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Novensiles

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Dans la religion romaine antique, les dii (également di ) Novensiles ou Novensides sont des divinités collectives dont les fonctions sont assez obscures, que l'on retrouve dans des inscriptions, des formulaires de prière et des textes littéraires antiques et paléochrétiens.

Dans l'antiquité, on pensait que l'origine du mot novensiles dérivait soit de « nouveau » (Novus) ou « neuf » (Novem)[1]. La forme novensides a été traduite comme « nouveaux colons », de novus et insidere, « s'installer »[2]. L'érudit très influent du XIXe siècle Georg Wissowa, pensait que les novensiles ou novensides étaient des divinités que les Romains considéraient comme importées, c'est-à-dire non indigènes comme les di Indigetes[3].

Bien que Wissowa ait traité les catégories d'indigetes et de novensiles comme une méthode essentielle pour classer les dieux romains, la distinction est difficile à maintenir et de nombreux spécialistes la rejettent[4]. Arnaldo Momigliano a fait remarquer qu'aucun texte ancien ne présente novensiles et indigetes comme une dichotomie, et que l'étymologie de novensides est loin d'être établie[5]. Dans son traité d'orthographe, le philosophe du IVe siècle Marius Victorinus considérait les orthographes novensiles et novensides comme une simple altération phonétique du l et du d, caractéristique des langues sabelliques[6]. Certaines sources anciennes disent que les novensiles sont au nombre de neuf, ce qui conduit à des identifications à la fois anciennes et modernes avec d'autres collectifs divins au nombre de neuf, comme les neuf divinités étrusques habilitées à manier le tonnerre[7] ou avec les Muses[8]. Le nom est ainsi parfois orthographié Novemsiles ou Novemsides.

Il se peut que seuls les cultes des divinités considérées comme indigènes aient été établis pour la première fois dans les limites sacrées de Rome (pomerium), avec des « nouveaux » dieux sur la colline de l'Aventin ou dans le Champ de Mars, mais il n'est pas certain que les termes indigetes et novensiles correspondent à cette topographie[9]. William Warde Fowler observe[10] qu'en tout cas une distinction entre « indigène » et « importé » commence à disparaître pendant la deuxième guerre punique, lorsque des divinités immigrées[11] sont régulièrement invoquées pour la protection de l'État.

L'invocation de Decius Mus

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  Les novensiles sont cités dans une liste de divinités dans un mode de prière conservée par l'historien Tite-Live. La prière est exprimée par Publius Decius Mus (consul en 340 av. J.-C.) pendant les guerres samnites dans le cadre de son vœu (devotio) de s'offrir en sacrifice aux dieux infernaux lorsqu'une bataille entre les Romains et les Latins est devenue désespérée. Bien que Tite-Live ait écrit à une époque où Auguste masquait l'innovation religieuse sous des appels à la piété et au traditionalisme d'antan, les aspects archaïques de cette prière suggèrent qu'elle évoque un style traditionnel qui pourrait être conservé dans les livres sibyllins des institutions officielles. Les autres divinités invoquées, parmi lesquelles la Triade capitoline de Jupiter, Mars et Quirinus, ainsi que les Lares et Mânes, appartiennent aux premières traditions religieuses de Rome. Tite-Live explique même qu'il enregistrera longuement le rituel archaïque de la devotio parce que « la mémoire de toutes les coutumes humaines et religieuses s'est flétrie par préférence pour tout ce qui est nouveau et étranger »[12]. Ce qui est surprenant, s'ils sont « nouveaux », c'est que les novensiles apparaissent dans une telle liste, et avant les indigètes[13].

Les Lares et les Manes sont des dieux « indigènes» souvent considérés dans les sources anciennes comme les morts divinisés. Servius dit que les novensiles sont des « anciens dieux » qui ont acquis le statut de numen (dignitatem numinis) grâce à leur virtus, leur qualité de caractère[14]. L'apologiste chrétien Arnobe remarque aussi qu'il y a d'autres autorités qui les considéraient également comme des mortels devenus des dieux. Dans cette optique, les novensiles, comme les Lares et les Manes, peuvent être « concernés par le monde souterrain où dormaient les ancêtres »[15].

