1816 et 1820, est couronné en 1825 et confie ce poste à l'ancien directeur de la police, [[Pietro Ugo delle Favare]], qui traque les carbonari et les rebelles de l'île durant cinq ans. En 1830, le frère du roi, [[Léopold de Bourbon-Siciles (1813-1860)|Léopold de Bourbon-Siciles]], devient à son tour lieutenant général en Sicile alors qu'une tentative de soulèvement avorte à Palerme<ref name=":28">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=305-307}}.</ref>.

Après la mort du choléra de 40 000 personnes à Palerme et 70000 dans l'île, parmi lesquelles l'économiste [[Niccolò Palmeri]] et l'historien [[Domenico Scinà]], les Siciliens se soulèvent en 1837, encouragés par les sociétés secrètes, dont les [[Carbonarisme|carbonari]], dans leurs théories d'une contamination volontaire napolitaine{{sfn|Huré| 1975|p=109-110}}. L'île est à nouveau divisée, cette fois entre les Catanais démocrates et autonomistes, et le parti conservateur qui voit d'un bon œil l'intervention du maréchal [[Francesco Saverio Del Carretto]] pour étouffer le mouvement en arrêtant 750 personnes dont 180 sont exécutés. La déconcentration dont bénéficie l'île est annulée et des fonctionnaires napolitains y sont désormais nommés<ref name=":28" />. L'[[Université de Messine]] est rouverte, des réformes agraires entreprises engendrant une hostilité aristocratique envers les Bourbons{{sfn|Norwich|2018|p=369}}.

La [[Révolution sicilienne (1848)|révolution de 1848]] est précédée par une décennie d'agitation intellectuelle libérale favorable à l'autonomie sicilienne et à l'[[Risorgimento|unité italienne]] à travers les publications de ''La Guerra del Vespro siciliano'' de [[Michele Amari]] (1842) et ''La Lettre de Malte'' de [[Francesco Ferrara]] (1847){{sfn|Huré|1975|p=110-111}}. Le paysage politique libérale se structure autour des chefs de file comme [[Pietro Lanza]], prince de Scordia, partisan d'une monarchie constitutionnelle, les démocrates Francesco Ferrara, [[Emerico Amari]], [[Vito d'Ondes Reggio]], les modérés néogibelins Michele Amari et [[Giuseppe La Farina]], le républicain carbonariste [[Pasquale Calvi]], les mazzinistes [[Rosolino Pilo]], [[Giuseppe La Masa]] et [[Francesco Crispi]]{{sfn|Frétigné|2018|p=308-309}}. A l'inverse, jugeant les abus d'autorité des latifundistes responsables de la pauvreté du peuple et de l'atonie industrielle et commerciale, le fonctionnaire libéral napolitain [[Lodovico Bianchini]] plaide en 1841 pour un centralisme plus fort, tout en prônant un allègement des règlementations et une redynamisation de l'économie insulaire. Mais il échoue à imposer le cadastre dans l'île<ref name=":36">{{Article |langue=fr |auteur1=Giovanna Fiume |traducteur=Roger Dupuy |titre=Ludovico Bianchini e Leopoldo Franchetti, « viaggiatori » in Sicilia |traduction titre=Ludivico Bianchini et Leopoldo Franchetti, voyageurs en Sicile |périodique=Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine |numéro=111-4 |date=2004-12-20 |issn=0399-0826 |doi=10.4000/abpo.1182 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/abpo/1182 |consulté le=2021-01-16 |pages=123-128 }}</ref>.

Alors que l'élection du pape libéral {{noble|Pie IX}} en juin 1846 fait espérer aux néo-guelfistes de [[Vincenzo Gioberti|Gioberti]] une confédération des États italiens et que le [[Printemps des peuples]] va fleurir à travers l'Europe, les troubles débutent à Palerme le 12 janvier 1848, d'abord à l'initiative du peuple conduit par La Masa, rejoint par les bourgeois et aristocrates libéraux modérés, dont [[Ruggero Settimo]], ancien membre du gouvernement libéral de 1812 et du conseil provisoire de Palerme en 1820, et son ami [[Mariano Stabile (homme politique)|Mariano Stabile]], qui constituent le 28 janvier une garde nationale composée de bourgeois et de nobles, afin de contenir le mouvement révolutionnaire populaire. L'île totalement soulevée, Settimo et Stabile prennent la tête, le 2 février, d'un gouvernement provisoire favorable à une monarchie libérale<ref name=":29">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=310-317}}</ref>. Un Parlement est élu le 15 mars sur la base de la [[Constitution sicilienne de 1812|constitution de 1812]], et se réunit en mars dans l'[[Église San Domenico de Palerme]]. Divisé entre monarchistes et républicains, fédéralistes et unitaires, il parvient à se mettre d'accord pour proposer la couronne sicilienne au [[Ferdinand de Savoie|fils cadet du roi de Sardaigne]], qui la refuse{{sfn|Huré|1975|p=110-111}}. Les libéraux et une large partie des démocrates cherchent plus à conserver ou retrouver leurs avantages qu'à répondre aux aspirations populaires, notamment agraires<ref name=":29" />.

Malgré les tractations franco-britanniques, {{noble-|Ferdinand II}} fait bombarder Messine en septembre 1848, et débarquer sur l'île 10 000 hommes sous l'autorité du général [[Carlo Filangieri]] qui prennent Palerme, en mai 1849<ref name=":29" />. Cette révolution brisée affaiblit, parmi les patriotes siciliens, la revendication d'indépendance contre Naples au profit de l'idée autonomiste au sein d'une Italie unifiée et fédérale<ref name=":11">{{Article |langue=fr |prénom1=Jean-Yves |nom1=Frétigné |titre=La Sicile : un laboratoire politique à l’époque de la Monarchie libérale (1860-1922) |périodique=Cahiers de la Méditerranée |numéro=96 |date=2018-06-15 |issn=0395-9317 |doi=10.4000/cdlm.10800 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/cdlm/10800 |consulté le=2020-09-19 |pages=179–195 }}</ref>, hormis chez les quelques séparatistes comme [[Emerico Amari]]. L'exil des meneurs vers Malte, l'Italie du Nord ou la France nourrit dans les années suivantes l'ouverture et l'inclusion des intellectuels siciliens dans les courants italiens et européens qu'expriment la ''Bibliothèque des économistes'' de [[Francesco Ferrara|Ferrara]] et l'''Histoire des musulmans'' de [[Michele Amari]]<ref name=":30">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=317-319}}.</ref>.

Après le remplacement des compagnies armées locales par la gendarmerie en 1848, le crime à main armée s'organise et s'intensifie contre les voyageurs sur les routes et les chemins auparavant relativement sûrs et en revend au [[Maghreb]] le bétail et les chevaux volés, le régime le considérant lié aux agitateurs de la gauche libérale puis aux garibaldiens et aux socialistes. L'industrie pâtit depuis 1820 du retrait progressif des Anglais et de la crainte des financiers de nouvelles émeutes, à l'exception du travail des [[Corail rouge|coraux]] et des [[Lapidaire|lapidaires]]. Les réformes napolitaines, incomplètes, sont incapables de transformer la société sicilienne<ref name=":36" />.

Les lieutenants généraux Filangeri et [[Paolo Ruffo di Bagnara]] redonnent à l'île une partie de son autonomie mais Ferdinand s'enfonce dans l’absolutisme en réduisant les libertés de mouvement et d'expression et en accentuant l'arbitraire de la justice<ref name=":31" /> aux mains de [[Salvatore Maniscalco]], chef de la police insulaire<ref name=":30" />, pendant que le [[Royaume du Piémont-Sardaigne]] déploie une politique progressiste et pan-italienne<ref name=":31">{{Harvsp|Norwich|2018|p=373}}.</ref>.

== Époque contemporaine ==
=== 1860 - 1922 : La Sicile au sein de l'Italie unifiée ===
[[Fichier:Fattori. Garibaldi a Palermo.jpg|vignette|Garibaldi à Palerme, par [[Giovanni Fattori]].]]
Après la mort de Ferdinand en 1859, son fils, {{noble|François II (roi des Deux-Siciles)}}, poursuit l'alliance avec l'Autriche en refusant la main tendue de [[Camillo Cavour|Cavour]], premier ministre de {{noble|Victor-Emmanuel II}} de [[Royaume de Piémont-Sardaigne|Piémont-Sardaigne]]. Les mazziniens maintiennent l'agitation dans le Mezzogiorno, et dépêchent en Sicile l'avocat républicain de [[Ribera (Italie)|Ribera]], [[Francesco Crispi]], alors que Cavour y envoie un fidèle, Enrico Bensa<ref name=":30" />.
[[Fichier:Filippo Liardo Sepoltura garibaldina (o Bombardamento di Palermo) 1862.jpg|vignette|''Sepoltura garibaldina'', par [[Filippo Liardo]], 1862.

