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Paul Rée

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Paul Rée
Le trio platonique Nietzsche, Paul Rée et Lou.
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Paul Ludwig Karl Heinrich Rée, né le à Neu Bartelshagen, arrondissement de Franzburg-Barth, province de Poméranie et mort le à Celerina, Suisse, est un philosophe et médecin allemand.

Biographie

Paul Rée est le second fils d'un propriétaire terrien juif originaire de Hambourg. Après une scolarité difficile en raison de problèmes de santé, il obtient l'Abitur en 1868 au lycée Joachim Faller de Berlin. Dès cette époque, son intérêt le pousse vers la philosophie morale, mais son père lui impose des études de droit, qu'il suit à l'université de Leipzig. En 1870, alors qu'il effectue son année de volontariat, il est mobilisé et se retrouve parmi les troupes immédiatement engagées au feu. Blessé dès les premiers combats, à la bataille de Saint-Privat (), il rentre cependant rapidement en Allemagne, où il reprend d'abord ses études de droit, avant de se tourner très vite vers la philosophie.

En , alors qu'il rend une visite prolongée à Heinrich Romundt à Bâle, où celui-ci vient d'être nommé privat-docent de philosophie pour le semestre d'été, il fait la connaissance d'un jeune professeur de philologie classique avec lequel Romundt est lié depuis leurs études communes à Leipzig : Friedrich Nietzsche[1]. Celui-ci, alors en pleine rédaction de sa première Considération inactuelle contre David Strauss, apprécie d'emblée la finesse de son intelligence et sa prédilection pour la pensée moraliste. Rée, quant à lui, nourrit à l'égard de son aîné une profonde admiration et il lui semble dans un premier temps ne ressentir pour lui qu'un « amour malheureux »[2]. L'échange de lettres qui suit la publication des Observations psychologiques en 1875 lui permet de recevoir "l'approbation" de Nietzsche et aux deux hommes de reconnaître enfin leur amitié[3]. En , après avoir assisté au premier festival de Bayreuth, ils font un séjour ensemble à Bex, avant de prendre la route de Sorrente, où ils passent l'hiver en compagnie de Malwida von Meysenbug[4] et d'Albert Brenner, un jeune élève de Nietzsche qui souffrait d'une affection pulmonaire. Malwida est touchée par la sollicitude que Rée ne cesse de lui témoigner pendant tout le séjour et ressent pour lui « la sympathie la plus profonde »[5]. Ces quelques mois riches en conversations et en lectures, mais également en promenades et en excursions au milieu de paysages grandioses, se révèlent particulièrement fructueux sur le plan intellectuel : à Sorrente, Rée commence son essai sur L'origine des sentiments moraux et Nietzsche écrit une grande partie des aphorismes d'Humain, trop humain, dans lesquels ses amis schopenhaueriens dénoncent l'influence (selon eux néfaste) de Paul Rée[6]. La publication des deux ouvrages (dès 1877 pour celui de Rée, précédant d'un an celui de Nietzsche) est l'occasion de nouveaux échanges intellectuels entre les deux amis, que la maladie tient éloignés l'un de l'autre pendant plusieurs années, hormis de brèves retrouvailles à Leipzig en et un séjour de Rée à Naumbourg, chez la mère de Nietzsche, en , au moment où une crise très forte de la maladie de Nietzsche laisse penser à une mort prochaine.

Grâce à L'Origine des sentiments moraux, Rée est promu docteur en philosophie par l'université de Halle. Après avoir essuyé un refus de titularisation de la part des professeurs de philosophie hégéliens de l'université d'Iéna, effrayés et scandalisés par ses livres, Paul Rée abandonne cependant peu à peu l'espoir de faire une carrière universitaire et se retire pendant plusieurs années dans la propriété familiale de Stibbe bei Tütz, en Prusse-Occidentale, se consacrant alors pleinement à la rédaction de La Genèse de la conscience morale.

