L'Art pour l'art
« L'Art pour l'art » est un slogan apparu au début du XIXe siècle. Il énonce que la valeur intrinsèque de l'art est dépourvue de toute fonction didactique, morale ou utile. Les travaux désignés par cette formule sont dits autotéliques, du grec ancien αυτοτελές / autotelés : « qui s'accomplit par lui-même ».
Histoire
La théorisation de « l'art pour l'art » est attribuée à Théophile Gautier (1811–1872). Elle apparaît dans la préface de Mademoiselle de Maupin en 1835 :
« À quoi bon la musique ? à quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l’inventeur de la moutarde blanche ? Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid. [...] Je préfère à certain vase qui me sert un vase chinois, semé de dragons et de mandarins, qui ne me sert pas du tout[1]. »
Il est le premier à en faire un slogan[réf. nécessaire] mais l'idée le précède : elle apparaît par exemple dans les écrits de Victor Cousin[2], Benjamin Constant, et Edgar Allan Poe. Ce dernier déclare dans son essai Du Principe poétique (en) en 1850, que :
« Nous nous sommes mis dans la tête, qu’écrire un poème uniquement pour l’amour de la poésie, et reconnaître que tel a été notre dessein en l’écrivant, c’est avouer que le vrai sentiment de la dignité et de la force de la poésie nous fait radicalement défaut — tandis qu’en réalité, nous n’aurions qu’à rentrer un instant en nous-mêmes, pour découvrir immédiatement qu’il n’existe et ne peut exister sous le soleil d’œuvre plus absolument estimable, plus suprêmement noble, qu’un vrai poème, un poème per se, un poème, qui n’est que poème et rien de plus, un poème écrit pour le pur amour de la poésieErreur de référence : Balise fermante
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— James McNeill Whistler, fondateur du tonalisme
Il marque ainsi sa distance d'avec le sentimentalisme : dans sa déclaration, tout ce qui reste du romantisme est la confiance dans l'arbitrage qu'il fait de ses propres vision et perception[réf. nécessaire].
En Allemagne
Le poète Stefan George est un des premiers artistes à le traduire en « (de) Die Kunst für die Kunst » et à l'adopter pour une proclamation littéraire présentée dans sa revue Blätter für die Kunst en 1892. Il est principalement inspiré par Charles Baudelaire et les symbolistes français qu'il rencontre à Paris, étant ami avec Albert Saint-Paul et dans l'entourage de Stéphane Mallarmé[réf. nécessaire].
Critiques
George Sand écrit en 1872 que « l'art pour l'art est un vain mot. L'art pour le beau et le bon, voilà la religion que je cherche... »[3].
Dans le Crépuscule des idoles[4], Nietzsche propose une critique nuancée de l'art pour l'art : certes cette doctrine libère l'art du moralisme qui en limite la puissance mais ce n'est pas parce que l'art ne saurait se réduire à la poursuite d'une finalité morale que l'art n'a aucun but, sinon c'est « un serpent qui se mord la queue ». En réalité, selon Nietzsche, « l'art est le grand stimulant à la vie » : l'art va nécessairement dans le sens de l'instinct de l'artiste qui en tant qu'être vivant veut la puissance. Ainsi, l'artiste fait toujours l'éloge de ce qui lui semble aller dans le sens de la puissance. Loin de n'inciter à rien, ou encore moins d'inciter à la résignation comme le pensait Schopenhauer, le tragédien, par exemple, fait l'éloge de héros comme Antigone qui font preuve d'insoumission face aux autorités humaines, et ainsi d'une liberté supérieure et de bravoure face au danger ultime de la mort.
Walter Benjamin en débat dans son essai de 1936 L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique : il le mentionne principalement par rapport à la réaction du milieu traditionnel[Lequel ?] de l'art face aux innovations de la reproduction, en particulier pour la photographie. Il a même défini ce slogan comme étant une théologie de l'art dénigrant les aspects sociaux. Dans l'épilogue de son essai, il disserte des liens entre le fascisme et l'art, son principal exemple étant celui du futurisme et de la pensée de son fondateur Filippo Tommaso Marinetti : un des slogans des fascistes futuristes italiens était : « (la) Fiat ars - pereat mundus : Que l'art soit - périsse le monde »[réf. nécessaire]. Par provocation, Walter Benjamin conclut que tant que le fascisme verra la guerre comme « un moyen de satisfaire une vision artistique elle-même influencée par la technologie » alors « l'art pour l'art » sera appliqué et réalisé[5].
Mao Zedong s'oppose à l'art pour l'art et associe ses partisans à l’aristocratie, à la bourgeoisie et au libéralisme :
« Dans le monde d’aujourd’hui, toute culture, toute littérature et tout art appartiennent à une classe déterminée et relèvent d’une ligne politique définie. Il n’existe pas, dans la réalité, d’art pour l’art, d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle. »[6]
— Mao Zedong, Intervention aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan
Des écrivains post-colionalistes contemporains écrivent :
« L'art pour l'art est juste un quelconque morceau de merde de chien désodorisé[7]. »
— Chinua Achebe, Morning Yet on Creation Day
« C'est dire qu'en Afrique noire,« l'art pour l'art » n'existe pas. Tout art est social en Afrique noire[8]. »
— Léopold Sédar Senghor, Négritude et humanisme
Ils critiquent ce slogan comme étant une vision limitée et eurocentriste de l'art et de la création artistique. LeRoi Jones les nuance en écrivant que « Tout art est social. Cependant, l'art et la littérature noirs africans ne sont pas seulement utiles [...]. Bien au contraire[9]. »
Dans la culture populaire
Une traduction latine « (la) Ars gratia artis » est inscrite dans le cercle autour de la tête du lion rugissant des séquences d'ouverture des films de la Metro-Goldwyn-Mayer.
Références
- Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, G. Charpentier, (lire en ligne), « Préface », p. 22
- Vingt-deuxième leçon de son Cours de philosophie, professé à la faculté des lettres pendant l'année 1818, sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien, Paris : Hachette, 1836. (en) « Art for art’s sake », sur Encyclopædia Britannica, (consulté le )
- George Sand, Correspondance (1812-1876), Calmann-Lévy, (lire en ligne), « Lettre à Alexandre Saint-Jean »
- Le Crépuscule des idoles, [fr.wikisource.org/wiki/Le_Crépuscule_des_idoles/Flâneries_inactuelles Flâneries inactuelles#192, § 24]
- (en) Walter Benjamin, « The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction », dans Illuminations, Fontana Press, London, 1973, 23. (ISBN 0-00-686248-9).
- Mao Zedong, Intervention aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan[lire en ligne]
- (en) Chinua Achebe, Morning Yet on Creation Day. Michigan: Heinemann Educational, 1975. Page 19. Print.
- Léopold Sédar Senghor, Liberté 1 : Négritude et humanisme, Paris, Le Seuil, , 444 p. (ISBN 978-2-02-002242-2), p. 283
- (en) LeRoi Jones, Revue The Negro Digest, n° d'Avril 1967, John H. Johnson (lire en ligne), « What the Arts Need Now », p. 6
Annexes
Bibliographie
- Albert Cassagne, La Théorie de l'art pour l'art en France chez les derniers romantiques et les premiers réalistes, Paris, Librairie Hachette, 1906 — reprint Slatkine (1993) en ligne.
Liens externes
- « George Sand », sur Wikisource, éditeurs multiples (consulté le )
- (en) Dictionary of the History of Ideas: Art for Art's Sake
- (en) Art History Resources: Art for Art's Sake Explained