Deux jeunes femmes en deuil, dans une maison partiellement détruite par le bombardement de Palerme par les Bourbons, se recueillent devant le cercueil d'un garibaldien mort pour la libération de la ville.]]
À la suite d'une série d'émeutes entre 1854 et 1859, et après l'intégration de la [[Lombardie]], de la [[Grand-duché de Toscane|Toscane]], de l'[[Émilie (Italie)|Émilie]] et la [[Romagne (Italie)|Romagne]] au [[Royaume de Sardaigne (1720-1861)|royaume de Sardaigne]] à l'issue de la [[Deuxième guerre d'indépendance italienne]], les Napolitains écrasent une [[Révolte de la Gancia|nouvelle tentative de soulèvement]] menée à Palerme le {{date-|4 avril 1860}} par [[Francesco Riso]]. Mais d'autres révoltes populaires éclatent dans le Nord de l'île{{sfn|Norwich|2018|p=379-380}}, attisées par les [[Mazzinisme|mazzaniens]] Crispi, Pilo et La Masa. Avec le soutien officieux du roi de Sardaigne, [[Giuseppe Garibaldi (homme politique)|Giuseppe Garibaldi]], aventurier partisan de l'unité italienne convenant à la fois aux modérés pour son soutien à la [[maison de Savoie]] et aux démocrates par sa popularité, s'embarque à Gênes pour la Sicile. Un millier de volontaires essentiellement du Nord de l'Italie, dont [[Francesco Crispi|Crispi]] et [[Rosalia Montmasson|sa femme]], le suit sur le ''[[Piemonte (navire)|Piemonte]]'', commandé par lui et piloté par [[Salvatore Castiglia]], et le [[Lombardo (navire)|''Lombardo'']], commandé par [[Nino Bixio|Bixio]] et piloté par [[Augusto Elia]], et débarquent à Marsala le 11 mars. L'[[expédition des Mille]] emporte les victoires à [[Bataille de Calatafimi|Calatafimi]] le 15, [[Insurrection de Palerme|Palerme]] le 30, emportant l'adhésion de plus en plus de Siciliens mais surtout l'engouement de la presse européenne et américaine sous la plume de [[Charles Dickens]], [[Florence Nightingale]], [[Alexandre Dumas]] ou encore [[Karl Marx]]{{Sfn|Norwich|2018|p=381-384}}. Peu populaire sur l'île, la conscription n'enthousiasme pas les Siciliens à l'approche des moissons et moins d'un millier d'hommes forme la division sicilienne, sous bannière noire bordée de rouge avec un volcan au centre{{sfn|Frétigné|2018|p=323}}. La [[Bataille de Milazzo (1860)|victoire de Milazzo]] en juillet met fin à la présence des troupes napolitaines de l'île{{Sfn|Norwich|2018|p=385-386}}.

Garibaldi, [[Dictature de Garibaldi|proclamé dictateur]] à Salemi, délègue la gestion administrative de l'île à Crispi, qui nomme un gouverneur aux pleins pouvoirs dans chacun des 24 districts de l'île, puis reçoit les portefeuilles de l'Intérieur et du Trésor dans le gouvernement du 2 juin{{sfn|Norwich|2018|p=387}}. Pour contenter le peuple des campagnes, Garibaldi abolit les taxes sur le moulage des grains et sur l'importation de céréales et de légumes, décrète le partage des terres communales au profit des paysans pauvres et des combattants punissant de mort ceux qui s'y opposent. Face aux idées républicaines et jacobines, voire socialistes qui émergent parmi le peuple, les nobles et les bourgeois, traditionnellement autonomistes, choisissent de soutenir l'annexion voulue par Cavour, et défendue sur place ses envoyés [[Giuseppe La Farina|La Farina]] et [[Filippo Cordova|Cordova]]{{Sfn|Huré|1975|p=112-113|loc=Le plébiscite pour le rattachement}}. Il faut d'ailleurs voir dans la répression du [[massacre de Bronte]] en août par [[Nino Bixio|Bixio]], la nécessité de rallier les propriétaires à la couronne piémontaise et ne pas fâcher à l'Angleterre{{Sfn|Frétigné|2018|p=325}}.
[[Fichier:Francesco Crispi nuovo presidente del Consiglio dei Ministri.jpg|vignette|[[Francesco Crispi]], homme politique sicilien, compagnon de [[Giuseppe Garibaldi|Garibaldi]], figure du [[Risorgimento]].]]
Le 22 juillet, le Lombard [[Agostino Depretis]], ex-mazzanien proche de Cavour et membre des Mille, est nommé pro-dictateur, s'empressant de promulguer l'application du [[Statut albertin]] du Piémont{{sfn|Frétigné|2018|p=326}}. Contre les réticences de Garibaldi et Crispi qui souhaitent attendre la libération de l'Italie du Sud et une assemblée constituante italienne, la Sicile approuve, le {{date-|21 octobre 1860}}, avec 432 055 « pour » et 667 « contre » (75 % de participation)<ref name=":11"/>, le [[Plébiscites pour l'unification en Italie|plébiscite d'annexion au royaume]] de {{noble|Victor-Emmanuel II}} : les conséquences ne sont pas toujours comprises par les votants, d'autant que les opposants ont été empêchés par l'armée{{sfn|Norwich|2018|p=397}}. Deux jours plus tôt, le pro-dictateur [[Antonio Mordini]], remplaçant Depretis démissionnaire, crée un Conseil extraordinaire d’État composé de 37 personnalités siciliennes, essentiellement autonomistes modérés{{note|texte=Parmi cette assemblée, présidée par [[Gregorio Ugdulena]] et vice-présidée par [[Mariano Stabile (homme politique)|Mariano Stabile]] et [[Emerico Amari]], on compte les professeurs [[Michele Amari]], [[Giacinto Carini]], [[Stanislao Cannizzaro]], le baron [[Vito d'Ondes Reggio]], [[Francesco Ferrara]], l'avocat [[Filippo Santocanale]], [[Vincenzo Fardella di Torrearsa]], le baron [[Giuseppe Natoli]], [[Francesco Paolo Perez]], [[Francesco Di Giovanni]], [[Matteo Raeli]], le baron [[Casimiro Pisani]], [[Giovanni Raffaele]], et [[Salvatore Vigo]]. Andrea Guarneri, [[Isidoro La Lumia]]<ref>{{Article|langue=es|prénom1=Angelo|nom1=Grimaldi|titre=La Rivoluzione Siciliana del 1860. La Dittatura garibaldina e le proposte sull'ordinamento regionale del Consiglio straordinario di Stato siciliano. Aspetti costituzionali.|périodique=Revista de la Facultad de Derecho de México|volume=70|numéro=277-I|date=2020-06-30|issn=2448-8933|doi=10.22201/fder.24488933e.2020.277-I.72583|lire en ligne=https://www.revistas.unam.mx/index.php/rfdm/article/view/72583|consulté le=2023-02-19|pages=495–530}}</ref>{{,}}<ref>{{Lien web |langue=it |titre=L' ALBA DELL' AUTONOMIA 1860, LA SICILIA SCOPRE IL FEDERALISMO |url=https://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2011/03/11/alba-dell-autonomia-1860-la-sicilia.html |site=Archivio - la Repubblica.it |date=11 mars 2011|consulté le=2023-02-19}}</ref>.|groupe=Note}} puisque les démocrates et les cavouristes ont refusé d'y siéger, lequel réclame à l'unanimité un statut spécial pour l'île sans être entendu. Le {{1er}} décembre 1860, {{noble-|Victor-Emmanuel II}} se rend à Palerme pour recevoir des mains de Mordini les résultats du plébiscite ainsi que sa démission. Le Piémontais Massimo Cordero di Montezemolo prend la charge de lieutenant général. Aux [[Élections générales italiennes de 1861|premières élections générales italiennes]] de janvier 1861, dont le corps électoral est réduit à un dixième de celui du plébiscite par l'application de la loi piémontaise{{Note|group=Note|texte=La loi du royaume de Sardaigne donne le droit de vote aux hommes de plus de 25 ans sachant lire et écrire, et payant 40 lires d'impôts. Il y avait en 1861 418 696 électeurs autorisés sur les 22 millions italiens de l'époque. En Sicile, ils sont 49 000 à pouvoir voter, contre 432700 à voter le 21 octobre 1861.}}, près de la moitié des Siciliens s'abstiennent et la victoire des candidats de Cavour est moins franche que dans le reste du royaume<ref name=":11" /> : les autonomistes catholiques l'emportent dans une dizaine de circonscriptions de l'île et la gauche envoie au Parlement Crispi, La Masa et Calvi{{Sfn|Frétigné|2018|p=328}}.

Le {{date-|17 mars 1861}}, l'État piémontais change son nom en [[Royaume d'Italie (1861-1946)|Royaume d'Italie]] dont la Sicile devient une partie. Garibaldi s'efface devant le roi {{noble-|Victor-Emmanuel II}} mais remobilise autour de son mot d'ordre {{Citation|O Roma, o morte}}, trois milles volontaires durant l'été 1862 depuis la Sicile afin d'intégrer Rome au royaume italien. Le gouvernement d'[[Urbano Rattazzi]] envoie contre eux l'armée italienne en Calabre{{Sfn|Norwich|2018|p=400}}.