En , ayant retrouvé la santé, il rend visite à Nietzsche à Gênes, où les deux amis ont l'occasion d'assister à plusieurs représentations de la Dame aux camélias de Dumas fils avec Sarah Bernhardt dans le rôle-titre, puis, répondant à l'invitation de Malwida von Meysenbug, il poursuit le sa route vers Rome – non sans avoir entre-temps perdu tout l'argent qu'il a sur lui au casino de Monte-Carlo. C'est alors, le soir même de son arrivée chez Malwida, qu'il fait la connaissance d'une "jeune Russe" qui attire immédiatement son attention : Louise von Salomé. Celle-ci, animée d'un farouche esprit d'indépendance, est venue à Rome séjourner auprès de l'auteur des Mémoires d'une idéaliste pour y suivre en quelque sorte son enseignement de femme libre. Tombant immédiatement sous le charme de la jeune fille, Paul Rée ne tarde pas, quelques jours plus tard, à la demander en mariage. Lou saisit alors cette occasion pour lui affirmer son "besoin tout à fait effréné de liberté"[7] et sa ferme volonté de ne pas s'engager dans la voie du mariage[8]. En outre, elle lui présente un projet de vie commune, vouée totalement aux travaux intellectuels – qui n’est peut-être pas sans remémorer à Paul Rée l'ancienne idée de "cloître pour esprit libre" que Nietzsche et Malwida ont évoquée jadis à Sorrente. Un mois plus tard, Nietzsche, dont la curiosité pour cet "être extraordinaire"[9] a été éveillée par Paul Rée et par Malwida, survient à l'improviste – de retour d'un séjour à Messine, d'où le sirocco l'a chassé au bout d'un mois – et accepte d'emblée le projet de Lou von Salomé, y trouvant l'espoir de sortir de la solitude de plus en plus grande dans laquelle il se trouve[10]. Quelques jours après, tous trois prennent le chemin du retour, sur lequel ils se ménagent des étapes : sur les rives du lac d'Orta d'abord, dans le Nord de l'Italie, puis à Lucerne, où Nietzsche a l'idée d'immortaliser en quelque sorte leur "Trinité" en mettant malicieusement en scène la fameuse photographie reproduite sur cette page. Puis ils se séparent provisoirement, avec le projet de passer l'hiver ensemble, à Vienne ou à Paris. L'impossibilité pour Nietzsche d'accepter totalement que sa relation avec Lou reste simplement amicale et intellectuelle rend cependant illusoire une telle idée de vie commune. En outre, Nietzsche peut constater, lors de la dernière occasion qu'il a, à Leipzig en octobre-novembre, de revoir Lou et Rée, que les liens entre ces derniers se sont entre-temps (au cours des séjours de Lou à la propriété familiale des Rée à Stibbe) considérablement resserrés et créent désormais une distance entre eux et lui. Le , il quitte Leipzig pour retourner dans sa solitude d'ermite, écrasé par un sentiment de désespoir dont il ne commence à se libérer que plusieurs mois plus tard, en écrivant la première partie de Zarathoustra.

Paul Rée et Lou s'installent alors ensemble à Berlin et réalisent avec succès le rêve de communauté intellectuelle cher à Lou. Très vite, ils savent s'entourer d'un groupe d'universitaires, parmi lesquels l'historien de la littérature Georg Brandes, l'historien Hans Delbrück, l'indologue Paul Deussen, le psychologue Hermann Ebbinghaus, le pédagogue Rudolf Lehmann, le géologue et explorateur Paul Güssfeldt et le sinologue Wilhelm Grube, qui peu à peu s'adjoignent au petit cercle philosophique que Lou et Rée forment dès 1882 avec les amis de Rée, Heinrich Romundt, Ferdinand Tönnies et Heinrich von Stein.

Leur vie commune prend fin cependant lorsque, après l'échec de sa dernière tentative pour obtenir un poste à l'université et la publication de sa Genèse de la conscience morale[11], Paul Rée décide, à l'automne 1885, de commencer des études de médecine[12]. Quelques mois après les fiançailles de Lou avec l'orientaliste Friedrich Carl Andreas (de), en , il rompt toute relation avec elle et part terminer ses études à Munich, où il reçoit, en 1890, ses diplômes de médecine. Pendant les dix années suivantes, il prodigue ses soins désintéressés aux paysans vivant sur le vaste domaine que son frère possède à Stibbe. Lorsque celui-ci abandonne Stibbe, en 1900, Rée part pour l'Engadine et s'installe à Celerina, apportant infatigablement, au cours de longues, et parfois périlleuses, marches, une assistance médicale aux populations montagnardes, qui ne tardent pas à le considérer comme une sorte de saint.

