An Antane Kapesh
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An Antane Kapesh (née le dans la forêt près de Kuujjuaq au Québec, et décédée le à Sept-Îles) est une écrivaine et militante innue francophone. Elle est la première femme innue à avoir publié des livres en français et en innu-aimun au Canada. À travers ses écrits, elle évoque de nombreux évènements historiques et socio-politiques liés aux enjeux autochtones. Son essai autobiographique, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse est considéré comme un des textes fondateurs de la littérature autochtone francophone.
Biographie
An Antane Kapesh nait le 21 mars 1926 dans la forêt près de Kuujjuaq[1]'[2]'[3]. Elle mène une vie traditionnelle de chasse et pêche jusqu'à la création de la réserve de Maliotenam, près de Sept-Îles, en 1953[4]'[1]. Elle se marie en 1943, de cette union naissent neuf enfants[2]. Kapesh quitte la réserve pour s’établir à Shefferville en 1956. Elle est cheffe du conseil de bande de Matimekosh, près de Shfferville, de 1965 à 1967[1]'[2]'[5].
Elle n'a pas fréquenté le système d'éducation public, ayant reçu une éducation traditionnelle par sa famille[1]'[4]'[6]. L’expérience de ses enfants à l’école publique a, entre autres, inspiré ses écrits pour dénoncer la scolarisation publique forcée des enfants autochtones, l’éclatement des familles et la sédentarisation qu’elle a engendré, qu’elle décrit comme une véritable entreprise de destruction culturelle, ainsi que l’acculturation blanche et les pensionnats[1]'[7]. C’est à l’âge adulte qu’elle a appris à écrire en innu afin de défendre l’histoire et la culture de sa communauté[1]. La question de la violence de l’éducation blanche forcée et de la revalorisation de l’éducation et da revalorisation des langues autochtones occupant une place importante dans ses écrits.
En plus d’avoir publié deux ouvrages, Kapesh a également signé des textes dans des revues comme Rencontre et Recherches amérindiennes au Québec[8]'[9].
Elle meurt au mois de novembre 2004 à l'âge de 78 ans[10].
Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse
En 1976, Kapesh publie un essai autobiographique intitulé: Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse. Il parait en innu-aimun avec une traduction française de José Mailhot. Témoignage politique, sa parution coïncide avec un mouvement nord-américain d’affirmation autchotone[7]'[11]. Partant de son « expérience personnelle et familiale des systèmes scolaire, juridique et policier qui régissent la vie innue au quotidien », elle s’adresse directement aux Blancs, et y y défend la culture innue en l'opposant à la leur[5]. Elle y dénonce, entre autres, la violence coloniale, et l’appropriation territorale, ainsi que « les impacts négatifs de l’éducation blanche, le racisme, la législation de la chasse et de la pêche, [...] l’image des autochtones dans les médias, la consommation d’alcool, les abus et les dérives de la police, et les problèmes de logement[1]'[11][12]. » Toujours en préservant son identité propre, elle fait preuve d'innovation par ses descriptions des personnages de la réalité et par ses nombreuses interrogations. Méfiante de la tradition écrite, son essai contient de nombreuxéléments qui trouvent leur source dans la tradition orale innue, « Kapesh considérant la transmission orale comme une source bien plus fiable que la transmission écrite[4]'[5]'[12] » . Selon José Mailhot, traductrice du texte original en innu-aimun, « les accusations envers le “Blanc” sont énumérés chaque fois à coup de répétitions, comme un “mantra”, [...]. Elle répète toujours, et c’est voulu. C’est sa façon d’écrire[3]. » L’essai est adapté au théâtre en 2021 dans le cadre Festival TransAmériques, par le metteur en scène wendate Charles Bender. Le texte, adapté en innu de Pessamit avec des surtitres en français et en anglais, est livré par la poétesse et actrice innue Natasha Kanapé Fontaine[13]'[14]. Afin de rendre l’essence de l’essai de Kapesh, Bender a « plutôt imaginé une mise en scène sobre, à la froideur des dispositifs instaurés par les multiples commissions qui recueillent des témoignages sur divers dossiers autochtones[13]. »
Tante nana etutamin nitassi / Qu’as-tu fait de mon pays?