L'enthousiasme sicilien en faveur de l'annexion ne dure pas : le gouvernement revient sur la promesse d'une autonomie sicilienne, tente d'amoindrir l'héritage de Garibaldi et impose une {{Citation|[[piémontisation]]}} sans tenir compte des différences culturelles entre les régions unifiées{{Note|group=Note|texte=En Sicile, [[népotisme]], patronage et clientélisme, puissance du clergé et importance des forces républicanistes autonomistes, sont autant de traits culturels qui éloignent l'île des pratiques et de la compréhension du Nord.}}{{,}}{{Sfn|Norwich|2018|p=403-404}}. Pour s'assurer une stabilité électorale, l’État italien négocie à la baisse ses ambitions réformatrices avec une partie de la noblesse, la bourgeoisie terrienne et les professions libérales, au risque de perdre sa légitimité auprès des classes inférieures et de rendre inapplicable le centralisme en laissant le pouvoir, et notamment la violence {{Incise|légale ou non}} à ces élites locales<ref name=":35" />. Mais une autre partie de la noblesse et le haut clergé demeurent fortement favorables aux Bourbons. L'aura de Garibaldi persiste en Sicile, par sa flamme patriotique et pour ses idées démocratiques et sociales, comme la réforme agraire. Contre la [[droite historique]], républicains garibaldiens et [[Giuseppe Mazzini|mazziniens]] du [[Parti d'action]] s'allient aux intellectuels du parti autonomiste pour une décentralisation forte. Pourtant les frontières sont poreuses, et Crispi rejoint, lui, la [[Gauche historique|gauche monarchiste]]<ref>{{Article |langue=fr |prénom1=Marie-Anne |nom1=Rubat du Mérac |titre=De la difficile naissance d’un État-nation d’après I Pugnalatori de Leonardo Sciascia |périodique=Italies. Littérature - Civilisation - Société |numéro=6 |date=2002-11-01 |issn=1275-7519 |doi=10.4000/italies.1675 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/italies/1675 |consulté le=2020-09-13 |pages=629–644}}.</ref>. Les paysans endettés par l'achat des fiefs démantelés à partir de 1861, doivent rapidement les revendre à l'aristocratie ou à la bourgeoisie{{Sfn|Huré|1975|p=114}}. La réforme de la justice, l'application du régime fiscal piémontais et le service militaire obligatoire inconnu sous les Bourbons sont autant de mesures impopulaires au moment où la crise économique provoque une famine. Alors que l’Église possède un dixième de l'île, la vente aux enchères des biens des corporations religieuses, dissoutes le {{date-|7 juillet 1866}}, profite aux grands propriétaires et à la mafia qui, par pression et corruption, obtiennent des biens à bas prix, jusqu'à 10 % de leurs valeurs réelles. 15 000 laïcs connaissent le chômage, religieuses, moines et prêtres se retrouvent à la rue, et les œuvres de bienfaisance (orphelinats, écoles de charité, hospices, distributions alimentaires) ferment. L'hostilité de l’Église vis-à-vis du gouvernement se transforme au fur et à mesure en soutien à la mafia{{sfn|Norwich|2018|p=409-410}}.

{{formatnum:25000}} déserteurs entre 1861 et 1863 tentent d'échapper à la conscription et rejoignent des soldats des Bourbons démobilisés et des hommes de mains des grands possédants dans des bandes opérant dans les campagnes{{sfn|Huré|1975|p=115}}. Le [[brigandage post-unitaire]] sicilien, moins politisé que sur le continent, profite de la division administrative des forces de l'ordre{{sfn|Norwich|2018|p=404}} et de la sympathie de la population{{sfn|Huré|1975|p=115}} qui ne ressent pas de devoir de loyauté vis-à-vis du nouveau pouvoir, les plus pauvres y voyant des [[Robin des Bois]], les plus riches une opposition à un nouveau régime qui menace leurs privilèges.

Île révolutionnaire, sous-administrée, hostile tant à l'autorité qu'au changement, la Sicile devient aux yeux de la droite historique une terre arriérée à remettre de force dans la voie de l'ordre et du progrès<ref name=":11" />. Dès décembre 1860, Cavour écrivait qu'il fallait {{Citation|imposer l’Unité à la partie la plus corrompue, la plus faible de l’Italie […] [au moyen de] la force morale et, si celle-ci ne suffit pas, de la force physique}}<ref name="briquet1" />. Aussi, l'État décrète-t-il l'[[état de siège]] à trois reprises en quatre ans (août 1862, août 1863 et septembre 1866) et promulgue la [[Loi Pica|loi d'exception Pica]]<ref name=":11" />. Les {{nombre|120000|hommes}} du général [[Giuseppe Govone (général)|Govone]], pour qui {{Citation|on n'avait pas encore achevé de parcourir le cycle qui mène de la barbarie à la civilisation}} en Sicile<ref name="norwich406">{{Harvsp|Norwich|2018|p=406}}.</ref>, parviennent à neutraliser la plupart des brigands en 1865, au prix d'une politique de la terreur (arrestations et détentions sans procès, exécutions d'otages, torture, coupures d'eau, incendies…) qui fait {{nombre|2500|morts}} et {{formatnum:2800}} condamnés{{sfn|Huré|1975|p=115}}. Le divorce entre Sicile et gouvernement s'accentue<ref name="norwich406" /> et une [[Sette e mezzo|nouvelle insurrection]] mêlant partisans des Bourbons et d’ex-garibaldiens à des bandes de brigands éclate à Palerme en septembre 1866<ref>{{Chapitre|prénom1=Paolo|nom1=Pezzino|titre chapitre=Mafia, violence et pouvoir politique en Italie ({{sp-|XIX|-|XX|s}})|titre ouvrage=Violences et pouvoirs politiques|éditeur=Presses universitaires du Midi|collection=Socio-logiques|date=2020-02-27|isbn=978-2-8107-1054-6|lire en ligne=http://books.openedition.org/pumi/13755|consulté le=2020-08-26|passage=175–192}}</ref>, écrasée après sept jours et demi par la Garde nationale{{Sfn|Norwich|2018|p=407}}.

Rejetant la politique répressive de la [[droite historique]], la Sicile, par l'apport des voix de la classe moyenne, envoie 42 députés de gauche sur 48 sièges à pourvoir [[Élections générales italiennes de 1874|en novembre 1874]], anticipant la victoire nationale de la gauche [[Élections générales italiennes de 1876|en novembre 1876]] (où la Sicile vote à 95 % pour la gauche). Ce vote et les multiples insoumissions populaires antérieures remettent la Sicile au cœur du débat politique et intellectuel. La [[question méridionale]]{{Note|group=Note|C'est après ces élections de 1874 que paraissent les écrits de [[Pasquale Villari]], se diffusent les théories de l'anthropologue [[Cesare Lombroso]] et qu'est lancée l'enquête parlementaire de [[Leopoldo Franchetti]] et [[Sidney Sonnino]].}} exprime alors la méconnaissance des problèmes du Mezzogiorno par les élites du Nord nourrie par des préjugés antiméridionnaux, et la peur de la droite que les territoires archaïques n'imposent des idées démocratiques ou socialisantes fragilisant de l’État-nation, certains de ses membres proposant de limiter les libertés du peuple pour mieux les affranchir des élites méridionales. En réponse à la question méridionale, le [[sicilianisme]] émerge pour expliquer la situation misérable de l'île par les manquements des dirigeants étrangers qui se sont succédé durant des siècles, et dont les Piémontais sont les derniers en date, et justifier l'immobilisme sociétal comme inhérent à la Sicile où {{Citation|tout change pour que rien ne change}} selon le mot célèbre du ''[[Le Guépard|Guépard]]'' de [[Giuseppe Tomasi di Lampedusa|Lampedusa]]<ref name=":11" />, malgré la contradiction avec l'image d'une Sicile révolutionnaire<ref name=":37" />.

La [[Loi électorale italienne de 1882|réforme électorale de 1882]] soutient la montée en puissance des [[Classe moyenne|classes moyennes]] faisant évoluer le personnel politique sicilien au détriment des aristocrates de l'île, qui sont 22 au Parlement italien en 1897, puis 13 en 1909, et seulement 5 en 1919. Le corps électoral insulaire passe 49 000 électeurs à la naissance de l'Italie à 254 000 en 1892, mais retombe sous les 166 000 électeurs de 1882 après 1895 et jusqu'à l'adoption du suffrage universel masculin en 1913. Les radicaux, républicains et socialistes rassemblent 39 % des suffrages en 1913 contre 8 % en 1897<ref name=":11" />. Crispi tente de freiner la progression de la gauche en Sicile mais la loi du 10 février 1889 instaure l'élection des maires des communes de plus {{nombre|10000|habitants}}, et élargit le corps électoral à la classe moyenne par l'uniformisation du cens à 5 lires dans toutes les communes{{Sfn|Frétigné|2018|p=338}}.

La Sicile prospère dans les premières années de l'union italienne mais inégalitairement entre l'est et la côte riches de ses vergers et de son coton, et l'ouest appauvri par la culture extensive du blé des latifundia et la misère du peuple de Palerme<ref name="Fret336" />. [[Caltanissetta]] affiche un nombre de meurtres 10 fois supérieur à Messine{{Sfn|Norwich|2018|p=414}}. Les services publics (écoles, tribunaux, prisons, casernes, hôpitaux) se développent et renforcent les villes secondaires, les petits bourgs ruraux subissant un exode au profit des villes de plus de {{nombre|10000|habitants}} et de la côte au début du {{s-|XX}}<ref name=Fret336>{{Harvsp|Frétigné|2018|p=336-337}}.</ref>. Palerme, Messine et Catane regroupent moins d'un cinquième de la population insulaire. [[Palerme]] et la [[Conca d'Oro]] s'enrichissent avec l'exportation d'[[Agrume|agrumes]], en particulier de [[citron]], la culture du coton se développe rapidement, et l'ouverture du [[canal de Suez]] promet à Palerme et Messine une position commerciale internationale, puisque le tonnage des exportations depuis des ports de l'île quadruple<ref name=":12">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=341-342}}.</ref>. Les exportations de blé, d'agrumes, de vin profitent de la [[guerre de Sécession]] et de la crise du [[phylloxéra]] dans le vignoble français{{sfn|Huré|1975|p=116-117}}. La [[Banco di Sicilia]] est fondée en 1867. Le développement industriel de Catane lui vaut le surnom de « Milan du Sud » qui profite à la fois de la richesse de son arrière-pays agricole relié hâtivement au [[Réseau ferroviaire de la Sicile|réseau ferré]], et de l'essor de l'industrie chimique autour du [[Exploitation du soufre en Sicile|soufre]]<ref name=":12" />.