Origine Sabine

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Selon Arnobe, c'est très probablement Calpurnius Piso Frugi qui était un annaliste et consul en 133 av. J.-C.[16] qui aurait déclaré que les novensiles étaient neuf dieux dont le culte avait été établi en pays Sabin à Trébia. Le lieu a été identifié indistinctement comme la rivière Trebbia, ou la commune de Trevi nel Lazio, ou l'un des endroits appelés Trebula dans l'antiquité, dont deux - Trebula Mutusca et Trebula Suffenas - sont en territoire sabin[17]. Gary Forsythe suppose que la famille de Piso était originaire de la moyenne vallée du Tibre, à la frontière de l'Étrurie et du pays sabin, et qu'il s'appuyait sur des connaissances personnelles pour émettre cette théorie. Le père de ce Piso est probablement celui qui a dédié un sanctuaire à Féronie à Lucus Feroniae près de Capena[18].

Varron, qui était lui-même un Sabin, a placé les Novensides dans son célèbre catalogue de divinités sabines[19]. Des inscriptions en pays sabin mentionnent les novensiles ou novensides, par exemple dieu. nove. sede à Pisaurum[20]. Une inscription Marse nomme également les novensiles sans les indigetes[21]. L'universitaire et chronologiste anglais du XIXe siècle Edward Greswell a cherché à relier les neuf novensiles des Sabins au cycle nundinal, la « semaine » de huit jours du calendrier que le comptage romain inclusif chiffrait comme neuf jours[22].

Neuf divinités

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Une inscription d'Ardea datant du IVe ou IIIe siècle av. J.-C., où l'on peut lire neven deivo, a été considérée comme faisant référence aux Novensiles en tant que neuf divinités[23]. Granius Flaccus et Aelius Stilo, dit Arnobius, identifient les Novensiles avec les Muses, ce qui implique qu'ils sont au nombre de neuf. Dans la tradition romaine, les Muses s'identifiaient aux Camenae, déesses latines des sources d'eau douce et de l'inspiration prophétique. Les deux plus connues des Camenae étaient Carmenta, qui avait son propre flamines, en l'honneur de laquelle se tenait les Carmentalia, et Egérie,la divine épouse de Numa Pompilius, le deuxième roi de Rome considéré comme le fondateur de la religion et du droit romain. Numa avait établi un sanctuaire de bronze à la fontaine de leur bosquet, le site de son union divine avec Egérie[24]. La fontaine des Camenae était une source d'eau pour les Vestales[25].

L'encyclopédiste romain du Ve siècle Martianus Capella a placé les Dii Novensiles dans son schéma céleste influencé par les étrusques dans son ouvrage Sur le mariage de Mercure et de la philologie[26] et a pris leur nom comme signifiant « neuf ». Il localise les Novensiles dans la deuxième région du ciel, avec Jupiter, Mars Quirinus, le Lares martial, Junon, Fontus ( « Fontaine » ou « Source »), et les Lymphae (déesses des eaux douces)[27].

Conseil sur la foudre

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Pline[28] mentionne neuf dieux des Étrusques qui avaient le pouvoir de manier la foudre, désignant les Novensiles de Martianus comme des dieux relatifs à l'utilisation du tonnerre et de la foudre (fulgura). Les livres sur la façon de lire la foudre étaient l'une des trois branches principales de la disciplina Etrusca, le corps des enseignements religieux et divinatoires étrusques. Au sein de la discipline étrusque, Jupiter a le pouvoir de manier trois types d'éclairs d'avertissement (manubiae) envoyés de trois régions célestes différentes[29]. La première de ces formes, la foudre douce ou « perforante »[30], est une forme bénéfique destinée à persuader ou à dissuader [31]. Les deux autres types sont les éclairs nocifs ou « écrasants », pour lesquels Jupiter requiert l'approbation des Di Consentes, et les éclairs complètement destructeurs ou « brûlants », qui nécessitent l'approbation des di superiores et involuti (dieux cachés de la sphère « supérieure »)[32].

