« Rumeur du 9-3 » : différence entre les versions
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Version du 10 août 2022 à 15:59
La rumeur du 9-3, parfois appelée rumeur de Niort[1],[2],[3],[4], est une série d'allégations prétendant que des maires de certaines villes françaises de province feraient venir des personnes originaires de la Seine-Saint-Denis, le « 9-3 », dans leur ville, contre de l'argent[5],[6],[7]. Ces rumeurs, notamment à Niort, prétendent d'après le texte de la plainte du maire de Niort « que des personnes de couleur noire, originaires de Seine-Saint-Denis ou d'ailleurs mais, en tout cas, « d'origine non niortaise », sont réputées faire courir à la population un risque d'augmentation de la délinquance »[8]. Cette rumeur a été qualifiée de raciste par de nombreux médias et personnalités politiques[9],[10],[11],[12],[13].
Historique
Cette rumeur aurait commencé un peu avant 2010, peut-être dès 2008 au Mans[14].
À Vitry-le-François, en , les bruits de comptoir voulaient qu'une centaine de logements sociaux soient construits pour désengorger la Seine-Saint-Denis. Le centre communal d'action sociale, lui, était soupçonné de distribuer généreusement des bons d'achat à ces nouveaux venus, pour les aider à acheter réfrigérateurs, téléviseurs, paraboles[15].
De même, début 2011, à Châlons-en-Champagne, l'adjoint au maire, Benoist Apparu, est accusé de « faire venir des trains spécialement d'Île-de-France, de voter des subventions en faveur de ces populations, d'octroyer la gratuité du permis de conduire, ou encore de percevoir 6 000 euros par personne accueillie ». Cette rumeur avait resurgi au moment des législatives de 2012, puis s'était ensuite un peu calmée[16]. À la même époque, la ville de Niort commence à frémir des premiers bruits. Le journal local, La Nouvelle République publie régulièrement des démentis à partir de 2011[17],[18],[19] pour couper court aux fantasmes. Mais des courriers de lecteurs continuent d’arriver. La rumeur se développe au début de l'année 2013.
En 2013, des maires décident de porter plainte contre X pour diffamation, assertions mensongères ou encore provocation non publique à la discrimination et à la haine. Le maire de Poitiers, Alain Claeys, porte plainte en juillet[6], suivi par le maire de Niort[20], Geneviève Gaillard[11], le maire adjoint de Châlons-en-Champagne, Benoist Apparu[21] le maire de Saint-Yrieix-la-Perche en Haute-Vienne[22], le maire de Limoges[23],[24].
Outre ces villes, d'autres villes comme Le Mans, Reims, Saint-Quentin[12], Soissons, Vitry-le-François[15], Vichy[10], Nevers[25], Limoges[26], Guéret, La Souterraine, Montluçon[27] ou même Tulle, le fief de François Hollande[15], sont concernées par ces accusations[28].
Cette rumeur date en fait des années 1980, les habitants concernés étant alors des Maghrébins[29].
Relais médiatiques
La presse quotidienne régionale (PQR) en parle avec parcimonie jusqu'à mi-2013 afin de ne pas lui donner de consistance. La presse nationale commence les premiers articles à la suite des plaintes des élus en . L'émission C dans l'air lui consacre un numéro entier le : « La rumeur du 9-3 se propage »[30].
Origines rationnelles
L'aire urbaine de Niort, qui inclut 77 communes, a gagné 10 % de population en dix ans (1999 - 2009), soit près de 14 000 habitants (1 150 nouveaux habitants à Niort entre 1999 et 2011) et les deux tiers de cette augmentation sont dus à de nouveaux arrivants, très qualifiés, qui viennent d’Île-de-France et d’aires voisines, y compris La Rochelle[31].
À partir de ces faits objectifs, dans cette ville qui selon un observateur anonyme interrogé par Le Monde « est en train d'acquérir une population de petite métropole »[6] (subjectif), la part de rumeur consiste à expliquer ce changement et la présence accrue de Noirs par le fait « que le maire les a fait venir »[6].
L'adjoint au maire de Châlons-en-Champagne et député de la Marne Benoist Apparu, avance dans une lettre ouverte que la démographie de sa ville a pu changer mais affirme solennellement ne pas être et n'avoir jamais été à l’origine de ces arrivées[32].
Fantasmes
Une enquête de Rue89 parmi les populations « non niortaises » conclut à la présence de population de couleur mais qui viendrait de Bretagne, de Laval ou de Rennes. La seule personne originaire de Seine-Saint-Denis rencontrée est blanche[5].