Les villes s'enrichissent de bâtiments publics et privés prestigieux, adoptant l'art nouveau à travers le [[style liberty]], la vie associative culturelle et sportive foisonne dans les grandes agglomérations et les villes secondaires, les bibliothèques publiques et privées ouvrent, la presse et l'édition prospèrent, les universités se remplissent<ref name=":35" />. Pour accueillir les touristes, ouvrent à Taormina le [[Grand Hotel Timeo|Timeo]] en 1873 et le ''[[San Domenico Hotel]]'' en 1896 dans un ancien couvent dominicain du {{S-|XIV}}, à Syracuse l'''hotel des Etrangers'' à la même époque, à Palerme la [[Villa Igiea]] en 1899 et le [[Grand Hotel et des Palmes]] en 1907<ref name=":41" />.

Ce développement industriel et économique est soutenu par les deux grandes familles de Palerme, les [[Famille Florio|Florio]], représentés par Paolo et Ignazio, puis [[Ignazio Florio Jr.]], l'une des plus grosses fortunes d'Italie, et de l'autre côté par les [[Joseph Whitaker|Whitaker]], propriétaires de la villa qui deviendra le [[Grand Hotel et des Palmes]], où [[Richard Wagner|Wagner]] dirige à l'hiver 1881-82 son dernier opéra, ''[[Parsifal]]''. L'influence des Florio est telle que la presse désigne Palerme sous le nom de « Floriopolis », tandis que la haute société européenne de la [[Belle Époque]] afflue dans la ville admirer son opulence. Mais beaucoup des intellectuels siciliens de l'époque vivent hors de l'île : [[Giovanni Verga]], [[Luigi Pirandello]], [[Salvatore Quasimodo]], [[Vitaliano Brancati]], ou [[Elio Vittorini]]{{sfn|Huré|1975|p=118}}. L'opulence va de pair avec un système de [[clientélisme]] et de [[fraude électorale]] importantes, symbolisé par le conseiller régional et député [[Raffaele Palizzolo]], et les premiers échanges entre la mafia sicilienne et la [[Mano Nera|''Mano nera'' américaine]] amène le policier italo-américain [[Joe Petrosino]] à enquêter à Palerme où il est assassiné{{Sfn|Norwich|2018|p=414}}.

Pourtant l'île doit supporter la nationalisation de la dette du Nord, qui avait permis de financer l'industrialisation du Piémont et de la Lombardie, et souffre d'une fiscalité alourdie. L’État italien sous-investit dans l'île{{Note|group=Note|texte=Ainsi, sur les 450 millions de lires dépensés pour des travaux hydroélectriques entre 1862 et 1896, seul 1,3 million est destiné à la Sicile selon Jean Huré.}} et, faute de capitaux privés, les inégalités économiques se creusent avec le Nord par la politique [[Libre-échange|libre-échangiste]] qui soumet l'industrie locale à la concurrence étrangère puis par le protectionnisme soutenu par le bloc agroindustriel unissant la bourgeoisie industrielle du Nord et l'aristocratie latifundiaire du Sud, qui affecte les exportations à partir de 1887{{sfn|Huré|p=116-117|1975}}. Le coût de la vie double durant les décennies 1870 et 1880, sans que le prix du travail n'augmente{{Sfn|Norwich|2018|p=412}}. De plus, une épidémie de choléra survenue à Naples en 1885 se propage à Palerme.
[[Fichier:Illustrazione italiana 21 01 1894 P1.jpg|vignette|Une de l'''Illustrazione italiana'' du 21 janvier 1894 à propos des [[Faisceaux siciliens]] : « Le théâtre de la révolte en Sicile - A Mazzara ».]]
Depuis le Moyen Âge, les agriculteurs vivent dans les petites villes (''[[Agrotown|agrotowns]]'') devenues centres féodaux, religieux puis politiques et administratifs, et se rendent chaque jour sur la place centrale pour se faire embaucher ou dans les champs qu'ils exploitent<ref name=Fret336 />. Les latifundistes délèguent couramment la gestion de leurs terres, pour trois, six ou neuf ans, à des ''gabelotti'', moyennant redevance en argent, lesquels à leur tour concèdent le plus souvent pour un an ou deux à des paysans la mise en culture, selon deux contrats dominants : le ''terratico'', avec loyer fixe en grains, et la ''[[Métayage en Italie|metateria]]'' pour laquelle le montant de la location peut aller jusqu'au trois quarts de la récolte. Aussi, les ''braccianti'', journaliers qui forme à la fois la catégorie la plus exploitée et la plus nombreuse des campagnes, sans emploi entre 120 à 150 jours par an en moyenne<ref name="rochefort">{{Article |prénom1=Renée |nom1=Rochefort |titre=Réflexions à propos du partage des terres en Sicile |périodique=Géocarrefour |volume=31 |numéro=2 |date=1956 |doi=10.3406/geoca.1956.2062 |lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1956_num_31_2_2062 |consulté le=2020-05-23 |pages=99–106 }}</ref>, tentent de s'organiser contre les ''gabelotti'' qui forment une nouvelle bourgeoisie rurale peu favorable au développement économique et au progrès social{{sfn|Huré|1975|p=107-108}}. Les ''[[Faisceaux siciliens|faisceaux des travailleurs]]'' se créent à partir de 1892, ce mouvement socialisant suscitant un intérêt international mais pas de soutien par le [[Parti socialiste italien|PSI]] car interclassiste et aspirant plus à petite propriété rurale qu'à la socialisation des terres<ref name=":11" />. En réponse aux inquiétudes de l'élite rurale et urbaine, le président du Conseil [[Francesco Crispi]] se positionne en défenseur de l'Unité de l'Italie<ref name=":11" /> et décrète l'état de siège du 4 janvier au 18 août 1894. Les faisceaux sont dissous sans résoudre les difficultés des ouvriers agricoles et des mineurs de soufre{{sfn|Huré|1975|p=116-117}}, les projets de réforme du ''latifundio'' par Crispi n'aboutissant pas<ref name=":11" />.

Un autre Sicilien, [[Antonio di Rudinì]], succède à Crispi à la tête du gouvernement. Défenseur des intérêts des propriétaires fonciers, il freine la montée en puissance politique des classes moyennes en renforçant le poids des notables. Il crée un poste de commissaire civil concentrant une large partie des pouvoirs de l'État et qui échoit à [[Giovanni Codronchi]]<ref name=":11" />.

Si le socialisme est durablement absent de Sicile, un front syndical et réformiste se forme pour tenter de moderniser l’économie et de démocratiser la politique. En réaction, le discours sicilianiste réactionnaire rend responsable des difficultés siciliennes, l’État et le protectionnisme mis en œuvre au profit des industriels et ouvriers du Nord<ref name=":11" />.
[[Fichier:Comerio, Luca (1878-1940) - Vittime del terremoto di Messina (dicembre 1908).jpg|vignette|Victimes du tremblement de terre de Messine, en 1908, par [[Luca Comerio]].]]
La population ne cesse d'augmenter entre 1851 et le début des années 1960, excepté entre 1921 et 1931, alors que l'[[Émigration italienne|émigration]] est la plus forte au début du {{s-|XX}}, notamment dans le centre de l'île : plus de 100 000 départs sont comptabilisés entre 1905 et 1907, 142 000 en 1913. Ainsi, la densité double entre 1860 (93 hab /km²) et 1953 (183 hab / km²), mais de façon déséquilibrée : supérieure à 500 habitants / km² en 1951 au nord de Catane, au sud de Messine et autour de Palerme, elle se situe entre 200 et 500 sur la côté, sauf sur le littoral sud-oriental moins peuplé, et passe sous les 100 habitants dans l'essentiel de la Sicile intérieure<ref name="seronde">{{Article |prénom1=Anne-Marie |nom1=Seronde |titre=La Sicile |périodique=Annales de géographie |volume=71 |numéro=387 |date=1962 |doi=10.3406/geo.1962.16267 |lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1962_num_71_387_16267 |consulté le=2020-05-23 |pages=539–540 }}</ref>. À partir de 1882, les départs sont vers le Brésil, l'Argentine et les États-Unis{{Sfn|Huré|1975|loc=Problèmes sociaux|p=120-121}}. Dans les îles Éoliennes, notamment [[Stromboli]], les habitants partent régulièrement vers des territoires plus prospères<ref name="seronde" />. Certains villages disparaissent, et les salaires agricoles augmentent là où la main-d’œuvre vient à manquer{{Sfn|Norwich|2018|p=416}}.

Un [[Séisme du 28 décembre 1908 à Messine|tremblement de terre fait plus de 60 000 morts à Messine]] en 1908. L’État saisit l'occasion de la reconstruction pour prouver de l'avantage de s'inscrire dans l'unité italienne<ref name=Maccaglia/>.

L'île au début du {{S-|XX}} reste l'une des bases italiennes des luttes sociales, comme l’Émilie, la Lombardie et la Toscane<ref name=":37" />.

La [[Première Guerre mondiale]] entraîne l'arrêt des exportations, une baisse du prix réglementé de la farine et le développement du [[marché noir]]{{Sfn|Norwich|2018|p=416-417}}. Le Palermitain [[Vittorio Emanuele Orlando]] est nommé Président du Conseil le {{date|30 octobre 1917}}, après la [[Bataille de Caporetto|défaite de Caporetto]].

