Yves Vargas
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Introduction à l'Émile de Rousseau (1995) |
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Yves Vargas, est un philosophe français né en 1945. Influencé par la théorie marxiste, il s'intéresse particulièrement à la philosophie de Jean-Jacques Rousseau et aux questions du peuple et de la démocratie.
Biographie
Yves Vargas est né le 6 juillet 1945.
Il a été élève à Marseille, au lycée Thiers de 1956 à 1962, puis en classe de terminale au lycée Marcel Pagnol, de 1962 à 1963. Agrégé de philosophie en 1972 (?). Professeur aux lycées Marie de Champagne (1973-1976) puis Chrestien de Troyes à Troyes (1976-1980) et Henri Moissan à Meaux (1980-1995).
Fondateur et directeur de la collection "philosophies" aux éditions des P.U.F.[1].
Président du Groupe d'études sur le matérialisme rationnel[2]. Membre du secrétariat de La Pensée.
Engagement politique
Membre du P.C.F. depuis novembre 1962[3]. Rédacteur à La Marseillaise (quotidien communiste des Bouches-du-Rhône) de 1963 à 1966. Durant ses études, Yves Vargas est membre du comité national de l'U.E.C. et du conseil de rédaction du Nouveau Clarté de 1969 à 1970. Rédacteur à La Vie ouvrière de 1969 à 1970[4]. Yves Vargas revendique toujours son appartenance au P.C.F.[3].
À la fin des années 1970, il entre dans un rapport critique à l'égard de la ligne officielle du P.C.F., comme de nombreux militants et intellectuels de ce parti. Il publie avec Gérard Molina (agrégé de philosophie et ancien dirigeant de l'U.E.C.) un ouvrage[4] démontrant les contradictions internes du P.C.F. et installant la critique sur le terrain directement politique et non plus seulement théorique comme le faisait le philosophe Louis Althusser. Par la suite, Yves Vargas et Gérard Molina créent la collection "Débats communistes" aux éditions Maspéro en 1979[5].
Yves Vargas est l'un des fondateurs de l'association "anti-impérialiste" L'Appel franco-arabe, avec le neurologue tunisien Sliman Doggui (mort le 9 février 2011 à Paris), au moment de la guerre contre l'Irak qui avait envahi le Koweït en 1990[6]
Apport à la philosophie de Rousseau
Yves Vargas a consacré cinq ouvrages à Jean-Jacques Rousseau.
Économie politique
Rousseau écrit son article "Économie politique" pour l'Encyclopédie vers 1755. À cette époque, il prépare déjà son Du Contrat social. Celui-ci est-il annoncé dans l'article ? Pour Yves Vargas, la réponse est oui. Le Contrat s'y prépare. Le sociologue canadien Roberto Miguelez partage cette opinion : "l'article «Économie politique» peut être considéré comme un véritable laboratoire du rousseauisme en ce qui concerne la problématique de la volonté générale[7].
Rousseau et le contrat social
Rupture théorique avec le droit naturel.
Rousseau et l'éducation
Yves Vargas propose une lecture linéaire du texte de Rousseau pour en "manifester la cohérence, le rythme et la logique". "Il distingue les trois styles (description, mise ne scène, roman) qui correspondent à l'éducation de la nature, du besoin et des hommes. Suivant les étapes de la genèse de l'homme selon Rousseau, il souligne le rôle paradoxalement «tératologique» que Rousseau assigne à l'éducation qui doit achever le travail de dénaturation [8] de la société. Il s'agit, pour Rousseau, de «voir comment l'homme naturel s'établit en société en restant une unité pour lui et aussi un citoyen»[9].
Pour l'universitaire canadien Michel Despland, parler de Dieu au XVIIIe siècle consiste à l'enserrer dans le réseau des hiérarchies profanes. La "théologie politique", par retour sur le passé, permet "d'apprendre qu'il n'y a plus d'État purement politique ni de théologie purement théologique". Yves Vargas "trouve dans l'Émile la démonstration du processus spécifiquement social : la femme semble «inventée pour précipiter l'homme dans le rapport social» ; les rapports entre les sexes engagent un nouveau type de causalité ; il ajoute que «si le sexe attend l'homme sur le chemin de la société, Dieu l'attend au tournant de l'État»"[10].
Selon Yves Vargas : "l'Émile serait un livre de politique naturelle et non d'éducation. Il ne se propose pas d'éduquer un enfant au sein d'une société, mais de construire une nouvelle société au sein du développement d'un homme"[11].