Le , s'étant engagé sur un glacis au sommet d'une paroi rocheuse plongeant tout droit dans l'Inn, il glisse, tombe et se noie dans le fleuve. Un travailleur, qui a vu la scène de la rive opposée, retire le corps des flots. C'est là, à Celerina, que Rée est enterré.

Œuvres

Correspondance

  • Friedrich Nietzsche, Paul Rée, Lou von Salomé, Correspondance. Édition établie par Ernst Pfeiffer. Traduit par Ole Hansen-Love et Jean Lacoste. Presses universitaires de France, 1979.

Bibliographie

(fr) :

  • Theodor Lessing : Paul Rée in La Haine de soi ou le refus d'être juif, traduction, présentation et postface par Marice-Ruben Hayoun, Pocket (collection Agora), Paris, 2011 (ISBN 2-266-20755-5);
  • Lou Andreas-Salomé, Ma vie. Esquisse de quelques souvenirs. Édition posthume par Ernst Pfeiffer. Traduit de l'allemand par Dominique Miermont et Brigitte Vergne. Presses universitaires de France, 1977.
  • Friedrich Nietzsche, Correspondance avec Malwida von Meysenbug. Traduit de l'allemand, annoté et présenté par Ludovic Frère, Allia, 2005.

(de) :

  • Ferdinand Tönnies, Paul Rée. Essai publié dans la revue Das freie Wort, 1904, vol. IV.
  • Kurt Kolle, Paul Rée. Zeitschrift für Menschenkunde, Jahrg. 3, Celle, Kampmann, 1927.
  • Ruth Stummann-Bowert, Malwida von Meysenbug – Paul Rée : Briefe an einen Freund. Königshausen und Neumann, Würzburg 1998, (ISBN 3-8260-1464-2).
  • Paul Rée, Gesammelte Werke, 1875-1885. Hrsg. von Hubert Treiber. Supplementa Nietzscheana 7. Walter de Gruyter, 2004.