Après la Première Guerre mondiale, l'économie sicilienne ne peut résister à la concurrence internationale (soufre américain, agrumes tropicaux, blés nord-américains)<ref name=":35" />. Le retour des soldats, ayant partagé de nouvelles idées au front, et d'émigrés prenant leur retraite sur leur île natale amènent des aspirations plus progressistes{{Sfn|Norwich|2018|p=416-417}}.

=== 1922 - 1944 : La Sicile sous le régime fasciste ===

[[Fichier:Slogan faciste, Acireale - L'italia e un esercito.jpg|alt=L'Italia è un esercito che ha conquistato molte vittorie e molte ne conquisterà nel futuro.|vignette|Slogan de l'époque fasciste peint sur une façade d'[[Acireale]], juillet 2020.]]
Malgré l'importance du philosophe castelvetranais [[Giovanni Gentile]] dans la définition du programme idéologique et culturel fasciste, l'adhésion sicilienne au [[fascisme]] semble superficielle, sans opposition affirmée ni engouement fort{{Sfn|Huré|1975|p=121}}. En 1921, aucun fasciste n'est élu député, en 1924, ils sont 38 sur 57{{Sfn|Norwich|2018|p=419}}. Une théorie défendue tant par les Alliés en 1943 que par le comte [[Lucio Tasca Bordonaro]], ancien leader des grands propriétaires terriens à la même époque, considère le fascisme comme une idéologie septentrionale imposée au Sud{{sfn|Frétigné|2018|p=408}}.

La [[Première Guerre mondiale]], la [[loi d'immigration Johnson-Reed de 1924]] et la politique fasciste réduisent drastiquement le phénomène d'émigration massive des Siciliens qui privilégient désormais le nord du pays et dont quelques uns participent à la colonisation de la [[Libye]] et de l'[[Éthiopie]]<ref name=":34">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=428-430}}.</ref>, la Sicile devenant le {{Citation|centre géographie de l'empire}} italien{{Sfn|Norwich|2018|p=423}}.

La période fasciste rééquilibre les investissements publics (42 % vont au Mezzogiorno et à la Sicile entre 1937 et 1940) par des grands travaux routiers impressionnants mais ne répondant pas aux besoins d'un réseau routier secondaire, de l'électrification de l'île, dix fois inférieure au reste du pays, et de celle des [[Ligne de Palerme à Messine|lignes Palerme-Messine]] et [[Ligne de Messine à Syracuse|Messine-Syracuse]] restées à voie unique, ou encore de l'adduction hydraulique{{Sfn|Huré|p=118-120|loc=Évolution de la question sicilienne au {{s-|XX}}|1975}}{{,}}{{Sfn|Norwich|2018|p=424}}.

La « bataille pour le blé » lancée par Mussolini en 1925<ref name=":38">{{Chapitre|auteur1=Frédéric Attal|titre chapitre={{nobr rom|Chapitre I}} - Une naissance difficile (1943-1946)|titre ouvrage=Histoire de l'Italie depuis 1943 à nos jours|lieu=Paris|éditeur=Armand Colin|année=2004|pages totales=416|isbn=2200262159|lire en ligne=https://www.cairn.info/histoire-de-l-italie-depuis-1943-a-nos-jours--9782200262150-page-9.htm|passage=9-41}}.</ref> ne permet ni d'atteindre une [[autarcie]] alimentaire ni de masquer les problèmes économiques et accentue les retards structurels de l'île<ref name=":35" />, enfermée dans une production céréalière plutôt que des cultures à hauts rendements exportables comme arboriculture<ref name=":38" />.

Mussolini s'attaque à la mafia sicilienne en nommant préfet de Trapani en 1924, puis de Palerme le 20 octobre 1925, [[Cesare Mori]], qui s'est déjà illustré dans la lutte contre le banditisme et le crime organisé à Castelvetrano et à Caltabellotta. Usant durant 3 ans et demi de la torture et la prise d'otages, le {{Citation|Préfet de fer}} arrête 11000 personnes, parvient à diviser par deux le nombre de meurtres entre 1923 et 1926{{Sfn|Norwich|2018|p=421-422}}.

La [[bonification agricole fasciste]] de la Sicile a été ordonnée par la loi du 2 janvier 1940, dans un paysage dominé depuis deux millénaires par les [[Latifundium (agriculture)|latifundia]] : parmi les 452 419 exploitations agricoles sur 2 101 000 ha, 2 034 exploitations couvrent alors 591 209 ha et les 64 les plus étendues exploitent à elles seules 119 477 ha. Ce plan ambitionnait de coloniser en dix ans 500 000 ha de terres incultes, de créer 20 000 exploitations familiales de 25 ha, de bonifier 200 000 autres hectares par la construction de routes et d'adduction d'eau, et l'introduction de nouvelles méthodes de culture et des contrats de travail plus justes. Alors que la [[Agriculture extensive|culture extensive]] du blé, auquel succèdent les fèves, domine, il vise une diversification de la production (coton, lin, ricin, oliviers, agrumes, betterave, sorgho, plantes médicinales et fourragères). L'électricité doit être acheminée par tunnel sous-marin depuis la Calabre<ref name="marres">{{Article |prénom1=Paul |nom1=Marres |titre=La bonification de la Sicile |périodique=Annales de géographie |volume=50 |numéro=283 |date=1941 |lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1941_num_50_283_11808 |consulté le=2020-05-23 |pages=221–222}}.</ref>. Mais, à part la création des nouveaux bourgs ruraux peuplés de Toscans{{Sfn|Norwich|2018|p=423}}, le plan reste inappliqué : au sortir de la guerre, les 87 domaines de plus de 1000 ha couvrent 8,7 % de l'ile (171 000 ha) et ceux entre 200 et 1000 ha occupaient un quart des provinces d'Enna et Caltanisetta, la mécanisation rare, le rendement en baisse{{Sfn|Huré|1975|p=118-120|loc=Évolution de la question sicilienne au {{s-|XX}}}}{{,}}{{Note|group=Note|texte=Selon [[Renée Rochefort]], {{citation|700000 propriétés de moins de 0,5 ha occupaient seulement 120000 ha, alors que 87 latifundia supérieurs à 1000 ha s'étendaient sur une superficie de 171000 ha. Par ailleurs, les 2.718 domaines de 100 à 1.000 ha (676.000 ha) l'emportaient légèrement sur les 24000 domaines de 10 à 100 ha et n'étaient dépassés — modestement, somme toute — que par l'ensemble des 490000 propriétés de 0,5 ha à 10 ha (870000 ha)}}.}}.

Les principaux antifascistes siciliens sont communistes, recrutés parmi les ouvriers de Trapani, Syracuse et Messine. [[Francesco Lo Sardo]], [[Girolamo Li Causi]], [[Giuseppe Montalbano (1895–1989)|Giuseppe Montalbano]] et [[Lucio Lombardo-Radice]] sont condamnés par le [[Tribunal spécial pour la sécurité de l’État (Italie)|Tribunal spécial pour la sécurité de l’État]]. Parmi les chrétiens du [[Parti populaire italien (1919-1926)|Parti populaire]] de [[Luigi Sturzo]] qui a du s'exiler, la résistance est menée par les représentants de la direction nationale, dont Giuseppe Tupini et [[Giovanni Gronchi]], et par les locaux [[Mario Scelba]] et [[Silvio Milazzo]] à l'est, [[Pasquale Cortese]], [[Franco Restivo]], [[Lauro Chiazzese]] à Palerme, [[Giuseppe Alessi]] et [[Salvatore Aldisio]] à [[Caltanissetta]], [[Bernardo Mattarella]] à [[Trapani]]. L'opposition libérale est composée d'anciens parlementaires fidèles à [[Giovanni Giolitti|Giolitti]] et à [[Benedetto Croce|Croce]], comme le trapanais [[Virgilio Titone]] et le messinois [[Gaetano Martino]]. Le mouvement séparatiste s'oppose également au fascisme au nom du régionalisme, à l'image d'[[Antonio Canepa]]. Au début des années 1930, des étudiants créent le Front Antifasciste universitaire, alimentés par les discours universitaires comme le philosophe Gino Ferretti à Palerme s'opposant à l'idéalisme des Gentiliens, et des oppositions naissent entre 1939 et 1942 au sein des groupes universitaires fascistes de l'île. La presse d'opposition compte ''La Croce di Costantino'' à Caltagirone, ''Il Faro'' à Trapani, ''Il Popolo'' à Caltanissetta, ''L'Opinione'' à Catane et ''Primavera Siciliana''  à Palerme<ref>{{Lien web |langue=it |titre=Quei siciliani che fecero la resistenza |url=https://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2003/04/24/quei-siciliani-che-fecero-la-resistenza.html |site=Archivio - la Repubblica.it |date=24 avril 2003 |consulté le=2021-12-08}}</ref>.