Le livre paraît la même année que le Contrat social (1762). Son titre, Émile, ou de l'éducation, ne doit pas conduire à penser que Rousseau privilégie la question éducative :
« Il n'est pas un problème philosophique du XVIIIe siècle qui n'y soit abordé : la liberté, la connaissance, l'erreur, l'amour-propre, le goût, la morale, la vie, la matière, les lois physiques, le travail, l'existence de Dieu, la religion, l'influence des romans sur les filles, la musique, le bon gouvernement, le féminisme, les droits de chasse, la monnaie, la propriété, la médecine... L'Émile est une encyclopédie des thèmes philosophiques du XVIIIe siècle, une étrange encyclopédie qui ne suit ni l'ordre de l'alphabet ni celui des matières mais l'ordre de l'évolution humaine ! (...) c'est une anthropologie de l'individu politique, une réflexion sur la nature humaine dans son état originel (la force, les besoins), et dans son développement historique (la société) à partir de son lieu d'existence concrète, l'individu. Si la nature humaine est perfectible, il faut bien que l'individu le soit ; si elle destinée à la vie sociale, il doit bien y avoir un ressort socialisant en chacun de nous ; si elle est dénaturée par la société, il y a donc des mécanismes d'accueil du vice en chaque homme. Il faut trouver en chaque homme les causes, les effets, les mécanismes de l'histoire humaine.[12] »
Rousseau se distingue radicalement d'Helvétius (1715-1771) selon qui la vie sociale serait capable de construire un homme totalement nouveau. Il lui oppose la "construction naturelle de l'homme à partir de lui-même"[12]. Pour Yves Vargas :
« Émile sera ce porteur et ce vecteur de la nature de l'homme, et l'Émile est un traité d'anthropologie de l'individu politique, cherchant en chaque homme séparément les causes, les effets et les mécanismes qui rendent compte de la perfectibilité, de la société, de la bonté et des vices de l'espèce. Dire que la société a corrompu l'homme exige de comprendre comment il a accueilli cette corruption et comment il aurait pu devenir social sans être corrompu. L'éducation, prise en un sens différent de la pédagogie, est le cadre de cette démonstration, ce qui permettra en outre un affrontement avec Helvétius qui oppose l'éducation à la nature et affirme que la société produit un homme nouveau à la convenance de ses principes.[13] »
Rousseau et le matérialisme
Le matérialisme de Rousseau se distingue de celui des encyclopédistes, ses contemporains. Il aurait conçu une double causalité pour l'histoire, finaliste et contingente : "Cette double causalité a pu être interprétée comme fondant un matérialisme inédit et atypique au sein des Lumières, en tout cas étrangère au matérialisme des «matérialistes» affirmés. C'est ainsi que Yves Vargas a pu dire : «Rousseau a voulu penser un matérialisme nouveau contre les matérialistes athées et scientistes. Il a voulu penser la nécessité hors des cadres de la mécanique et il a fondé une causalité matérielle dualiste en faisant de la nature une aventure et une histoire : une aventure car ce qui est arrivé aurait pu n'arriver jamais et une histoire parce que ce qui est arrivé était en puissance d'être. En cela Rousseau a peut-être fondé une causalité matérialiste du possible et non pas seulement du hasard»[14] écrit Bertrand Binoche
Rousseau et le capitalisme
Selon Yves Vargas, contrairement à l'image d'un Rousseau nostalgique d'un monde rural idyllique, le philosophe a parfaitement reconnu la société industrielle naissante. Il l'a identifiée à partir de sa lecture de Bernard Mandeville (1670-1733).
Les lecteurs de Rousseau
Yves Vargas a caractérisé les angles d'analyse de plusieurs lecteurs célèbres de Rousseau[15] dans leur différence avec la démarche de Louis Althusser :
« La différence essentielle entre la lecture d'Althusser et celles [de ces auteurs] est la suivante : ils cherchent à fonder la cohérence ou les contradictions de Rousseau en se plaçant à l'intérieur du système ; Althusser cherche la même chose mais il se place à l'extérieur.
