Stalinon
Diiodure de diéthylétain | |
Informations générales | |
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Princeps | Stalinon |
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Le Stalinon est un ancien médicament contre les infections à staphylocoques, à base de diiododiéthylétain, retiré du marché lorsque l'on s'aperçut de sa toxicité.
Histoire
[modifier | modifier le code]Conception et distribution
[modifier | modifier le code]Le Stalinon est conçu au début des années 1950 comme traitement contre la furonculose. La Stannomaltine, une spécialité pharmaceutique à base d'étain et d'oxyde d'étain[1], est alors tombée en désuétude, mais l'efficacité de l'étain dans le traitement des affections à staphylocoques est connue depuis longtemps[2]. Un pharmacien français, Georges Feuillet, décide alors de façonner un médicament à base de diiododiéthylétain, dont l'efficacité expérimentale contre le staphylocoque a été démontrée quelques années plus tôt[3], et d'acide linoléique[4] (« vitamine F », réputée bonne pour la peau). Il l'appelle « Stalinon » (de stannum, le nom latin de l'étain, et « -linon » pour l'acide linoléique extrait du lin)[5], et en argumente la mise sur le marché en le présentant comme un dérivé de la Stannomaltine, bien qu'il en diffère sensiblement.
L'autorisation est accordée en 1953, il est mis sur le marché en novembre de la même année, vendu sans ordonnance. Des anomalies apparaissent rapidement : le médicament est vendu sous forme de perles qui devaient être limpides, mais qui finalement sont teintées pour cacher l'apparition d'un précipité dont le distributeur ne s'inquiète pas, pas plus qu'il ne tient compte des alertes qu'il reçoit de la part de médecins et pharmaciens à partir de mai 1954[6]. Face aux alertes des médecins, Feuillet se veut rassurant, leur répondant : « Nos laboratoires contrôlent rigoureusement la fabrication, et les essais du laboratoire national des médicaments ne relèvent aucune toxicité » et se borne à ordonner, discrètement, de réduire la quantité de diiododiéthylétain dans les futures préparations[7]. Les victimes sont atteintes de troubles neurologiques : « céphalées intolérables, vomissements, vertiges, troubles urinaires, douleurs abdominales, température très basse, vision double et fatigue à la lumière », ainsi que de troubles psychiques graves — conséquences d'un œdème cérébral[8]. Les cas d'intoxications s'accumulent alors, jusqu'à ce que la toxicité désormais indéniable du Stalinon soit rendue publique en juin 1954. La délivrance du produit est suspendue en juillet 1954[9]. Le Stalinon a alors fait plusieurs centaines de victimes, dont 102 décèdent, de nombreuses autres gardant des séquelles lourdes. Sur le long terme, des survivants subissent une perte d'acuité visuelle[8], des céphalées chroniques, des troubles moteurs allant jusqu'à la paralysie des membres inférieurs[10].
Procès
[modifier | modifier le code]Le procès qui s'ensuit met en lumière plusieurs graves défauts dans la procédure de mise sur le marché[4] :
- l'autorisation reposait sur une modification de formule de la Stannomaltine, alors que les deux médicaments n'ont presque rien en commun[11] ;
- les tests de toxicité ont été faits par erreur avec des gélules contenant 3 mg au lieu de 50 mg de principe actif (la version commercialisée étant supposément dosée à 15 mg par gélule) ;
- la toxicité des composés organiques de l'étain peut se manifester lentement - les tests utilisés étaient donc insuffisants pour mettre cette toxicité en évidence ;
- en raison de défauts de vérification de la part du fabricant et du distributeur, le médicament mis sur le marché était contaminé à l'iodure de triéthylétain[3], plus toxique ;
- les composés de l'étain ont pu réagir avec des produits de dégradation de l'acide linoléique[4].
Le procès qui s'achève en décembre 1957 condamne le pharmacien responsable à deux ans de prison et une lourde amende.
Répercussions
[modifier | modifier le code]Réglementation
[modifier | modifier le code]L'enquête qui a lieu lors du procès du Stalinon s'achève au printemps 1957[1], dans le même temps est signé l'acte de naissance de l'Union européenne. Cette naissance se traduit par un besoin pour la France de montrer que ses lois sont à la hauteur des enjeux internationaux : l'affaire du Stalinon devient l'occasion de se montrer exemplaire par une réforme sécurisante[2]. La réglementation des médicaments en France est amendée en février 1959 après plusieurs années de débats pour assurer un plus grand contrôle[12].
Culture
[modifier | modifier le code]C'est sans doute en partie en raison du scandale du Stalinon que l'autorisation de mise sur le marché du Thalidomide, commercialisé dès octobre 1957 en Allemagne, a tant tardé à être accordée[1] en France et a été retirée aussi vite, limitant le nombre de cas ayant lieu en France.
L'histoire du Stalinon a inspiré le roman Retrait de marché, de Clément Caliari[13].
Références
[modifier | modifier le code]- Bonah Christian et Gaudillière Jean-Paul, « Faute, accident ou risque iatrogène ? La régulation des événements indésirables du médicament à l'aune des affaires Stalinon et Distilbène », Revue française des affaires sociales, , p. 123-151 (lire en ligne)
- Corinne LALO et Patrick SOLAL, Le livre noir du médicament, Place des éditeurs, , 351 p. (ISBN 978-2-259-21646-3, lire en ligne)
- Jean-Pierre ANGER, « L'étain et les organoétains dans l'environnement », Annales de toxicologie analytique, (lire en ligne)
- (en) British Medical Journal Publishing Group, « “Stalinon”: a Therapeutic Disaster », Br Med J, vol. 1, no 5069, , p. 515–515 (ISSN 0007-1447 et 1468-5833, DOI 10.1136/bmj.1.5069.515, lire en ligne, consulté le )
- Marc Cramer, « L'affaire du Stalinon et le contrôle des médicaments en Suisse », La Croix-Rouge suisse, (lire en ligne)
- Christian Bonah, « L’affaire du Stalinon et ses conséquences réglementaires, 1954-1959 », La revue du praticien, (lire en ligne)
- B. Poirot-Delpech, « " M. Feuillet n'est pas un imprudent, c'est un criminel " plaide Me Floriot, avocat des victimes », Le Monde, (lire en ligne).
- Bertrand Poirot-Delpech, « L'inventeur du produit ne contrôlait pas les livraisons de ses fournisseurs. Les médecins-experts sont d'accord sur les méfaits de la drogue », Le Monde, (lire en ligne).
- « La délivrance du médicament "Stalinon" est suspendue », Le Monde, (lire en ligne).
- Bertrand Poirot-Delpech, « La plupart des victimes sont des enfants », Le Monde, .
- « Pourquoi certaines molécules sont-elles retirées du marché ? », sante.lefigaro.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Laure-Marine Chemin, « L’évolution du rôle du pharmacien d’officine français en tant qu’acteur de santé »,
- Anne Crignon, « Un scandale sanitaire », Bibliobs, (lire en ligne, consulté le )
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Henri de Bonnechose, « L'affaire du Stalinon », Revue des Deux Mondes, (lire en ligne).