En 1979, elle publie un deuxième livre: Qu'as-tu fait de mon pays? À travers l'histoire d'un enfant (le peuple autochtone) et les Polichinelles (les Blancs), elle brosse un portrait symbolique et saisissant de la dépossession. L'essai est découplé en cinq parties qui reproduisent chacune des étapes de la dépossession (description du territoire, pratique des activités traditionnelles, arrivée des Blancs et exploitation des terres, sédentarisation et tentatives d'assimilation et finalement révolte et énonciation des nouvelles conditions du dialogue culturel.) Dans chacune des séquences du livre, l'enfant (le peuple autochtone), lors de ses nombreuses aventures et à travers ses rencontres, se soumet poliment aux Blancs et tente, en vain, de lui faire comprendre ce qu'il lui arrive. Avec cet essai, An Antane Kapesh créé une histoire vraisemblable, celle d'un autochtone impuissant face aux exploiteurs des ressources de sa nation. Le récit a été adapté pour la scène par An Antane Kapesh et José Mailhot en 1981[15]. La pièce a été jouée à Montréal[10].
Réédition et traductions des oeuvres de Kapesh
En 2019, Mémoire d'encrier entreprend la réédition des œuvres d'An Antane Kapesh pour un plus vaste public. L'objectif est de découvrir cette œuvre, « monologue inquiétant[16] », sur l'urgence sur la décolonisation. Ce travail de réédition est confié à la romancière innue Naomi Fontaine, qui écrit, dans sa préface :
« Ce livre, c'est le cadeau précieux qu'on offre à l'Histoire. (…) Aux jeunes Innus qui cherchent leur voie. Pour ne plus jamais être victimes. Pour pouvoir avancer dans l'affirmation, au-delà des mœurs qui nous auront fait croire que nous ne sommes pas dignes. Pour que nous aussi un jour on dise: ma culture est la meilleure qui soit. Et pour le Québec. Pour réécrire l'Histoire. Pour qu'on se souvienne. On me parle de réconciliation. Pourtant, j'ai soif de vérité[17]. »
Elle est une source d'inspiration pour des écrivaines innues des générations suivantes telles que Joséphine Bacon, Natasha Kanapé Fontaine, Virginia Pesemapeo Bordeleau[18], Maya Cousineau Mollen et Naomi Fontaine[19],[20]. Pour Marie-Andrée Gill, « réinscrire la parole d’An Antane Kapesh dans l’histoire littéraire du Québec est un acte décolonial et même révolutionnaire dans la littérature québécoise[21] ». En 2020, elle fait partie de la liste des « 40 autrices racisées et autochtones à lire » de la revue Lettres québécoises[22].
Œuvres
Essais
- An Antane Kapesh (trad. José Mailhot), Eukuan nin matshi-manitu innushkueu [« Je suis une maudite Sauvagesse »], Montréal, Leméac, , 238 p. (ISBN 0776194585)
- An Antane Kapesh (trad. José Mailhot, préf. Naomi Fontaine), Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse, Montréal, Mémoire d'encrier, , 216 p. (ISBN 9782897126421)
Récits
- An Antane Kapesh (trad. Kateri Lescop, Daniel Vachon, Georges-Henri Michel, Philomène Grégoire-Jourdain et José Mailhot), Tanite nene etutamin nitassi? [« Qu’as-tu fait de mon pays? »], Sept-Îles, Éditions Impossibles, , 93 p. (ISBN 2891540018)
- An Antane Kapesh (trad. José Mailhot, préf. Naomi Fontaine), Tante nana etutamin nitassi / Qu’as-tu fait de mon pays?, Montréal, Mémoire d'encrier, , 90 p. (ISBN 9782897127091)
Traductions
- An Antane Kapesh (trad. Sara Kenzi), Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / I am a damn savage ; Tanite nene etutamin nitassi? / What have you done to my country?, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, , 316 p. (ISBN 9781771124089)
Anthologies
- Tracer un chemin : Meshkanatsheu / Écrits des Premiers peuples, Wendake, Hannenorak, (ISBN 9782923926254), p. 22-26, 91, 115-118 et 143-144
Prix et honneurs
- 2020 - Finaliste Prix Mémorable des Librairies Initiales pour Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse [23]
- 2021- Prix de traduction de la Fondation Cole de la Quebec Writers' Federation (Sarah Henzi), pour I Am a Damn Savage; What Have You Done to My Country?[24]
Adaptations
En 2021, l'essai autobiographique Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse est adapté pour le théâtre au Festival TransAmériques[25]. Mis en scène par Charles Bender, la pièce est interprétée en innu par Natasha Kanapé-Fontaine et surtitrée en anglais et en français. La pièce est montée comme si l'interprète se trouvait « devant une salle de vieux hommes blancs conservateurs voulant qu’elle se sente intimidée et qu’elle ne soit pas capable de livrer son témoignage »[13].