L'affaire touche alors la vie privée de la maire de Niort, qui raconte : « Trois personnes sont venues me féliciter pour mon mariage avec une personne de couleur noire, qui s'est, selon elles, déroulé à 150 kilomètres de Niort. “Évidemment”, avec un Noir, il y a eu un “problème” lors de la cérémonie. Une main courante a été déposée, et c'est ainsi que ça s'est su… » Mais cette rumeur est fausse et l'élue précise : « Je ne suis pas mariée avec un Noir ; je ne vois pas où serait le problème si je l'étais. Mais, à devoir se justifier, on peut passer pour le premier raciste… »[33]
La soi-disante explosion du taux de criminalité colportée dans la rumeur n'existe pas. Si les atteintes volontaires à l'intégrité physique ont augmenté de 12 % (324 faits) durant les huit premiers mois de 2013 par rapport à 2012, les autorités parlent de « tendance baissière » sur les autres faits de violence[5]. Les villes incriminées sont même parmi les plus sûres de France.[réf. souhaitée]
Vecteurs de propagation de la rumeur
- Lors de son dépôt de plainte, le maire de Niort détaille ces vecteurs[20] :
- une partie de la presse : celle-ci relate la présence d'un « groupe de jeunes de couleur noire », originaires d'Île de France, qui se sont livrés à des actes de délinquance, ainsi que l'agression d'un jeune lycéen par un « groupe de jeunes de couleur noire » ;
- des commerçants[13] ;
- des fonctionnaires publics dont l'autorité tend à revêtir les propos de la certitude ;
- des enfants des écoles, collèges et lycées qui donnent du crédit aux affirmations devenues très nombreuses des adultes qui les entourent et à qui ils font confiance.
- La plainte cible donc implicitement les forces de l'ordre (les « fonctionnaires publics »)[5]. Cela est fait avec diplomatie mais le maire de Niort a quand même envoyé une lettre au préfet pour lui demander de tenir ses troupes[réf. nécessaire] ;
- d'autres vecteurs, non nommément cités dans la plainte sont :
- Le Front national : par exemple, à Vichy, il agit de manière très publique. En , la secrétaire départementale de l'allié du Front national Claudine Lopez apostrophe le maire, Claude Malhuret, au sujet de « l'accueil de 300 familles venues de Seine-Saint-Denis dans le cadre d’une sorte de plan de délocalisation de population ». Elle rajoute « toutes les rumeurs partent d'une vérité », « Qu’on me prouve que c'est faux ! »[10]. Le , le maire du Mans, Jean-Claude Boulard, déclare porter plainte contre le candidat du FN aux municipales, Louis Noguès, qui selon lui aurait évoqué au cours d'une conférence de presse « des cars entiers de Noirs déversés au Mans »[34],[35],[36].
- Les sites de la fachosphère : ils soutiennent que la rumeur est fondée et réclament des publications d'un « tableau démographique » pour voir « s'il y a un solde positif anormal »[2]. À cela, la mairie de Niort répond : « On n'a pas de statistiques sur critères ethniques, c'est interdit. Et on refuserait de répondre pour une simple question d'éthique républicaine. » Du coup, la suspicion augmente : « On donne l'impression de botter en touche. On paraît sur la défensive. »[33]
- Les idées populistes dans l'air du temps : ce n'est pas la rumeur qui crée le racisme, mais plutôt l'inverse. Ce type de rumeur prospère parce que ce genre d'idées populistes est déjà bien ancré dans les esprits. Dans cette affaire, on n'est pas tant sur une opposition gauche/droite mais plutôt masse/élite. C'est la confiance dans les élus qui est mise en cause[29], l'accusation de corruption des politiques[37].
- La rumeur est également sous-tendue par un sentiment anti-parisianiste : « réflexe ancestral face à la toute-puissante capitale, crainte de devoir faire les frais d'une politique jacobine, la province suspecte toujours Paris de vouloir la léser »[38]. Le sociologue Gérald Bronner rapproche la rumeur de 9-3 de la rumeur d'Abbeville : lors de la crue de la Somme en 2001, la rumeur avait couru qu'Abbeville avait été inondée pour protéger Paris[39].