La [[Campagne d'Italie (Seconde Guerre mondiale)|campagne d'Italie]] débute avec les opérations [[Opération Husky|Husky]] et [[Opération Ladbroke|Ladbroke]], et le débarquement, à partir du 10 juillet 1943, de 450 000 soldats alliés entre [[Gela]] et [[Pachino]]. [[Harold Alexander]], secondé par [[Bernard Montgomery]] et [[George Patton]], mène l'opération contre 315 000 soldats italiens et 90 000 Allemands menés par le général [[Alfredo Guzzoni]] et [[Albert Kesselring]]<ref name=":8" />. Après une résistance allemande à Catane, et une progression facile à l'ouest entachée par le [[massacre de Biscari]], les Alliés entrent dans Palerme le 22 juillet et maitrisent l'ensemble de l'île après les chutes de Catane (5 août) et de Messine (17 août), et l'évacuation des forces allemandes vers Reggio{{Sfn|Huré|1975|p=121}}. L'[[armistice de Cassibile]] est signé le 3 septembre près de [[Syracuse]] entre le [[Royaume d'Italie (1861-1946)|royaume d'Italie]] et les forces [[Alliés de la Seconde Guerre mondiale|alliées]]{{sfn|Huré|1975|p=122}}.

Depuis l'[[Histoire militaire de l'Italie pendant la Seconde Guerre mondiale|entrée en guerre de l'Italie]], l'île est isolée, ses exportations sont interrompues, ses importations aléatoires, les denrées rationnées, la mafia est revigorée par le soutien financier des clans américains et le développement du marché noir{{Sfn|Norwich|2018|p=426}}. Les inégalités entre le Mezzogiorno, théâtre des intenses combats de la libération entre 1943 et 1944, et le Nord qui parvient à conserver 90 % de son potentiel industriel à l'issue du conflit, s'intensifient. Se nourrir coûte trois à quatre fois plus cher dans le Sud, la majorité des denrées étant accaparée par le marché noir<ref name=":38" />.

Le [[Gouvernement militaire allié des territoires occupés|gouvernement militaire d'occupation]] dirigé par le général Alexander, secondé par [[Francis Rennell Rodd]] et [[Charles Poletti]], qui est en place jusqu'au 11 février 1944 et le transfert de la gestion administrative au gouvernement provisoire de Salerne, s'appuie sur le clergé et les notables plutôt que sur les forces politiques, même antifascistes, afin de garantir le calme dans l'île. Le pouvoir des chefs mafieux, non par une volonté délibérée de l'[[Gouvernement militaire allié des territoires occupés|AMGOT]], mais faute de personnel politique alternatif, s'en retrouve renforcé<ref name=":8">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=406-407}}.</ref>{{,}}<ref name=":39" />. Les alliés entament une [[Épuration (politique)|épuration]] franche, en particulier dans l'enseignement<ref name=":38" />. Les préfets et podestats des grandes villes sont destitués. Un an après le débarquement, 3671 personnes ont été jugées pour fascisme, dont 205 libérées, et 7234 en attente de jugement{{sfn|Frétigné|2018|p=408}}. Mais l'AMGOT freine cette épuration quand elle touche des transfuges jugés essentiels dans les secteurs de l'économie et de l'administration<ref name=":38" />.

=== Depuis 1944 : La Sicile autonome ===
Au sortir de la guerre, l'île, dirigée par un [[Haut commissaire pour la Sicile|Haut commissaire]] nommé par le gouvernement italien, est tentée par le [[Séparatisme (politique)|séparatisme]], à travers le [[Mouvement pour l'indépendance de la Sicile]], mais la création le 28 décembre 1944 d'une commission pour un [[Autonomie spéciale de la Sicile|statut autonome de la Sicile]] par le gouvernement italien d'[[Alcide De Gasperi]], à laquelle les indépendantistes refusent de participer, la réforme agraire conduite par le communiste [[Fausto Gullo]], et le retour en force des partis de masse, font perdre son importance à ce courant{{Sfn|Frétigné|2018|p=412}}. Initiés par des fascistes laissés en liberté puis grossis par les nationalistes et les mafieux, les mouvements contre la faim et le chômage qui culminent lors du [[massacre de la Via Maqueda]], puis l'opposition à la [[conscription]] des {{Citation|[[Nonsiparte]]}}, alimentent les rangs des séparatistes qui regroupent selon [[Andrea Finocchiaro Aprile]] jusqu'à 500000 militants, et causent plus de 60 morts et de 200 blessés en octobre 1944 et janvier 1945<ref>{{Article |langue=fr |titre=Les troubles de Sicile |périodique=Le Monde|date=1945-01-14 |lire en ligne=https://www.lemonde.fr/archives/article/1945/01/14/les-troubles-de-sicile_1859826_1819218.html |consulté le=2021-01-21}}.</ref>{{,}}<ref>{{Article|titre=Petites nouvelles de l'étranger |périodique=Le Monde |date=1945-01-18 |lire en ligne=https://www.lemonde.fr/archives/article/1945/01/18/petites-nouvelles-de-l-etranger_1860081_1819218.html |consulté le=2021-01-21}}.</ref>. Le bandit [[Salvatore Giuliano]] habille de cette aspiration indépendantiste la défense des intérêts des barons et agrariens craignant les réformes, son soutien à la mafia cherchant à conservant la maitrise du marché noir, puis son appui aux monarchistes{{Sfn|Huré|1975|p=122}}.

Le [[Autonomie spéciale de la Sicile|statut d'autonomie régionale]] est promulgué le {{date|15 mai 1946}} puis inclus dans la loi constitutionnelle du {{date|26 février 1948}}, donnant à la Sicile une liberté plus grande qu'aux [[Région italienne à statut spécial|autres régions autonomes]]{{Sfn|Huré|1975|p=122}}. [[Carlo Trigilia]] souligne dans ''Sviluppo senza autonomia'' (''Développement sans autonomie'', 1992) que paradoxalement l'autonomie juridique n'aura signifié ni autonomie économique (l'île est largement financée par les aides et transferts) ni une autonomie politique, l'idéologie « réparationniste » permettant au personnel politique local de n'avoir à gérer que la manne des subsides nationales au profit de la région, et plus sûrement de leur intérêt et celui de leurs alliés. L'autonomie provoque également un effacement de la Sicile au niveau de la vie publique nationale à partir de 1950<ref name=":37">{{Chapitre|auteur1=[[Salvatore Lupo]]|titre chapitre=La Sicile entre métaphore et histoire|titre ouvrage=Sicile(s) d'aujourd'hui|éditeur=Presses Sorbonne Nouvelle|collection=Études italiennes|année=|date=2018-12-13|isbn=978-2-87854-989-8|lire en ligne=http://books.openedition.org/psn/7232|consulté le=2021-01-18|passage=33–41}}</ref>.

Les Siciliens votent à 65 % pour la monarchie quand la majorité des Italiens préfèrent l'[[Naissance de la République italienne|instauration d'une République]]<ref name=":9" />. La première assemblée régionale élue en avril 1947 marque la forte progression des communistes dans les ''agrotowns'', la gauche obtenant un tiers des voix, ce qui a pu motiver le [[Massacre de Portella della Ginestra]]. Le premier président de l'[[Assemblée régionale sicilienne]] est [[Ettore Cipolla]] issu du mouvement populiste de droite [[Fronte dell'Uomo Qualunque]]<ref name=":9">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=414-415}}.</ref>.

Par anticommunisme, la Démocratie chrétienne, parti de la classe moyenne, choisit de s'allier aux partis réactionnaires (agrariens, monarchistes, séparatistes, populistes et libéraux) plutôt qu'à la gauche sicilienne, PSI et PCI, plus paysanne qu'ouvrière. Ainsi disparaît la perspective de réformes ambitieuses de l'île que l'autonomie pouvait laisser espérer concernant notamment l’agriculture, les [[Administration publique|administrations publiques]] locales et les infrastructures de transports<ref name=":35">{{Article |langue=fr |prénom1=Paolo |nom1=Viola |prénom2=Giovanna |nom2=Fiume |prénom3=Alfio |nom3=Mastropaolo |prénom4=Laura |nom4=Azzolina |titre=Deux siècles de politique en Sicile |périodique=Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine |numéro=111-4 |date=2004-12-20 |issn=0399-0826 |doi=10.4000/abpo.1182 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/abpo/1182 |consulté le=2020-12-28 |pages=117–139}}.</ref>. La DC, et principalement la tendance de [[Giulio Andreotti]], minoritaire au niveau national, domine un demi-siècle de [[Politique de la Sicile|politique sicilienne]]. Les Siciliens votent traditionnellement à droite, la gauche n'obtenant jamais plus d'un tiers des voix. Pour autant, contrairement au reste du Mezzogiorno, ils approuvent [[Référendum italien de 1974|le divorce en 1974]] et [[Référendum italien de 1981|l'avortement en 1981]], exprimant une tradition laïque et d'émancipation des femmes{{Sfn|Frétigné|2018|p=435-436}} alors qu'en 1966, la condamnation à 11 ans de prison du violeur de [[Franca Viola]] qui prétendait l'épouser exprime une aspiration à sortir de la culture du ''gallismo'' qui justifie les viols et incestes passés sous silence, les fréquentes violences contre les femmes, le contrôle de celles-ci par la famille et le village, notamment quand le mari est parti travailler hors de l'île sans emmener son épouse<ref name=":39">{{Chapitre|auteur1=Frédéric Attal|titre chapitre={{nobr rom|Chapitre V}} - Société et culture dans les années cinquante et soixante|titre ouvrage=Histoire de l'Italie depuis 1943 à nos jours|éditeur=Armand Colin|année=2004|lire en ligne=https://www.cairn.info/histoire-de-l-italie-depuis-1943-a-nos-jours--9782200262150-page-167.htm|passage=167-215}}.</ref>.