Robert Derathé propose une histoire philosophique de Rousseau, il en révèle les racines, les antécédents, et montre comment Rousseau reprend ces idées et les modifie, voire les subvertit en les intégrant dans son système politique. Victor Goldschmidt établit la cohérence des concepts anthropologiques et sociologiques en exhibant les liens des uns aux autres, leur solidarité, avec une tendance à fermer le système sur lui-même qui rappelle celle que Martial Gueroult avait faite pour Descartes et Spinoza. Jean Starobinski fait une lecture symptomatique interne, il met au jour certaines formules des textes qui paraissent d'abord anecdotiques et les transforme en clefs générales de plusieurs figures théoriques à travers les oeuvres. Quant à Bernard Groethuysen, il s'attache, avec un talent notable, à montrer les difficultés, les contradictions qui parcourent le système rousseauiste et qui en font la singularité. Dans tous les cas, la lecture reste à l'intérieur des textes, reprend les mots, les formules, les questions explicites de Rousseau lui-même.
Althusser procède autrement [...] il fabrique des méta-concepts qui donnent au système philosophique une lisibilité, une cohérence, une consistance nouvelles : son coup de maître fut "l'antihumanisme théorique" qui redessinait les frontières du marxisme au sein des philosophies, mais ce concept n'est en rien un concept marxiste, il n'a pas de fonction à l'intérieur de la théorie marxienne, c'est un méta-concept qui circonscrit le marxisme et le "ferme" contre toute une série d'interprétations.
Avec Rousseau, il fait la même chose, il fabrique des concepts qui ne sont pas dans les textes mais qui les soutiennent, les révèlent en les marquant d'opérations non visibles en première lecture, les "décalages", les "cercles", le "vide" sont ces sub-concepts qui s'insinuent sous le texte de Rousseau pour en montrer les fractures, les cohérences, les points sensibles. Althusser construit un second texte qui soutient le texte rousseauiste de l'extérieur, suivant des préoccupations qui ne sont pas celles de Rousseau et qui, cependant, ordonne le texte original d'une logique qui lui assure une nouvelle consistance[16]. »
Publications
Ouvrages politiques
- Dialogue à l'intérieur du Parti communiste français, avec Gérard Molina, Maspéro, 1978.
- Telles luttes, telle école. Le P.C.F. et l'école, 1944-1978, Maspéro, 1979.
- Soudan. Pour une paix véritable au Darfour, avec Bruno Drweski et Sliman Doggui, Le Temps des Cerises, 2005.
- Irak, la résistance a la parole, avec Sliman Doggui, René Lacroix, Toufik Helali et Bruno Drweski, Le Temps des Cerises, 2008.
Ouvrages philosophiques
- Rousseau, Économie politique (1755), P.U.F., collection "Philosophies", 1986.
- Sur le sport, P.U.F., collection "Philosophies", 1992.
- Introduction à l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, P.U.F., collection "Philosophies", 1995.
- Rousseau, l'énigme du sexe, P.U.F., collection "Philosophies", 1997.
- Les Promenades matérialistes de Jean-Jacques Rousseau, Le Temps des Cerises, coll. "Matière à pensées", 2005.
- Jean-Jacques Rousseau : l'avortement du capitalisme, éd. Delga, 2014.
- Sport et philosophie, Le Temps des Cerises, 2015.
- La souffrance animale. regards sur la peinture flamande, éd. Fiacre, 2016.
Direction d'ouvrages
- De la puissance du peuple, tome 1 : La démocratie de Platon à Rawls , Le Temps des Cerises, coll. "Matière à pensées", 2000.
- De la puissance du peuple, tome 2 : La démocratie chez les penseurs révolutionnaires, Le Temps des Cerises, coll. "Matière à pensées", 2002.
- De la puissance du peuple, tome 3 : La démocratie, concepts et masques - Dictionnaire, Le Temps des Cerises, coll. "Matière à pensées", 2007.
- De la puissance du peuple, tome 4 : Conservateurs et réactionnaires, le peuple mis à mal, Le Temps des Cerises, coll. "Matière à pensées", 2010.
- De la puissance du peuple, tome 5 : Peuples dominés, peuples dominants, Le Temps des Cerises, coll. "Matière à pensées", 2014.
Publication de texte
- Althusser, Cours sur Rousseau (1972)[17], Le Temps des cerises, 2012.
Articles
- "L"unité du rousseauisme", La Pensée, décembre 1992, p. 101-114.
- "Jean-Jacques Rousseau, la vertu", conférence au Comité Jean-Jacques Rousseau, Paris IV-Sorbonne, 25 avril 1998.
- "Le combat communiste des intellectuels", Nouvelles FondationS, 3/2006 (n° 3-4), p. 120-126.
- "Rousseau, les paysans et la monnaie", colloque international "Jean-Jacques Rousseau, anticipateur ou retardataire ?", Uqam (Université du Québec à Montréal), juin 1998.