La rumeur et le Front national
Le , la présidente du Front national, Marine Le Pen, en visite dans la Sarthe, déclare que c'est « bien » d'en parler « Si [la rumeur] est vraie, c'est bien ... Oui c'est bien ... parce que si on ne le fait pas vous ne le feriez pas ... Voilà la réalité ... vous voyez à quoi on sert. Nous, c'est notre rôle. » Elle poursuit assurant qu'il s'agit d'une « réalité »[40]. Il est constaté que, dans des villes colportant la rumeur et où le Front national n’avait jamais dépassé 10 %, celui-ci améliore son score lors des élections municipales de 2014 : Poitiers (12 %), Limoges (17 %), Le Mans (15 %), Saint-Quentin (20 %), Reims (16 %)[41].
Analyses
Raison de l'existence des rumeurs racistes
Les rumeurs de ce type sont récurrentes.
- En 1969 à Orléans, la rumeur d'Orléans racontait que des jeunes filles avaient été enlevées dans des cabines d’essayage de boutiques tenues par des juifs[42].
- Dans les années 1980, le faible taux de mortalité dans le 13e arrondissement de Paris était attribué au fait que la population d'origine chinoise cachait ses morts sans les déclarer pour récupérer leurs papiers et les donner à d'autres migrants dans le cadre de filières d'immigration illégale (la vraisemblance de la théorie étant basée sur le cliché selon lequel tous les Chinois se ressemblent). Cette rumeur partait de la réalité statistique de la faible mortalité des immigrés chinois, mais l'interprétait de façon raciste. En fait, la faible mortalité est naturelle chez toute population migrante, car ses arrivants sont plus dans la force de l'âge que vieillissants[30].
Méthodes d'éradication
Il n'y a pas de méthode simple d’éradication ; chaque solution a des effets pervers.
Ignorer la rumeur
Les spécialistes en légendes urbaines sont quasiment unanimes : en restant muets, les élus prennent le risque que la rumeur leur échappe et leur fasse du tort. Lors de la rumeur d'Orléans, les autorités ne s’exprimaient pas, ce qui alimentait les fantasmes. « Dans la plupart des cas de silence prolongé, la personnalité ou l’organisation visée par une rumeur doit finalement prendre position afin de limiter les dégâts, mais elle a alors perdu un temps précieux. »[43]
Démentir la rumeur
« Le démenti ne fonctionne que rarement, car il représente la parole des personnes incriminées, qui s’opposera à celles des adhérents à la rumeur, plus nombreux, qui ne s’attendent pas à ce que les autorités reconnaissent un tel complot. »[43].
Porter plainte
Dans le cas de propos publics, la plainte permet de contrer son côté symbolique : « Une stratégie qui peut se révéler payante même si les instigateurs de la rumeur ne sont pas connus. La justice est censée être une autorité distincte qui va juger de la véracité et enquêter, à moins qu'elle ne soit englobée dans cette théorie du complot. »[43]
Il y a plusieurs motifs de plainte possible :
- « préjudice causé à l'autorité publique par des assertions mensongères, constitutives d'injures », choisi par la maire de Niort. « Avec cette plainte, tout le monde devient potentiellement coupable d'assertions mensongères. C'est un choix intéressant car les gens n’oseront plus en parler publiquement, mais la rumeur pourra continuer à se propager en sourdine. C'est aussi dangereux car la plupart des diffuseurs ne pensent pas raconter de mensonges et se sentiront, donc, accusés à tort et pas entendus dans leur inquiétude. »[43] ;
- « outrage à personne chargée d'une mission de service public », choisi par le maire de Poitiers. « Il tourne la plainte — vers lui-même et son travail — en une attitude défensive destinée à protéger sa réputation. Cependant, il n’explique pas pourquoi la rumeur est fausse, ni comment il a financé son viaduc. De plus, il ne prend pas en compte l’inquiétude des diffuseurs de la rumeur. »[43]
Notes
- Agnès Marroncle, « La rumeur de Niort », La Croix, .
- Benoit Delrue, « L'ignoble rumeur de Niort au service du racisme », L'Humanité, .
- « Rumeur de Niort : l'onde de choc après le dépôt de plainte », La Nouvelle République, .
- Yves Revert, « La rumeur de Niort affole la boussole médiatique », La Nouvelle République, .
- Rémi Noyon, « La rumeur du 9-3, « c’est comme le yaourt, avec des morceaux de vrai » », sur Rue89, .
- Sylvia Zappi et Alain Albinet, « Des maires portent plainte pour tenter d'arrêter la folle "rumeur du 9-3" », Le Monde, .