Plusieurs chercheurs[33] ont établi que les Novensiles est le conseil des dieux qui décident de l'utilisation du troisième type de foudre, le plus destructeur. Carl Thulin a proposé que deux théonymes du foie de Plaisance - un modèle en bronze d'un foie de mouton couvert d'inscriptions étrusques relatives à l'haruspice - devraient être expliqués avec les Consentes Pénates[34]. Les Novensiles correspondraient ainsi aux di superiores et involuti [35] et peut-être aux Favores Opertanei (« Dieux secrets de la faveur ») évoqués par Martianus Capella. Cependant, il situe les Favores[36] dans la première région du ciel, avec les Di Consentes et Penates, et les Novensiles dans la seconde ; les Favores sont peut-être les Fata, les « Parques »[37].

Notes et références

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  1. Robert Schilling, "The Roman Religion," in Historia Religionum: Religions of the Past (Brill, 1969), vol. 1, p. 450; and "Roman Gods" in Roman and European Mythologies (University of Chicago Press, 1981, 1992), p. 71.
  2. Matthew Dillon and Lynda Garland, Ancient Rome: From the Early Republic to the Assassination of Julius Caesar (Routledge, 2005), p. 114.
  3. De dis Romanorum indigetibus et novensidibus disputatio (1892), full text (in Latin) online.
  4. Franz Altheim, A History of Roman Religion, as translated by Harold Mattingly (London, 1938), pp. 110–112: "I pass deliberately over several other objections that may be raised against Wissowa's interpretation, because they would demand a long excursus".
  5. Arnaldo Momigliano, "From Bachofen to Cumont," in A.D. Momigliano: Studies on Modern Scholarship (University of California Press, 1994), p. 319.
  6. Marius Victorinus, the section De orthographia from Ars grammatica liber primus de orthographia et de metrica ratione, in the Teubner edition of Heinrich Keil, (Leipzig, 1874), p. 26 online.
  7. Manilius, as noted by Arnobius, Adversus gentes 38–39; mentioned also, though not labeled as novensiles, by Pliny, Natural History 2.52.
  8. Granius Flaccus and Aelius Stilo, as cited by Arnobius, Adversus gentes 38.
  9. Schilling, Historia Religionum, p. 450, and "Roman Gods," p. 70.
  10. Fowler, Religious Experience, pp. 157 and 319.
  11. J.S. Wacher, The Roman World (Routledge, 1987, 2002), p. 751.
  12. Livy, 8.11.1: omnis divini humanique moris memoria abolevit nova peregrinaque omnia praeferendo; Andrew Feldherr, Spectacle and Society in Livy's History, (University of California Press, 1998), p. 41, note 125.
  13. Schilling, "Roman Gods," p. 70–71; Beard, Religions of Rome: A Sourcebook, p. 158; Roger D. Woodard, Indo-European Sacred Space: Vedic and Roman Cult (University of Illinois Press, 2006), pp. 7–8; William Francis Allen, "The Religion of the Ancient Romans," in Essays and Monographs (Boston, 1890), p. 68.
  14. Servius, note to Aeneid 8.187: sane quidam veteres deos novensiles dicunt, quibus merita virtutis dederint numinis dignitatem.
  15. Robert Turcan, The Gods of Ancient Rome: Religion in Everyday Life from Archaic to Imperial Times (Routledge, 1998, 2001), p. 97.
  16. M. Burghard, Arnobius of Sicca: The Case Against the Pagans (Paulist Press, 1975), p. 368, note 224 (where he errs in giving the year of Piso's consulship as 233 rather than 133 BC); possible identifications discussed in Berichte über die Verhandlungen der königlich sächsischen Gesellschaft der Wissenschaften zu Leipzig (1848), vol. 1, pp. 429–430.
  17. Gary Forsythe, "The Tribal Membership of the Calpurnii Pisones," Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 83 (1990), p. 297; A Handbook of Rome and Its Environs (London, 1864, 7th ed.), p. 370 online.
  18. Forsythe, "The Tribal Membership of the Calpurnii Pisones," p. 297.
  19. Varro, De Lingua Latina 5.74.