Notes et références
- Christine Chevalier-Caron, An Antane Kapesh (1926-2004), UQAM (lire en ligne)
- admin, « An Antane Kapesh », sur Kwahiatonhk! (consulté le )
- Zone Société- ICI.Radio-Canada.ca, « La colère d'An Antane Kapesh, toujours aussi pertinente 43 ans plus tard », sur Radio-Canada.ca (consulté le )
- Dominic Tardif, « Un livre vaut mille statistiques », sur Le Devoir, (consulté le )
- Collectif d'écriture sous la direction de Florence Piron, Femmes savantes, femmes de science, T. 2, Québec, Éditions science et bien commun, (ISBN 978-2-9814827-8-5), « An Antane Kapesh »
- Sarah Henzi, « La grande blessure » : legs du système des pensionnats dans l’écriture et le film autochtones au Québec. », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 45, nos 2-3, , p. 177-182 (lire en ligne)
- Joëlle Papillon, « Apprendre et guérir : les rapports intergénérationnels chez An Antane Kapesh, Virginia Pésémapéo Bordeleau et Naomi Fontaine », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 46, nos 2-3, , p. 57-65 (lire en ligne)
- « Ces terres dont nous avions nommé chaque risseau », Recherches amérindiennes au québec, vol. V, no 2, , p. 2-3
- « Petites histoires montagnaises », Rencontre, SAA, vol. IV, no 4, , p. 8-9
- « An Antane Kapesh, écrivaine et militante innue », sur L'Histoire par les femmes, (consulté le )
- Isabella Huberman, « « Si ce n’est pas moi » : écrire à la jonction du soi et de la communauté chez An Antane Kapesh et Natasha Kanapé Fontaine », Studies in Canadian Literature, (ISSN 1718-7850, lire en ligne, consulté le )
- Amélie-Anne Mailhot, « La perspective de l’habitation politique dans Je suis une maudite sauvagesse/Eukuan nin matshimanitu innu-iskueu d’An Antane Kapesh », Recherches féministes, vol. 30, no 1, (lire en ligne)
- Zone Arts- ICI.Radio-Canada.ca, « An Antane Kapesh, une grande voix de l’anticolonialisme portée au théâtre », sur Radio-Canada.ca (consulté le )
- « Natasha Kanapé Fontaine : ancrée dans le présent, prête pour l'avenir », sur Le Soleil, (consulté le )
- (en) « An Antane Kapesh », sur thepeopleandthetext.ca (consulté le )
- Je suis une maudite Sauvagesse Eukuan nin matshi-manitu innushkueu EUKUAN NIN MATSHI-MANITU INNUSHKUEU, (ISBN 978-2-89712-643-8, lire en ligne)
- « La renaissance d'An Antane Kapesh », sur ULaval Nouvelles, (consulté le )
- Virginia Pesemapeo Bordeleau, « Femmes porteuses de mots », sur Lettres québécoises (consulté le )
- (en) Isabella Huberman, « « Si ce n’est pas moi » : écrire à la jonction du soi et de la communauté chez An Antane Kapesh et Natasha Kanapé Fontaine », Studies in Canadian Literature, (ISSN 1718-7850, lire en ligne, consulté le )
- Alex Noël, « Kapesh : retourner les armes » [PDF], sur Érudit, (consulté le )
- Marie-Andre Gill, « Eukuan nin matshi-manitu innushkueu. Je suis une maudite Sauvagesse d’An Antane Kapesh » [PDF], sur Érudit, (consulté le )
- Nicholas Dawson, Zishad Lak et Pierre-Luc Landry, « 40 autrices racisées et autochtones à lire » [PDF], sur Érudit, (consulté le )
- « La littérature québécoise se démarque cet automne ! | Actualités », sur www.international.gouv.qc.ca (consulté le )
- (en-CA) « Le Prix de traduction de la Fondation Cole / The Cole Foundation Prize for Translation – Quebec Writers' Federation », sur qwf.org (consulté le )
- « Je suis une maudite sauvagesse », sur FTA (consulté le )
Bibliographie
- Florence Piron et al., (2015), « An-Antane Kapesh » dans Femmes savantes, femmes de science tome 2, Éditions science et bien commun. En ligne: Piron (page consultée le 08/03/2017)
- Klaus, Peter. Diane Boudreau, Histoire de la littérature amérindienne au Québec : oralité et écriture, Études littéraires 282 (1995): 121–127.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
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