En application de la réforme agraire de [[Fausto Gullo]], 982 concessions pour 86400 ha de terres incultes (sur 5000 demandes et 900000 ha) sont accordées. Contesté par les grands propriétaires, le mouvement est freiné par leurs actions en justice et les recours aux mafieux qui font deux victimes par mois entre novembre 1946 et avril 1948 parmi les paysans, coopérateurs et syndicalistes, majoritairement communistes. Le front paysan se structure autour des ligues et des coopératives portées par la gauche et par la [[Démocratie chrétienne (Italie)|démocratie chrétienne]] à la suite du [[Parti populaire italien (1919-1926)|Parti populaire italien]]. Contre la nouvelle réforme agraire du [[Gouvernement De Gasperi VI|gouvernement De Gasperi]], dix ans après la [[bonification agricole fasciste]], l'assemblée régionale dominée par la droite, adopte le 27 décembre 1950 une contre-réforme moins volontariste, dont la légitimité constitutionnelle est confirmée par la Haute cour régionale<ref name=":32">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=420-424}}.</ref>. Au moment où l'agriculture occupe encore un actif sur deux, elle se donne trois objectifs principaux : bonification, obligation d'emploi maximum de main-d'œuvre et redistribution foncière qui s'attaque aux [[Latifundium (agriculture)|latifundia]] céréaliers de plus de 200 ha (les terres irriguées et vergers ne sont pas concernés), divisés en lots de 3 à 4 ha attribués par tirage au sort à des paysans pauvres sous l'égide de l'''Ente per la riforma agraria siciliana'' (ERAS)<ref name="rochefort" />, qui succède à ''l'Ente per la colonizzazione del latifondo siciliano'' faciste<ref name="marres" />. Au terme de son application, en 1962, sur les {{Unité|115000|ha}} expropriés, majoritairement médiocres, 81 832 ont été réattribués à 18 937 exploitants supprimant les baronnies foncières sans pour autant réellement moderniser le secteur{{Sfn|Huré|1975|p=124}}. En ajoutant la vente directe de terres, 20 % de la surface agricole insulaire changent de propriétaires durant cette période<ref name=":32" />. Le groupement en [[Coopérative|coopératives]] est encouragé par l'Etat<ref name="rochefort" /> mais contrecarré par l'individualisme paysan et la mafia{{Sfn|Huré|1975|p=124}} qui, quoiqu'originellement hostile à la réforme, détourne la vente des terres à destination des paysans à son profit<ref name=":39" />. Une nouvelle réforme agraire, portée par le président de la Région, [[Silvio Milazzo]], exproprie au tournant des années 1950-1960, 93000 ha de terres non ou mal cultivées, revendus à des paysans et dont les gains des ventes financent la bonification et la construction d'infrastructures publiques mais n'empêche pas l'inexorable baisse du poids de l'agriculture dans la population active<ref name=":33">{{Harvsp|Frétigné|2018|p=425-428}}</ref>. L'agriculture intensive côtière se développe, à l'image de la [[Conca d'Oro]] plantée d'agrumes, d'arbres fruitiers et de légumes jusqu'au [[sac de Palerme]], les vignobles occupent les pentes de l'[[Etna]], quatre cinquièmes du sol volcanique de Pantelleria sont dédiés à la vigne<ref name="seronde" />. En 1973, le [[rendement agricole]] monte à 15,1 quintaux à l'hectare {{Incise|contre 12,1 en 1938-1939 et 6,6 en 1945-1947}} la production de coton relancée après guerre passe de 122000 q de fibres en 1955 à 9000 en 1973{{Sfn|Huré|1975|p=118-120|loc=Évolution de la question sicilienne au {{s-|XX}}.}}.
[[Fichier:1959 Scarabeo drills first offshore well in Europe - Gela mare 21.jpg|vignette|[[Azienda generale italiana petroli|Agip]] perce en 1959, le premier puits offshore européen au large de Gela, le ''Gela mare 21'' de [[Saipem]].]]
Le développement industriel est tardif et lent, malgré 280 milliards de lires d'investissement entre 1947 et 1957, majoritairement étranger à l'île<ref name="seronde" />. Plutôt que l'amélioration des infrastructures, l’argent public finance le maintien du [[pouvoir d'achat]] des familles redevables aux hommes politiques locaux<ref name=":35" />. Organe étatique du principe de réparation défendu par les autonomistes, la ''[[Cassa del Mezzogiorno]]'' consacre 220 milliards de lires à la Sicile pour l'agriculture, les infrastructures, l'industrie et le tourisme entre 1950 et 1965 (soit 18 % de l'enveloppe globale){{Sfn|Huré|1975|p=124}}. À partir des mines, seule activité industrielle traditionnelle qui emploie 10000 mineurs en 1950 mais dont la production de [[Concentrer (Chimie)|concentré]] décline de 80000 t en 1966 à 26000 t en 1973, l'industrie chimique se déploie pour transformer le soufre, le [[Halite|sel gemme]], la potasse, le [[Gaz naturel|gaz]] (près de Catane) et les hydrocarbures : des [[Raffinage du pétrole|raffineries]] à Géla, Augusta et Milazzo{{Note|texte=Prévues pour exploiter le pétrole découvert au large de Ragusa et Gela, mais de piètre qualité, elles traitent dans les années 1970 le brut libyen, russe et moyen-oriental.|groupe=Note}}, l'industrie chimique à Augusta-Priolo et à [[Termini Imerese]]. La production de ciment se développe également. Augusta devient le troisième port italien en tonnage de marchandises{{Sfn|Huré|1975|p=118-120|loc=Évolution de la question sicilienne au {{s-|XX}}.}}. Mais le pétrole n'enrichit pas la Sicile comme hier le soufre, et après avoir cru de 4 points entre 1961 et 1971, la part de l'emploi industriel stagne à 13 %<ref name=":33" />.

Durant les deux décennies postérieures à la Seconde Guerre mondiale, la population augmente plus rapidement que l'ensemble de la population italienne (11,9 % contre 8 %) du fait d'une baisse supérieure de la mortalité et un fléchissement moindre de la natalité<ref name="seronde" />. Le paludisme est vaincu, l'analphabétisme tombe à 16,46 % en 1961 (contre 71 % en 1901 et 40 % en 1941). Mais plus de la moitié des Siciliens des années 1950 vivent dans l'extrême pauvreté, avec un revenu moyen inférieur de 30 % à la moyenne nationale<ref name=":33" />, mais toujours plus haut que le [[Basilicate]] et d’autres régions méridionales<ref name=":37" />. Les Siciliens quittent le centre de l'île vers le littoral, bétonné pour le tourisme, l'industrie et de population croissante, les villes croissent, anarchiquement, par l'arrivée des ruraux, une partie des ménages s'enrichit et adopte la [[consommation de masse]] dans les années 1960<ref name=":33" />. Le [[Séisme de janvier 1968 en Sicile|séisme de janvier 1968]] met en lumière la [[vallée du Belice]] laissée à l'écart du « miracle économique »<ref>{{Article |auteur1=Giacomo Parrinello |titre=Décider en situation d’urgence : une histoire environnementale. L’exemple du séisme du Bélice (Sicile, 1968) |périodique=Entreprises et histoire |volume=97 |numéro=4 |date=2019 |lire en ligne=https://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2019-4-page-70.htm |pages=70-82 }}</ref>. Messine et Palerme sont les seules métropoles italiennes à gagner des habitants dans les années 1970 et 1980<ref name=":40">{{Chapitre|auteur1=Frédéric Attal|titre chapitre={{nobr rom|Chapitre VIII}} - La société italienne contemporaine|titre ouvrage=Histoire de l'Italie depuis 1943 à nos jours|éditeur=Armand Colin|année=2004|isbn=|lire en ligne=https://www.cairn.info/histoire-de-l-italie-depuis-1943-a-nos-jours--9782200262150-page-298.htm|passage=298-323}}.</ref>. L'émigration reprend, vers l'Europe du Nord et l'Italie septentrionale industrialisée{{Sfn|Huré|1975|p=121}} : pendant que la population insulaire passe de 4,7 à 4,9 millions entre 1950 et 1960, 386000 Siciliens quittent l'île dans les années 1950, 624 000 dans la décennie suivante. L'économie locale profite des devises envoyées par les ouvriers de l'automobile ou du bâtiment, les mineurs, les commerçants, à leurs familles restées sur l'île qui poursuit sa standardisation italienne, perd progressivement ses spécificités culturelles<ref name=":34" />. L'''Association pour le développement industriel du Midi italien'' analyse en 1989 que « de la société industrielle, [le Midi] a emprunté ses modèles de consommation et les valeurs sociales de la mobilité et du succès, mais pas la structure et l'organisation économique, du moins pas dans la mesure qui aurait permis de réaliser complètement ces valeurs dans la légalité »<ref name=":39" />. Cette {{Citation|modernisation sans industrialisation}} édifie écoles, universités, hôpitaux et musées, sans que l'économie ne puisse financer un fonctionnement de qualité des services publics<ref name=":35" /> et ne modifie les bases sociales et civiques<ref name=":39" />.
[[Fichier:Palermo BW 2012-10-09 16-10-02.JPG|vignette|L'[[Sac de Palerme|urbanisation intense de Palerme]] après la Seconde Guerre mondiale a enrichi la mafia et les dirigeants corrompus. ]]
La [[Mafia]] ([[Cosa Nostra]] et [[Stidda]]), organisation criminelle socialement enracinée dont la puissance réside dans un réseau clientéliste, persiste. Si la mafia rurale, bras armé du parti agrarien, disparait en même temps que les ''latifundia'' qu'elle contrôlait, la mafia urbaine prend la relève de la collusion avec le pouvoir politique à travers le détournement des aides de l'Etat, la fraude aux marchés publics et la contrebande du tabac puis de la drogue<ref name=":39" />. À l'image des frères [[Angelo La Barbera|La Barbera]] et du [[clan Greco]]<ref name=":39" />, elle profite de la spéculation immobilière en accaparant les fonds pour la construction de lotissements et villas, laquelle culmine dans les années 1950-1960 avec le ''[[sac de Palerme]]'', mené avec le soutien des élus de l'époque<ref name=":7" />. Elle croît par la malhonnêteté des élites et faute de contre-pouvoir économique influent, puis se consolide dans les années 1980 quand l’État substitue à la stratégie de développement économique une politique publique d'assistance au Mezzogiorno<ref name=":35" />. Active dans le trafic de drogue dès l'époque de [[Lucky Luciano]], la mafia fait de la Sicile un centre majeur du raffinage et de la diffusion de l'[[héroïne]] après le démantèlement de la ''[[French Connection]]'' en 1974, tissant un vaste réseau en Europe et à travers le monde grâce à la [[diaspora italienne]], l'ouverture des frontières et le l'absence de coopération policière et judiciaire internationale<ref name=":40" />.
[[Fichier:DallaChiesadead.jpg|vignette|Meurtre du préfet [[Carlo Alberto dalla Chiesa|Dalla Chiesa]], de sa femme et de l'agent de sécurité, le {{date-|3 septembre 1982}}.]]
Le [[compromis historique]] entre la DC et le PCI, de même que la volonté de certains centristes d'assainir les pratiques politiques, attisent l'hostilité de la mafia qui tue le secrétaire provincial de la DC [[Michele Reina]] en 1979 et le président de la région [[Piersanti Mattarella]] en 1980{{Sfn|Frétigné|2018|p=434}}. Les affrontements des clans criminels débutés à la fin des années 1960, auxquels s'ajoute une véritable guerre contre l'État, à partir de la fin des années 1970, culminent entre 1981 et 1983 avec la [[Deuxième guerre de la mafia]] et l'assassinat du préfet de [[Palerme]], le général [[Carlo Alberto Dalla Chiesa]]. En réponse, l’État copie la politique [[Antiterrorisme|antiterroriste]] à travers des enquêteurs et magistrats spécialisés qui s'appuient sur des repentis pour détricoter la nature multiple et intimement imbriquée dans le système politico-économique local<ref name=":7">{{Article |langue=fr |prénom1=Deborah |nom1=Puccio-Den |titre=Victimes, héros ou martyrs ? Les juges antimafia |périodique=Terrain. Anthropologie & sciences humaines |numéro=51 |date=2008-09-01 |issn=0760-5668 |doi=10.4000/terrain.11323 |lire en ligne=http://journals.openedition.org/terrain/11323 |consulté le=2020-06-29 |pages=94–111 }}</ref>.

