Bal des Quat'z'Arts
Le bal des Quat'z'Arts était une grande fête carnavalesque parisienne organisée par les étudiants[1] des quatre sections, architecture, peinture, sculpture et gravure, de l'École nationale des beaux-arts de Paris. Cette fête des artistes, qui se déroulait initialement au printemps, en général dans la dernière semaine d'avril, puis en juin ou juillet, était, bien plus que le carnaval de Paris, un moment de licence dans les règles de la créativité. Il y eut soixante trois bals des Quat’Z’Arts, depuis 1892 jusqu'en 1966.
Une histoire de modernité et de corps féminin
Le premier bal des Quat'z'Arts est organisé en 1892 par l'architecte Henri Guillaume, dit Dado, élève de l'atelier Laloux et Grand Massier des Architectes de l'École des beaux-arts. L'idée a été lancée par Charles Cravio, dit Gargouillot, au cours d'un dîner dans un restaurant du Cherche midi. Il s'agit de concurrencer le Bal Rodolphe, qu'organisent les élèves de l’Académie Julian, cours privé de peinture fondé par Rodolphe Julian où les jeunes gens savent qu'ils peuvent, moyennant rémunération, venir découvrir, sous prétexte de cours de peinture, l'anatomie féminine.
Les Beaux Arts, école publique, souffre de son enseignement académique et, jusqu'en 1897, n'admet pas d'élèves femmes. La femme n'y est admise qu'en tant qu'objet. En revanche, l’Académie Julian, comme l'académie de la Grande Chaumière, est soumise aux contraintes financières et ne s'embarrasse pas de morale. Elle accueille des étudiants étrangers venus trouver à Paris un lieu de liberté et se montre plus propice à l'avantgardisme. Les femmes peuvent y voir des modèles masculins nus et constituent une part importante des élèves.
Les étudiants des Beaux Arts, en rupture avec leur direction, s'inspirent pour leur bal de la Fête Païenne qu'organise l’hebdomadaire Le Courrier Français et du Bal des Incohérents. Aussi est ce la salle de l'Élysée Montmartre, dans le Montmartre de la Belle époque, celui du Chat noir et du Divan célébré par Toulouse Lautrec, qui est louée pour cette inauguration. Trois autres bals s'y dérouleront.
Début scandaleux
La seconde édition a lieu le 9 février 1893, au Moulin Rouge. Le défilé d'une Cléopâtre nue et de ses servantes tout aussi dénudées fait scandale. Une Société générale de protestation contre la licence des rues, créée à la suite de l'événement, dénonce ce « fait d'une gravité extrême et d'une inadmissible impudeur… ». Les organisateurs du bal sont poursuivis en justice par René Bérenger, président de la Ligue de Défense de la Morale. Une manifestation étudiante met les autorités dans l'embarras.
Le juge chargé de l'affaire s'enquiert de ce qui s'ést passé. Le bal avait été l'occasion non d'une orgie mais d'un tableau vivant de trois femmes nues, modèles de profession, dont la rousse Sarah Brown. Le juge, rassuré et amusé, condamne les organisateurs du bal à une amende symbolique. Immortalisant cet épisode dans la chanson Marche des 4'zarts, E. Sano et Ed. L. Casanova se moquent du sergot papa Bérenger. Le suicide de Sarah Brown est rapporté à ce scandale.
Les sept fêtes suivantes, y compris celle de 1900, ont lieu à la salle de bal du Moulin Rouge. Celle de 1907 se déroule salle Wagram, qui accueillera vingt et une éditions. Sept fois, le bal sera organisé au Parc des Expositions de la porte de Versailles.
Organisation
A partir de l'édition de 1900, un thème précis et un programme sont fixés au préalable. Le bal des Quat'z'Arts n'était pas organisé par la Grande Masse des Beaux-Arts, mais par un comité d'étudiants, les « comitards ». Seul un étudiant fût simultanément Grand Massier des Beaux-Arts et Président du Bal des Quat'z'Arts : Philippe Molle en 1962. Une association des Écrivains et artistes de Montmartre et de Montparnasse participait également à l'organisation.