- Marie-Laure Combes et Arthur Helmbacher, « La "rumeur du 9-3" enfle en province », Europe 1, .
- « Niort. Rumeur publique : la députée maire dépose plainte », Le Courrier de l'Ouest, .
- Charlotte Oberti, « Les maires français veulent faire taire la rumeur xénophobe du « 9-3 » », France 24, .
- Adrien Gaboulaud, « L'étrange succès de la folle "rumeur du 9-3" », Paris Match, .
- « Racisme : Niort et la "rumeur du 9-3" », Le Nouvel Obs, .
- « La rumeur raciste des « gens du 9-3 » », L'Aisne nouvelle, (version du sur Internet Archive).
- Adeline Fleury, « À Niort, le racisme à ciel ouvert », Le Journal du dimanche, .
- « Niort. Rumeur publique : la députée maire dépose plainte », L'Union, .
- Bastien Hugues, « Non, leur ville ne reçoit pas d'argent pour accueillir des Noirs du "9-3" », sur France Info, .
- Christian Meyze, « La "rumeur du 9-3" et de Niort : une dizaine de villes seraient concernées, selon Benoît Apparu (UMP) », France 3 Paris Île-de-France, .
- Yves Revert, « Niort : la fausse rumeur qui n'en finit pas de pourrir la ville », La Nouvelle République, .
- « La rumeur du 9-3 partout en France », La Nouvelle République, .
- Yves Revert, « La fausse rumeur est tenace : Geneviève Gaillard porte plainte », La Nouvelle République, .
- Geneviève Gaillard, « Dépôt de plainte » [PDF], sur Rue89 (version du sur Internet Archive).
- Laura Fernandez Rodriguez, « Benoist Apparu : « Pourquoi j'ai porté plainte » sur la rumeur du 9‑3 », Libération, .
- « Plainte du maire après la rumeur d'une arrivée "massive d'étrangers" », Le Populaire, .
- Magali Rangin, « Le maire de Limoges contre la "rumeur du 9-3" », BFM TV, .
- « Limoges : le maire envisage de porter plainte pour faire taire la rumeur sur l'accueil d'étrangers contre rémunération », Le Populaire, .
- Stéphane Vergeade, « La « rumeur du 9-3 », à Nevers aussi... », Le Journal du Centre, .
- Aude Courtin, « Cette curieuse « rumeur du 9-3 » qui se propage dans plusieurs villes voisines », Sud Ouest, .
- « La rumeur du 9-3 qui se répand en Auvergne et en Limousin », La Montagne, .
- « La "rumeur du 9-3" qui irrite les maires », Le Journal du dimanche, .
- Caroline Politi, « Comment la folle rumeur du 9-3 s'est répandue », interview de Pascal Froissart, auteur de La Rumeur. Histoire et Fantasme, L'Express, .
- « La rumeur du 9-3 se propage », C dans l'air, France 5, 24 octobre 2013.
- « L'aire urbaine de Niort, une réelle attractivité à cultiver », Décimal, INSEE Poitou-Charente, no 331, , p. 4 (lire en ligne), cité par Noyon 2013.
- Lettre ouverte, Benoist Apparu,
- Michel Henry, « Les fantasmes de l'Afrique de Niort », Libération, .
- « Rumeur du 9-3 » : la mairie du Mans porte plainte contre le candidat FN », Le Monde, .
- « La "rumeur du 9-3" s'invite dans la campagne municipale au Mans », France Bleu Maine, .
- Delphine Noyon, « Le retour de la rumeur », La Nouvelle République, .
- Solonel 2013.
- Matthieu Aron et Franck Cognard, Folles rumeurs : Les nouvelles frontières de l'intox, Paris, Stock, , 279 p. (ISBN 978-2-234-07638-9).
- Julien Solonel, « Niort : rumeur sur la ville », Le Parisien, , cité par Aron et Cognard 2014.
- Delphine Legouté, « Marine Le Pen sur la rumeur dite du "9-3" : "c'est vrai, c'est une réalité" », sur Le Lab, Europe 1, .
- Hacène Belmessous, « Résultats du FN aux municipales : comment Marine Le Pen a gagné la bataille des idées », sur Le Plus, L'Obs, .
- Hervé Cannet, « La folie et l'infamie », La Nouvelle République, .
- Caroline Piquet, « «Rumeur du 9-3»: les élus ont-ils raison de porter plainte? », sur Slate, .