- "Althusser-Rousseau : aller-retour", in Études Jean-Jacques Rousseau, n° 13, éd. Musée Jean-Jacques Rousseau, Montmorency, 2003 ; actes du colloque "Rousseau et la critique contemporaine", mars 2000.
- "Marx et Engels lecteurs de Rousseau", colloque "Jean-Jacques Rousseau et l’essor des sciences sociales au XIXe siècle", Bologne, 11-13 mars 2004, publié sous le titre Rousseau dans le XIXe siècle : politique, religion, sciences humaines par le Musée de Montmorency, 2007.
- "La propriété, imposture et droit sacré", in Rousseau et la propriété, éd. Slatkine, Genève, 2014, p. 13-26.
Bibliographie
- Michel Despland, Les hiérarchies sont ébranlées. Politiques et théologies au XIXe siècle, éd. Fides, Canada, 1998.
- Laurent Fedi, "Les paradoxes éducatifs de Rousseau", Revue philosophique de la France et de l'étranger, 4/2011, tome 136, p. 487-506.
- "Jean-Jacques Rousseau, l’avortement du capitalisme", Vincent Metzger, La Revue du projet n°43, janvier 2015.
Voir aussi
- "De la cacophonie mutine à la voix de Dieu", conférence, 22 avril 2012. Vidéo.
- "Jean-Jacques Rousseau : la première critique philosophique du capitalisme", conférence, 25 novembre 2014.
Notes et références
- En 2017, cette collection compte 142 ouvrages et est dirigée par Ali Benmakhlouf et Pierre-François Moreau. Voir aussi, Pierre-Henry Frangne, "Collection Philosophies des Presses universitaires de France", Revue de synthèse, janvier-mars 1995, p. 197-198.
- Groupe d'études du matérialisme rationnel (GEMR)
- Vargas Yves, "Le combat communiste des intellectuels", Nouvelles FondationS, 3/2006 (n° 3-4), p. 120-126.
- Dialogue à l'intérieur du Parti communiste français, Gérard Molina et Yves Vargas, Maspéro, 1978.
- Cf. "Les phénomènes de contestation au sein du Parti communiste français (avril 1978-mai 1979)", Jean Baudouin, Revue française de science politique, 1980, vol. 30, n° 1, p. 83.
- L'Humanité, 15 janvier 1991.
- Roberto Miguelez, Les règles de l'interaction, Presses de l'université de Laval/L'Harmattan, 2001, p. 171.
- Sur la notion de dénaturation, cf. Yves Vargas, "L"unité du rousseauisme", La Pensée, décembre 1992, p. 101-114
- Jean-Marc Kehrès, "Yves Vargas : Introduction à l'«Émile» de Rousseau, (Coll. «Les grands livres de la philosophie») 1995" [compte rendu], Dix-huitième Siècle, 1999, vol. 31, n° 1, p. 647.
- Michel Despland, Les hiérarchies sont ébranlées. Politiques et théologies au XIXe siècle, éd. Fides, Canada, 1998, p. 423. L'auteur se trompe partiellement sur les références paginales ; en réalité, la première citation se trouve p. 199, et la seconde, p. 195. Par ailleurs, il ne précise pas que, pour Yves Vargas, "la femme" est : "une construction a priori, élaborée pour rendre acceptable l'idée d'humanité naturellement sociable", cf. p. 199.
- Introduction à l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, P.U.F., collection "Philosophies", 1995, p. 28. Cité également par Isabelle Michel, "Les illustrations de l'Émile au XVIIIe siècle : questions d'iconographie", Jean-Jacques Rousseau et les arts visuels, Droz, 2003, p. 538.
- Introduction à l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, 1995, p. 5.
- Introduction à l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, 1995, p. 5-6.
- Yves Vargas, "Althusser-Rousseau : aller-retour", in Jean-Jacques Rousseau, n° 13. Actes du colloque "Rousseau et la critique contemporaine", mars 2000, Musée Jean-Jacques Rousseau, Montmorency, 2003.
- Robert Derathé, Victor Goldschmidt, Jean Starobinski, Bernard Groethuysen
- Aliocha Wald Lasowski, "Lire Rousseau, conversation avec Yves Vargas", Althusser et nous, Puf, 2016.
- Yves Vargas, alors étudiant, avait obtenu de Louis Althusser l'autorisation d'enregistrer ce cours destiné aux agrégatifs de philosophie à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm ; il l'a retrouvé quarante ans plus tard.