À l'occasion de chaque bal des Quat'z'Arts était réalisé un bronze. Il s'agissait d'une médaille que portaient au cou les organisateurs du bal, au moment de celui-ci. Les billets d'entrée, invitations et affiches du bal des Quat'z'Arts bénéficiaient de tout le talent des élèves des Beaux-Arts et constituent un véritable panorama de la mode dans les arts graphiques.
Traditionnellement, les carabins de l'École de médecine voisine participent à la grand-messe païenne des Quat'z'Arts et invitent à leur tour au bal de l'Internat. Les liens affectifs, festifs et amicaux entre les carabins et étudiants des Beaux-Arts s'expliquent par la présence commune des uns et des autres aux séances de dissection. En effet, les élèves des Beaux-Arts, jusqu'en 1968, étudiaient l'anatomie humaine sur le cadavre et le faisaient en compagnie des carabins.
Déroulement
Le bal initial, qui se déroulait dans une salle louée pour la circonstance, a été complété par deux concours d’ateliers, de loge et de défilé. Chaque atelier de l'école des Beaux Arts présentait, dans une loge construite dans l'enceinte de l'école, un tableau vivant selon thème choisi puis participait à un défilé sur un char construit par les élèves.
De l'école des Beaux Arts, les ateliers montaient à travers les rues de Paris vers la salle où se tenait le bal proprement dit. Chaque atelier entrait dans la salle selon un ordre défini. Différents concours se déroulaient, dont deux concours individuels, de casque et de costume, parfois un seul pour ces deux thèmes. Un jury composé d'artistes été chargé de juger les compositions individuelles des participants. Suivaient un souper puis la danse.
Les participants, obligatoirement costumés, l'étaient de moins en moins au fil de la soirée, qui était émaillée d'événements, tels que la parade des femmes à cheval sur leurs cavaliers et le concours de modèles nues, et prenait souvent le tour orgiaque de Saturnales.
A l'aube, les danses bacchanales finissaient inévitablement en une farandole que clôturait un « Longue vie aux Quat'zarts! ». Le retour du bal se faisait en groupe. La procession rejoignait au petit matin le Louvre, destination finale de toute carrière académique, revenait au quartier latin par le pont du Carrousel et se dispersait à l'Odéon.
Les Quat'z'Arts en province
Le prestige immense du bal parisien des Quat'z'Arts a amené à reprendre ailleurs son nom. C'est arrivé au moins dans deux villes :
- À Dunkerque, une des sociétés philanthropiques et carnavalesques organisant l'immense liesse générale du Carnaval dunkerquois, porte le nom de Les Quat'z'Arts. Cette société a été fondée par Henri Ferrari, en 1921.
- Dès 1921, elle est à l'origine d'un Bal des Quat'z'Arts dunkerquois. À partir des années 1925-1926, ce bal sera baptisé Bal du Chat Noir, en référence au fameux cabaret montmartrois du même nom. L'appellation Bal des Quat'z'Arts paraît avoir encore été utilisée durant longtemps (c'est le cas, dans un article du , du journal Nord Matin). C'est un des plus fameux bals du Carnaval de Dunkerque, dont il ouvre la saison, chaque année.
- Un bal de Quat'z'Arts existait à Bordeaux, dans les années 1930. Il était très couru.
Périclitation
C'est en 1966 que le bal se déroule pour la dernière fois. En 1967, des problèmes d'organisation, les organisateurs ne parvenant pas à trouver une salle pour la tenue du bal, puis, en 1968, les « évènements de mai », sont un obstacle insurmontable à l'organisation du bal.
En 2012, la direction de l'École nationale supérieure des beaux-arts[3] annonce « relancer le bal dans une forme nouvelle et plus contemporaine, tout en conservant les fondements historiques ». Ce projet ébauché n'a pas été poursuivi.
Références culturelles
Littérature
- Le roman Jules et Jim d'Henri-Pierre Roché débute par la rencontre des deux protagonistes à l'occasion du bal de Quat'z'Arts de 1907.
« C'était vers 1907.