  20. CIL 1.178; for full inscription as transcribed in Engelbert Joseph Schneider, Dialecti latinae priscae et faliscae exempla selecta (Leipzig, 1886), p. 7 online.
  21. CIL 12.375. Esos Novesede pesco pacre: "to the Lords Novesede peace bringing sacrifice".
  22. Edward Greswell, Origines Kalendariae Italicae, Nundinal Calendars of Ancient Italy, Nundinal Calendar of Romulus, Calendar of Numa Pompilius, Calendar of the Decemvirs, Irregular Roman Calendar, and Julian Correction. Tables of the Roman Calendar, from U.C. 4 of Varro B.C. 750 to U.C. 1108 A.D. 355 (Oxford University Press, 1884), vol. 2, pp. 394–397.
  23. CIL I2.455; Vittore Pisani, (1943) p.253 as quoted by G. C. L. Bakkum The Latin Dialect of the Ager Faliscus Amsterdam 2009 p. 62 ; Emil Vetter, "Di Novensiles Di Indigetes" in Indogermanische Forschungen LXII (1956) p.1.
  24. Richard J. King, Desiring Rome: Male Subjectivity and Reading Ovid's Fast (The Ohio State University Press, 2006), p. 30.
  25. Sarolta A. Takács, Vestal Virgins, Sibyls, and Matrons: Women in Roman Religion (University of Texas Press, 2008), p. 30.
  26. For a diagram combining the heavenly sphere of Martianus Capella and that of the Piacenza liver, see Nancy Thomson De Grummond, Etruscan Myth, Sacred History, and Legend (University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology, 2006), p. 50 online.
  27. In secunda itidem mansitabant praeter domum Iovis, quae ibi quoque sublimis est, ut est in omnibus praediatus, Quirinus Mars, Lars Militaris; Juno etiam ibi domicilium possidebat, Fons etiam, Lymphae diique Novensiles: De Grummond, Etruscan Myth, pp. 45 and 151.
  28. Pliny, Natural History 2.52.
  29. Massimo Pallottino, "The Doctrine and Sacred Books of the Disciplina Etrusca," Roman and European Mythologies (University of Chicago Press, 1992), pp. 43–44; Stefan Weinstock, "Libri fulgurales," Papers of the British School at Rome 19 (1951), p. 125. The word may be either a Latinized word from Etruscan or less likely a formation from manus, "hand," and habere, "to have, hold." It is not apparently related to the more common Latin word manubiae meaning "booty (taken by a general in war)."
  30. The description of the three types of lightning as "perforating," "crushing," and "burning" is Weinstock's, Libri fulgurales, p. 127.
  31. Georges Dumézil, La religion romaine archaïque (Paris 1974), pp. 630 and 633 (note 3), drawing on Seneca, Naturales Questiones 2.41.1–2 and 39.
  32. Weinstock, p. 127.
  33. C.O. Thulin, "Die Goetter des Martianus Capella und der Bronzenleber von Piacenza," in Religiongeschichtliche Versuche und Vorarbeiten (1906) pp. 34-40; A. Grenier, "Indigetes et Novensiles," in Boletim de Philologia supplem. 1951, pp. 203-4; Gérard Capdeville, "Les dieux de Martianus Capella," Revue de l'histoire des religions 213 (1996), pp. 269-274.
  34. Thulin, "Die Goetter des Martianus Capella," pp. 34–40 et passim online.
  35. Named as such by Seneca, Naturales Questiones 2.41.1–2; Festus p. 219M = 114 edition of Lindsay; entry on peremptalia fulgura, p. 236 in the 1997 Teubner edition; and Martianus Capella; see also Arnobius, Adversus Nationes 3.38.
  36. Martanus Capella, 1.45. For the passage in translation, see de Grummond, Etruscan Myth, Sacred History, and Legend, pp. 45–46. The name Favores, "favoring" gods, is a euphemism (compare Eumenides) in contrast to their destructive power; Iiro Kajanto, "Fortuna," Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II. 17.1 (1981), p. 507, note 18.
  37. Gérard Capdeville, "Les dieux de Martianus Capella," Revue de l'histoire des religions 213 (1996), pp. 260–262 and 273–274; see also Nancy Thomson de Grummond, The Religion of the Etruscans (University of Texas Press, 2006), pp. 41–42.