Le parrain [[Toto Riina]], qui mise sur cette « stratégie de la terreur » pour assouplir les lois antimafia, multiplie les assassinats de politiciens, de journalistes, de policiers et de magistrats, jusqu'aux morts des juges [[Giovanni Falcone]] et [[Paolo Borsellino]] en 1992<ref name=":7" />. Au contraire, ces deux attentats entrainent une réaction populaire sans précédent contre le crime organisé<ref name=":7" />. En {{date-|mai 1993}}, {{noble-|Jean-Paul II}} effectue un voyage en Sicile, lors duquel il s'en prend à {{citation|culture de mort de la mafia}} et appelle les hommes d'honneur à revenir vers le dogme catholique comme une tribune d'intellectuels catholiques dénonce dans le ''[[Giornale di Sicilia]]'' {{citation|le scandaleux entrelacs entre représentants de l’Église catholique et émissaires du pouvoir mafieux, à travers l’inquiétante médiation des politiciens}}<ref name=":7" />. S'ensuivent la levée de l'immunité parlementaire de [[Giulio Andreotti]] le 13, l'arrestation de [[Benedetto Santapaola]] le 18, mais aussi cinq attentats faisant cinq morts et vingt blessés à [[Florence]], [[Milan]] et [[Rome]], commandités par le [[clan des Corleonesi]]<ref>{{Lien web |prénom=Encyclopædia |nom=Universalis |titre=9-28 mai 1993 - Italie. Voyage de {{noble-|Jean-Paul II}} en Sicile, poursuite de la lutte anti-mafia et intensification du terrorisme - Événement|url=https://www.universalis.fr/evenement/9-28-mai-1993-voyage-de-jean-paul-ii-en-sicile-poursuite-de-la-lutte-anti-mafia-et-intensification-du-terrorisme/ |site=Encyclopædia Universalis |consulté le=2020-06-30}}</ref>. Après la création de [[Mouvement pour la démocratie - Le réseau|La Rete]] de [[Leoluca Orlando]] qui prône la lutte politique contre Cosa Nostra en s'ouvrant à la société civile, et malgré une bonne tenue de la DC et du PSI face à l'[[opération Mains propres]], le personnel politique sicilien se renouvelle fortement dans la seconde moitié des années 1990{{Sfn|Frétigné|2018|p=435}}. Si la [[Mafia]] se fait depuis plus discrète, elle continue de racketter les entreprises par le [[Pizzo (mafia)|pizzo]] et de noyauter l'économie à travers de multiples appels d'offres truqués, formant un obstacle au développement de la région.
[[Fichier:Catania 2015a.jpg|vignette|Migrants débarquant à Catane, en 2015.]]
Traditionnelle terre d'émigration, la Sicile devient au {{S-|XXI}}, une terre d’immigration. L'île de [[Lampedusa]] attire régulièrement l'attention des médias par les [[boat-people]] de migrants qui y débarquent ou y sont débarqués. La population vieillit (20 % des Siciliens ont plus de 65 ans en 2008, 16 % moins de 15 ans), le taux de chômage est le plus fort d'Italie et frappe surtout les 15-24 ans, les femmes ne représentent qu'un tiers des actifs. L'[[économie souterraine]] (corruption généralisée et activités mafieuses) reste fortement intégrée dans l'île qui reçoit de fortes subsides publiques, possède un faible tissu de PME, manque d'attrait pour les grandes firmes privées au profit de la primauté des entreprises publiques autonomes de l’État dont la gestion clientéliste est ruineuse. Aussi l'île semble vivre une {{Citation|modernisation sans développement}} selon le mot d'[[Alfio Mastropaolo]]{{Sfn|Frétigné|2018|p=428-432}}.

== Notes et références ==
=== Notes ===
{{Références|groupe=Note}}

=== Références ===

{{Références}}
== Voir aussi ==
{{autres projets|Commons=Category:History of Sicily}}

=== Bibliographie ===
* {{Ouvrage|langue=fr|langue originale=fr|prénom1=Jean|nom1=Huré|titre=Histoire de la Sicile | collection = [[Que sais-je ?]] | numéro dans collection =728 | année première édition = 1957 |lieu=Paris|éditeur=[[Presses universitaires de France|PUF]]|année=1975|pages totales=127|isbn=|oclc=954838271}}
* {{it}} [[Francesco Renda]], ''Storia della Sicilia dal 1860 1970'', Palerme, Sellerio, 1984
* {{Ouvrage|langue=fr|langue originale=en|prénom1=John Julius|nom1=Norwich|titre=Histoire de la Sicile|sous-titre=de l'Antiquité à Cosa Nostra|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Tallandier|Tallandier]]|année=2018|pages totales=477|isbn=979-10-210-2876-0|oclc=1038053850}}
* {{Ouvrage | langue=fr | auteur1=[[Jean-Yves Frétigné]] | prénom1=Jean-Yves | nom1=Frétigné | titre=Histoire de la Sicile | sous-titre=des origines à nos jours | lieu=Paris | éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]]/ Pluriel | année=2018| isbn=978-2-818-50558-8}}
* Pierre Aubé, ''Les Empires normands d’Orient, {{sp-|XI|-|XIII|s}}'', 1983, Rééd. Perrin, coll. Tempus 2006.
* {{Ouvrage|auteur=[[Henri Bresc]] | langue=fr| titre=Un monde méditerranéen| sous-titre=Économie et société en Sicile, 1300-1450| lieu=Rome| éditeur=[[École française de Rome]]| collection=Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome| numéro dans collection=262| année=1986| pages totales=981| isbn=2-7283-0103-4| isbn2=978-2-7283-0103-4| oclc=708298405| bnf=366300256}}{{commentaire biblio|Reproduction de thèse d'État : Lettres : Paris 4 : 1982.}}
* {{Ouvrage|auteur=[[Henri Bresc]] | langue=fr| titre=Politique et société en Sicile, {{sp-|XII|e|-|XV|e}}s| lieu=Londres| éditeur=Variorum Reprints| année=1991| isbn=}} {{commentaire biblio|recueil d'articles}}

=== Articles connexes ===
* [[Histoire de Palerme]]
*[[Liste des commanderies templières en Sicile]]
*[[Liste de voies romaines]], [[Liste_des_ports_antiques#En_Sicile|Ports antiques de Sicile]]
*[[Liste des diocèses de l'Empire romain|Liste des diocèses de l'Empire romain tardif]], [[Liste des provinces romaines#Liste des provinces romaines sous le Bas-Empire|Liste des provinces du Bas-Empire]]
* [[:Catégorie:Site archéologique en Sicile|Sites archéologiques en Sicile]], [[:Catégorie:Site antique en Sicile|Sites antiques en Sicile]]

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[[Catégorie:Histoire de la Sicile|*]]
[[Catégorie:Histoire du bassin méditerranéen|Sicile]]