Le petit et rond Jules, étranger à Paris, avait demandé au grand et mince Jim, qu'il connaissait à peine, de le faire entrer au bal de Quat'z'Arts, et Jim lui avait procuré une carte et l'avait emmené chez le costumier[4]. »
- Dans la réalité, cet épisode s'est passé en 1906, avec Oscar Schmitz et non avec Jules, alors que Jim « initiait » Marie Laurencin. Dans la suite du roman, les deux amis emmènent deux de leurs conquêtes féminines[5] au bal. L'auteur livre un témoignage direct.
« Lucie était vêtue en prêtresse et Odile dévêtue en sauvageonne (...) Odile, qui n'avait jamais rêvé une pareille fête, se cramponna au bras de Jim, intimidée, n'en croyant pas ses yeux. Puis, comme des femmes, à cheval sur les épaules d'hommes, dominaient la foule, elle grimpa sur celles de Jim (...) Ils entrèrent tous les trois dans la loge d'un atelier, où un cercle regardait, à terre, une exhibition lesbienne. »
En rivalité avec Lucie, personnage qui figure la Louise Bückling que courtisait Apollinaire, Odile, authentique fille extravagante d'un aristocrate anglais mésallié, fait sensation en se glissant dans la file des modèles pour le concours de beauté.
« Vint le concours de beauté. Des femmes nues, modèles pour la plupart, le corps lissé de poudre, et fardées, paraissaient une à une, pour un quart de minute, sur une estrade projetée du balcon, et l'intensité des ovations exprimait le jugement de la foule. Jim aperçut de loin, avec surprise, Odile dans la queue de celles qui attendaient leur tour. […] Elle avait conservé son pagne minuscule, qu'on lui arracha — c'était la règle — et on la poussa sur l'estrade, dans l'aveuglant faisceau lumineux. »
Théâtre
- Feu la mère de Madame, pièce en un acte de Georges Feydeau débute au moment où Lucien, rentré tard du bal des Quat'z'Arts, réveille sa femme Yvonne, qui commence à lui faire une scène. La tempête passée, un valet de chambre sonne à la porte, au moment où les deux époux se couchent. Le messager est porteur d'une terrible nouvelle : la mère de Madame est morte.
Cinéma
- Dans le film Henry et June (1990) est évoqué le bal.
- Dans le film Un américain à Paris (1951) la séquence finale se déroule pendant le bal.
Arts plastiques
- Le Bal des Quat'z'Arts descendant les Champs-Élysées, huile sur toile, de Georges Rochegrosse, 1894[6].
- Artistes ayant participé à la décoration du bal :
Chanson
- En 1964, dans l'album Les Copains d'abord, Georges Brassens chante dans le deuxième titre, Les 4 z'arts, l'enterrement mis en scène marquant la fin du bal des Quat'z'Arts. Cette chanson drôle et nostalgique à la fois est écrite deux ans avant la disparition effective du bal. Elle témoigne du prestige et de la célébrité de cet événement festif, qui était connu et apprécié bien au-delà du seul milieu des étudiants de l'École des beaux-arts.
Annexes
Bibliographie
- Les Quat'z'Arts, numéro spécial du Courrier Français, 21 avril 1895, 12e année, no 16.
- Tract illustré de Basile Pachkoff diffusé et placardé à l'École des Beaux-Arts fin novembre 1998, consacré au Pompier, sa musique et son histoire, établi d'après divers documents et témoignages, dont ceux recueillis en 1997 de Jean-François Duffau et Ouanes Amor, anciens élèves devenus enseignants à l'École des Beaux-Arts.
Notes
- Il existe une confusion courante entre les Bal des Quat'z'Arts et les « gadzarts », notamment due aux fêtes mémorables organisées par les deux corpus d'élèves. Ce sont les Quat'z'arts que chante Georges Brassens et non les gadzarts.
- Dessin de Noël Schusler, paru dans La Caricature, 9 mars 1901, p.79.
- Présentation du projet sur le site de l'ENSBA.
- Jules et Jim, première partie, chapitre 1 : Jules et Jim.
- Jules et Jim, 1re partie, chapitre 11 : Lucie et Odile.
- Date exacte à vérifier. Collection et fonds ENSBA.
Articles connexes
- Grande Masse des Beaux-Arts
- Fanfare des Beaux-Arts
- Marche des 4'zarts
- Balade du Rougevin
- Cabaret des Quat'z'Arts