Filmographie

Notes

  1. Heinrich Romundt (1845-1919) fait partie de ce petit groupe d'amis de Nietzsche, anciens étudiants en philologie ou en philosophie de l'université de Leipzig, que fédérait une commune vénération pour la philosophie de Schopenhauer et la musique de Wagner. À Bâle, il habitait dans le même immeuble que Nietzsche et Overbeck (Schützengraben 45, surnommé la « caverne Baumann », du nom du propriétaire). En avril 1875, ne pouvant obtenir une chaire de professeur à l'université, il retourne en Allemagne, où il devient professeur de lycée (grec et allemand), tout en continuant à publier des essais philosophiques, notamment sur Kant et sur la religion. Avant son départ de Bâle, il cause un « grand effroi » à ses amis Nietzsche et Overbeck (lettre de Nietzsche à Erwin Rohde du 28 février), en leur annonçant sa volonté de se convertir au catholicisme, ce qu'il ne fera finalement pas.
  2. Lettre de Paul Rée à Friedrich Nietzsche du 31 octobre 1875
  3. Pendant plusieurs années, cette amitié marque fortement la vie et l'œuvre intellectuelle des deux philosophes, comme en témoigne leur correspondance : leurs lettres expriment constamment le regret de ne pouvoir être avec l'autre. Ainsi, le 21 février 1876, Rée écrit à Nietzsche : « J'ai la nostalgie de votre présence, et à vrai dire je devrais vous en vouloir de m'avoir gâché la solitude. Car si j'ai dû m'habituer depuis longtemps à tout renfermer en moi, la solitude me paraît bien solitaire maintenant que je vois la possibilité de tout dire, et de vous le dire ». De même, Nietzsche en juin 1877 : « Plusieurs fois par jour je souhaite vous avoir auprès de moi, car je suis tout seul, et de toutes les compagnies, la vôtre est pour moi une des préférées et des plus souhaitables » et encore le 19 novembre 1877 : « il faut que je vous dise que je n'ai encore jamais dans ma vie trouvé autant de charmes à l'amitié que grâce à vous durant cette année, sans parler de tout ce que vous m'avez appris. Quand vous évoquez vos recherches, l'idée de vous revoir me met toujours l'eau à la bouche ; nous sommes faits pour bien nous entendre, je crois que nous nous trouvons toujours à mi-chemin, comme de bons voisins qui ont toujours au même moment l'idée de se rendre visite et qui se rencontrent aux confins de leurs terres ».
  4. C'est Malwida von Meysenbug qui, voyant l'état de santé de Nietzsche décliner dangereusement, a l'idée de ce séjour en Italie, dans l'espoir que le climat méditerranéen ait un effet bénéfique sur son jeune ami. Pour cela, Nietzsche réussit à obtenir de l'université de Bâle un congé d'un an. Le 26 septembre, il annonça à Malwida : "Savez-vous que le Dr Rée souhaite m’accompagner, persuadé que vous n’y verrez pas d’inconvénient ? Je trouve un grand plaisir à son esprit extrêmement clair, ainsi qu’à son âme pleine de délicatesse et véritablement amicale."
  5. Dans la même lettre à Augusta von Stein, Malwida, déplorant le départ de Rée, écrit : « Lui aussi, de son côté, s'est attaché à moi avec une telle affection qu'il était avec moi comme le fils le plus tendre, et qu'il m'a gâtée par les prévenances dont il m'a entourée […] Être privée à nouveau de cela est bien dur ».
  6. Lettre de Rohde à Nietzsche du 16 juin 1878, à laquelle Nietzsche répond : "En passant : ne cherche que moi dans mon livre, et non mon ami Rée. Je suis fier d’avoir découvert ses merveilleuses qualités et ses objectifs, mais sur la conception de ma philosophia in nuce, il n’a pas eu la moindre influence : celle-ci était achevée et confiée pour une bonne part au papier, lorsque je fis plus ample connaissance avec lui à l’automne 1876. Nous nous trouvâmes l’un et l’autre au même niveau : nous eûmes un plaisir infini à discuter, et le profit en fut assurément très grand, des deux côtés (si bien que Rée dans son livre (Orig des sent mor) m’écrivit, avec une affectueuse exagération : « au père de cet écrit, sa mère reconnaissante. »". Dans une lettre citée par Curt Paul Janz (Nietzsche, tome II, Gallimard, 1984, p. 254), Cosima Wagner résume par ailleurs son opinion et celle du compositeur sur le sujet : "Bien des choses ont contribué à ce triste livre ! Et finalement, pour faire bonne mesure, Israël, sous la figure d'un Dr Rée, très froid, très poli, comme possédé, subjugué par Nietzsche, mais en vérité se jouant de lui : la relation de la Judée et de la Germanie à l'échelle réduite […]"
  7. Lou Andreas-Salomé, Ma vie
  8. Son mariage en 1887 avec l'orientaliste Friedrich Carl Andreas restera une union de pure convention, non consommé.
  9. Lettre de Malwida von Meysenbug à Nietzsche du 27 mars 1882 : « Une très remarquable jeune fille (je crois que Rée vous a déjà parlé d’elle), dont je dois la connaissance, parmi de nombreux autres, à mon livre, me semble avoir abouti, dans la pensée philosophique, à peu près aux mêmes résultats que vous jusqu’à présent, c’est-à-dire à l’idéalisme pratique, en abandonnant toute supposition métaphysique et le souci d’expliquer les problèmes métaphysiques. Rée et moi, nous sommes d’accord pour souhaiter vous voir un jour rencontrer cet être extraordinaire, mais je ne peux malheureusement pas vous conseiller une visite à Rome, car les conditions de vie ici ne sauraient vous être bénéfiques. »
  10. "L'espoir que j'avais perdu, celui de trouver un ami pour mes dernières joies et mes dernières peines, ne me paraît plus impossible - possibilité dorée à l'horizon de toute ma vie à venir." (lettre de Nietzsche à Lou von Salomé, 7 juin 1882)
  11. Après la lecture de ce livre, Nietzsche écrit le 15 octobre 1885 à Heinrich von Stein : "J'ai oublié de dire combien j'apprécie la forme sobre, claire et presque antique du livre de Rée. Voilà l'habitus philosophique. - Dommage qu'il n'y ait pas plus de contenu dans un tel habit ! Mais entre Allemands, il ne suffit pas d'abjurer le diable proprement allemand, le génie ou le démon de l'obscurité, comme Rée l'a toujours fait, pour mériter des éloges."
  12. "À cette époque, Paul Rée commence des études de médecine, et il vivait seul parce qu'il devait travailler son anatomie très tôt le matin […]. (Lou Andreas-Salomé, Ma vie)

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